Après 10 heures d’audition dans les locaux de la préfecture de police d’Abidjan, c’est sous escorte policière, et sans son avocat, que Nathalie Yamb a été embarquée dans la soirée du 2 décembre pour l’aéroport international Félix Houphouët Boigny d’Abidjan. Direction la Suisse, pays dont elle est ressortissante (Nathalie Yamb est Suisse par sa mère et Camerounaise par son père).
«Le bruit de son expulsion courait depuis plusieurs jours. Déjà bien avant sa convocation», confie Jean-Charles Wognin, l’un des collaborateurs de la conseillère, joint par Sputnik.
Le ministère ivoirien de l’Intérieur a, en effet, décidé d’expulser la conseillère exécutive de l’opposant Mamadou Koulibaly, candidat investi par le parti Liberté et démocratie pour la République (Lider) pour la présidentielle ivoirienne de 2020 pour «activités incompatibles avec l’intérêt national».
Mais, pour de nombreux internautes, de même que pour le parti Lider, les «activités incompatibles avec l’intérêt national» reprochées par les autorités ivoiriennes à Nathalie Yamb ne sont qu’un alibi pour écarter celle dont la voix panafricaine ne cesse de résonner toujours plus sur les réseaux sociaux
À leurs yeux, il ne fait aucun doute que Nathalie Yamb subit les représailles de son intervention très remarquée à Sotchi.
«La tribune offerte à Nathalie Yamb à Sotchi a permis de décupler de façon exponentielle la portée de ses positions sur des thématiques comme le franc CFA ou les bases militaires françaises, qui du reste sont des positions tenues par Lider depuis sa création en 2011. Depuis Sotchi, la voix de Nathalie Yamb se trouve amplifiée. Ce qu’elle disait qui pouvait autrefois être banalisé, est désormais scruté parce qu’autour d’elle ne cessent de s’agréger de nombreux Africains. Il fallait donc briser cette dynamique», déclare au micro de Sputnik Paul Kwadjané Agoubli, le délégué national de Lider chargé de la communication.
De l’avis d’autres internautes, n’étant pas de nationalité ivoirienne, Nathalie Yamb n’avait pas à s’investir autant dans la vie politique d’un État dont elle n’est pas ressortissante.
À cette dernière observation, Mamadou Koulibaly répond que «la loi ivoirienne ne l'interdit pas». Les articles 7 et 8 de la loi sur les partis politiques en Côte d’Ivoire n’interdisent pas, en effet, à un non-Ivoirien de militer dans un parti politique, sauf à présider des instances.
Avec l’expulsion de sa conseillère à moins d’un an de la présidentielle de 2020, certains observateurs craignent que le candidat Mamadou Koulibaly ne s’en trouve grandement fragilisé et qu’au-delà, ce soit tout le parti qu’il a fondé en juillet 2011 qui prenne un coup.
«Les plus sincères et amicaux pourraient être inquiets de cette expulsion, les plus cyniques pourraient s’en réjouir. On est abasourdi par cette sanction, c’est vrai, mais il faut savoir qu’il y a de la ressource à Lider pour toujours aller de l’avant. Et même si la présence physique de Nathalie Yamb va nous manquer, les technologies sont telles aujourd’hui qu’on va tous ensemble poursuivre le travail», poursuit Paul Kwadjané Agoubli.
Des organisations de la société civile ou des droits de l’homme ont d’ores et déjà commencé à se prononcer sur l’expulsion de l’opposante Nathalie Yamb. C’est le cas notamment du Groupe de réflexion et d'actions pour la démocratie et les droits de l'Homme en Afrique (Graddh-Afrique) qui dénonce une décision des autorités ivoiriennes «excessive et purement politique».
Contacté par Sputnik, Delmas Kokou, le directeur exécutif d’Amnesty International Côte d’Ivoire, n’a pas souhaité faire de commentaire pour l’heure.
Interviewée le 30 octobre dernier par Sputnik, Nathalie Yamb avait déclaré ne pas craindre les représailles à son intervention à Sotchi «qui ne manqueraient pas de survenir».
«Pour qu’une révolution réussisse, il est bien que les révolutionnaires restent en vie. Ceci étant, il y a longtemps que j’ai surmonté ma peur. J’ai davantage peur pour ma famille et mes proches que pour moi-même. On ne peut pas s’engager dans un combat de libération en pensant qu’il n’y aura pas un prix éventuel à payer. Quand on a peur, l’oppresseur n’a plus besoin de tricher, il peut faire ce qu’il veut. Mais lorsqu’on surmonte sa peur, on est libéré, on fait ce qu’on peut faire, puis d’autres viendront prendre le relais», avait-elle notamment soutenu au micro de Sputnik.