S'achemine-t-on finalement vers la création d'une monnaie unique à la place du franc CFA dans la Communauté économique et monétaire des États de l'Afrique centrale (Cemac)? Après les pays d’Afrique de l’Ouest, c’est au tour de l’Afrique centrale de s’interroger sur la pertinence du franc CFA, cette devise «héritée de la colonisation» et dont les réserves de change sont déposées en France et convertibles en euros. Très attendue à l’occasion du sommet extraordinaire de la Cemac convoqué le 22 novembre dernier à Yaoundé, la question n’a cessé d’alimenter les débats.
Cinq chefs d’État sur les six que compte la Cemac ont pris part au sommet de Yaoundé: le Camerounais Paul Biya, Président en exercice de l’institution sous-régionale, le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra, le Congolais Denis Sassou Nguesso, l’Équatoguinéen Teodoro Obiang Nguema et le Tchadien Idriss Déby Itno. Le Président gabonais, Ali Bongo Ondimba, était représenté par son Premier ministre.
Ils ont chargé «la commission de la Cemac et la BEAC [Banque des États de l’Afrique centrale, ndlr] de proposer, dans des délais raisonnables, un schéma approprié conduisant à l’évolution de la monnaie commune». Mais le docteur Dieudonné Essomba, expert camerounais des questions économiques et financières, pense qu’il ne faut pas s'attendre à de spectaculaires réformes.
«Il est difficile pour les pays de la Cemac, sans tissu industriel capable de répondre au mouvement de change, de gérer une monnaie. Pour qu'une devise commune à plusieurs pays fonctionne, il faut impérativement qu'il y ait un mécanisme qui gère les soldes extérieurs, ce qui n’est pas encore le cas ici», explique le spécialiste.
Si, jusqu’ici, certains militent pour un abandon pur et simple de cette monnaie qu’ils pointent du doigt comme faisant partie des freins au développement des pays de la zone, Dieudonné Essomba rame à contre-courant. L’économiste appelle à la prudence dans le processus car «cette devise a une grande qualité qui est la stabilité». Une qualité dont le défaut est l'absence de flexibilité, note-t-il néanmoins.
«Dans le cadre de la Cemac, si on sort du CFA, chaque pays sera obligé d'avoir sa monnaie propre. Il va falloir une instance pour gérer les soldes intérieurs. Cette devise à l'avantage de la stabilité, c'est la raison pour laquelle les pays comme le Nigeria et le Ghana l'utilisent comme une bonne réserve. Ils hébergent leurs comptes d'épargne en francs CFA et non pas en Naira ou en Cedi», explique l’analyste.
Pour ce spécialiste des questions financières, «le seul modèle monétaire approprié aujourd'hui pour les pays de la sous-région, c'est celui du CFA». Ce qui ne l’empêche pas de suggérer des moyens d’accompagnement.
«Nous pouvons implémenter un système de bons d'achat valable à l'intérieur des pays et pour les biens locaux, c’est ce que j'appelle la monnaie binaire. C'est un processus qui peut nous amener à aller progressivement vers une véritable devise», estime Dieudonné Essomba.
Si le spécialiste soutient qu’une sortie brusque du franc CFA pourrait être fatale à des économies encore fragiles, il suggère tout de même de trouver «une monnaie complémentaire au franc CFA» car, reconnaît-il, «le franc CFA ne peut pas développer les pays de la zone».
La Cemac à l’épreuve des défis
Éric Yombi, journaliste spécialiste des relations internationales, auteur de Décrypter la Cemac, pense que les obstacles à déblayer pour y parvenir sont encore nombreux.
«Cette sous-région concentre plusieurs obstacles qui ne favorisent pas son décollage effectif, notamment la question des égoïsmes nationaux qui y trouve un terreau fertile car il n'existe pas un leader ou alors un double leader communautaire jouant le rôle de locomotive», commente l’analyste au micro de Sputnik.
«Que ce soit la libre circulation des biens, la mise sur pied d'une compagnie aérienne, les passeports communautaires, la Bourse, rien ne fonctionne normalement. Par ailleurs, les chefs d'État de la sous-région aiment leur pouvoir. Ils y sont tellement accrochés qu’ils ne sont pas prêts à se séparer d'une partie de ce pouvoir au profit de la communauté», constate-t-il.
Lors du sommet, les dirigeants de la Cemac ont néanmoins «salué le redressement global de la situation macroéconomique de la zone marqué par le retour à une croissance économique positive» et «renouvelé leur engagement solidaire visant à faire de la Cemac un espace économique émergent». Une conclusion un peu trop élogieuse pour Éric Yombi, qui ne démord pas.
«Tout compte fait, ce sommet extraordinaire n'a pas préconisé de réformes profondes. Aujourd'hui comme hier, avec ces faibles mutations, la Cemac reste dans l'inertie», conclut-il.