Titus: empereur des blindés ou engin low-cost?

Salon Milipol 2019: dans le hall d’exposition de Villepinte, où se pressent les pros de la sécurité, trône l’imposant blindé de transport Titus de Nexter prêté aux policiers du RAID. Pourtant, l’engin est difficile à exporter. L'imposant blindage cache-t-il quelque chose? Enquête.
Sputnik

Au salon Milipol, impossible de le manquer. Noir panthère, le Titus de Nexter frappé du prestigieux logo du RAID, mérite bien son nom impérial. Il éclipse sans mal les autres blindés du hall d’exposition. Cela dit, les visiteurs du salon ne sont pas les seuls impressionnés. Bien qu’il n’ait été utilisé que quatre fois – trois en région parisienne, dont une pour la COP 21, et une en Savoie,– les hommes en noir semblent pour le moins satisfaits de leur engin de transport de troupes.

Un véhicule bien Breum

Dans une affaire de stupéfiants, le Titus a défoncé le portail de la maison ciblée avant de se ruer dans la cour intérieure. Sidérés, les suspects se sont rendus immédiatement à la vue du mastodonte. Pas de doute donc: le simple fait de déployer le blindé noir «fait 50% du boulot», glisse-t-on du côté des super flics.

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Le Titus dissuade les bandits, mais rassure aussi les policiers du RAID lors des interventions les plus sensibles. D’ailleurs, ces derniers n’aiment pas s’en voir privés pour deux semaines à cause du salon Milipol –sait-on jamais. Il faut bien le dire: être assis à l’intérieur de ce blindé de Nexter, sanglé sur ses sièges anti-blast, est plus tranquillisant qu’une ronde de l’opération Sentinelle en Renault Kangoo.

Titus: empereur des blindés ou engin low-cost?

Pourtant, le RAID n’utilise qu’une version légère, de 17 tonnes à vide tout de même, mais plus adaptée aux opérations de sécurité intérieure que la version militaire de 27 tonnes. Le Titus résiste aux munitions perforantes de 14,7 mm sur les côtés et aux charges explosives artisanales de 150 kg qui pourraient l’atteindre par en-dessous. Maintien de l’ordre, opérations antiterroristes: transporter 13 hommes ou évacuer des otages sous le feu de kalachnikovs semble tout de suite plus simple.

Conçu en 2012 et sorti en 2014 en un temps record, le blindé a été prêté aux superflics en 2016. Eux l’utilisent, même si le GIGN et la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) l’ont testé et estimé ne pas en avoir l’utilité. Pas simple en effet de se balader dans un véhicule long de 6 mètres dans les rues de Paris.

«Tant qu’on ne l’a pas piloté, il est impossible de le juger…» relativise-t-on du côté des techniciens du RAID: malgré sa masse, sa mobilité est impressionnante. Et même contre-intuitivement «davantage que les PVP», ces Petits Véhicules Protégés de 4,4 tonnes et longs de 4,60 mètres. Le responsable marketing de Nexter nous explique ça par son «braquage exceptionnel», grâce à ses deux essieux directeurs qui permettent «un demi-tour d’un diamètre de 13 mètres, soit l’équivalent d’un Ford Ranger». Pas mal, pour un blindé tout terrain, qui peut pousser jusqu’à 110 km/h.

Titus: empereur des blindés ou engin low-cost?

Le fabricant s’est de surcroît plié aux doléances du RAID, ajoutant des rétroviseurs et une rampe sur le côté gauche, permettant d’embarquer une colonne d’assaut de six opérationnels, derrière la protection d’un bouclier balistique. Le Titus des hommes en noir est équipé d’un moteur de 400 chevaux pour gagner en poids, tandis que la version militaire est équipée d’un 700 chevaux.

Les caméras et un drone filaire sur le toit permettent de garder le contact et d’assurer une vision panoramique à 360 °, histoire de débarquer du blindé avec une sécurité optimale, même au cœur du combat. Bref, de la demi-mesure bien ajustée.

«C’est une belle fierté, affirme-t-on chez Nexter. C’est un véhicule parvenu à maturité, pas très cher pour ce que c’est. On a une version finale qu’on peut décliner en mortier embarqué, en version sécurité intérieure [comme celui du RAID], en évacuation sanitaire, en déminage. Il y a de nombreuses variantes possibles, nous dit un responsable marketing avant d’ajouter: maintenant, il faut qu’il soit vendu, mais il le sera: nous sommes en train d’exploiter d’autres marchés prometteurs…»

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Nous n’en saurons pas davantage, mais force est de constater que la vente du Titus semble malheureusement patiner à l’export. Certes, la République tchèque s’en est équipée, mais cela ne surprend guère puisque c’est l’industriel tchèque Tatra qui a produit le châssis. En off, un spécialiste de l’industrie de l’armement nous explique qu'il s’agissait en effet pour Nexter de passer outre le concurrent Renault Trucks et de produire le moins cher possible au sein de l’Union européenne –et en Tchéquie, on sait produire des blindés. 62 véhicules, dont 6 en version commandement et 36 de transmissions, ont été livrés pour un montant de 240 millions d’euros. L’info a été confirmée en juillet dernier par Nexter.

Par ailleurs, hormis un deal avec l’Arabie saoudite qui a échoué, aucune commande ne semble pour le moment pointer à l’horizon. Alors le Titus serait-il aux blindés de transports d’hommes ce que le Rafale est aux avions de chasse, un bijou de l’industrie française de l’armement, boudé par les puissances étrangères?

Titus régnera-t-il en Afrique?

Le spécialiste de l’industrie de l’armement nous a expliqué les difficultés et les rouages propres à ce marché. Le Titus a en réalité été financé sous fonds propres par Nexter: il n’a pas répondu à une commande gouvernementale, et donc à un cahier des charges précis. Une grosse prise de risque pour le fabricant: forcément, il devient plus dur de convaincre les clients en aval. Contrairement d’ailleurs à un autre engin transport de troupes produit par Nexter avec Renault, le Véhicule Blindé Multi-Rôles (VBMR) «Griffon», qui a commencé à équiper l’Armée de Terre l’été dernier, en remplacement des Véhicules de l’Avant Blindés, les fameux VAB, entrés en service en 1976 et maintenant obsolètes.

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L’échec du Titus ne peut être expliqué par le coût, puisqu’il n’est pas très onéreux. «C’est un low-cost», nous dit l’expert. Mais après tout, cela ne l’empêche pas d’être «un bon blindé». Nexter garde bien au secret le prix de vente du Titus, mais le coût de 700.000 euros en version catalogue avait circulé en 2014, et 2,5 millions d’euros tout équipé. À titre de comparaison, un VBMR Griffon version catalogue coûte un million d’euros.

Titus: empereur des blindés ou engin low-cost?

«C’est un blindé qui pourrait par exemple intéresser des pays africains qui en auraient les moyens», estime l’expert en armement. Ainsi le Titus pourrait-il remplacer les BTR russes, ces véhicules soviétiques presque aussi répandus à travers l’ancien tiers-monde que les kalachnikovs, mais devenus obsolètes: on en retrouve par exemple plus de 500 au Bangladesh, au Turkménistan ou en Algérie.

Et tiens, pourquoi le Titus ne pourrait-il pas aussi séduire la Russie elle-même, souvent friande de savoir-faire français? Une bonne idée nous dit-on, mais il faudra en pratique attendre la levée des sanctions… voulues par François Hollande sous pression américaine. Sanctions qui ont, rappelons-le, conduit à l’annulation de la vente des navires Mistral en 2015. Comme quoi, l’industrie de l’armement française reste tributaire de la politique de puissance menée par l’État –et en partie abandonnée par la France aujourd'hui. Eh oui: le marché de l’armement a ses raisons que la raison d’État ne connaît pas toujours.

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