Ce Français confectionne des terrines en Russie et surfe sur l’embargo

Un entrepreneur français s’est installé à Moscou pour y confectionner des terrines, un mets pourtant soumis à l’embargo décrété il y a cinq ans. «Les sanctions, c’est l’une des meilleures choses qui arrive à la Russie», affirme-t-il.
Sputnik

Dans un supermarché en plein cœur de Moscou, des bocaux de terrine affichent fièrement le drapeau bleu-blanc-rouge. Il y a cinq ans, l’embargo alimentaire imposé par Moscou en réponse aux sanctions de l’UE avait pourtant barré le chemin à bon nombre de produits européens sur le marché russe. Ces petits pots à l’accent français s’y sont avérés imperméables. Et pour cause: ils sont nés en Russie.

En 2014, Axel Nagy n’y connaissait pratiquement rien en charcuterie. Il travaillait dans le commerce à Bordeaux et ne s’imaginait pas se retrouver à produire des terrines à 2.500 kilomètres de son sud-ouest natal. Mais le hasard en a décidé autrement.

Un voyage qui a tout changé

Passionné d’Histoire, il a découvert la Russie en 2017 en tant que simple touriste venu à l’occasion du centenaire de la révolution. «Je n’ai rien compris parce que tout était en russe, mais j’ai aimé la Russie», se rappelle-t-il dans un entretien accordé à Sputnik. «J’ai ensuite pris un visa étudiant de trois mois pour étudier la langue et comprendre. Et puis après, il y a eu la Coupe du monde… Je me suis dit "Pousse trois mois de plus" et j’ai rencontré ma campagne, j’ai trouvé du travail».

Ce Français confectionne des terrines en Russie et surfe sur l’embargo

«Fabrique toi-même»

Sa société, Le père Nagy, a été fondée début 2019 et compte aujourd’hui cinq employés. En novembre, six mois après que le premier pot a trouvé son acheteur, les terrines d’Axel sont présentes dans 70 points de vente à Moscou, mais aussi à Saint-Pétersbourg, Obninsk, Kalouga, Toula…

Les débuts n’ont pourtant pas été faciles. Il ne maîtrisait pas à son arrivée la langue de Pouchkine et a voulu tâter le terrain pour voir s’il pouvait travailler avec la France. L’embargo a fait de la place sur le segment alimentaire d’un côté, mais a rendu les importations plus compliquées de l’autre, voire impossibles pour certains produits.

«C’est pourquoi je me suis dit: "Fabrique toi-même"», raconte l’entrepreneur. À partir de ce moment-là, les sanctions sont devenues pour lui une opportunité.  

«C’est l’une des meilleures choses qui arrive à la Russie depuis la fin de l’ère soviétique», affirme aujourd’hui Axel. «Ça permet aux Russes d’être auto-suffisants, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus besoin de l’Europe, ils peuvent tout fabriquer eux-mêmes. J’ai des amis fromagers, d’autres qui font des saucissons», explique-t-il.

Avant de poursuivre: «On apporte notre savoir-faire en Russie, on embauche des Russes et on fait des produits comparables voir meilleurs qu’en France, mais fabriqués en Russie».

Faire découvrir l’inconnu

Entre les divergences culturelles, gastronomiques et la bureaucratie, les obstacles étaient pourtant nombreux sur le chemin de ce Français devenu charcutier au hasard de la politique et de l’amour. «Le problème c’est que je ne fais pas la même chose que les Russes connaissent», constate Axel. Le nom de son produit vedette (terrine) s’est en effet avéré intraduisible en russe, faute d’équivalent dans la cuisine nationale. Il a ainsi été contraint d’inscrire un plus familier mais moins appétissant «pâté» sur ses étiquettes et de se lancer dans un travail d’instruction à chaque rencontre avec les clients.

Ce Français confectionne des terrines en Russie et surfe sur l’embargo
«Quand ils se rendent compte que je suis Français, ça les interpelle. Je leur dis "Goûtez, c’est sympathique". Et quand ils goûtent, ils se rendent compte que c’est de la viande, des épices, du cognac, un produit qui est raffiné et qui est véritable», poursuit-il. Et de déplorer: «Mais en magasin je ne suis pas là pour expliquer».

Une vie à 100 à l’heure

Pour confectionner ce produit authentique, il vit à 100 à l’heure, s’occupant de la boucherie, supervisant la production et la qualité, prenant en charge la commercialisation ainsi que la moitié des livraisons. «Un boulot qui court», avoue-t-il avec un léger sourire. «Dans le sud-ouest de la France c’est plus tranquille».

Le nouveau système de contrôle vétérinaire qui a été récemment mis en place n’a pas facilité sa vie. La mesure, censée rassurer le consommateur, exige une transparence et une traçabilité complètes de la viande, des certificats devant être présentés à chaque étape de la production. Qui plus est, elle a conduit à un appauvrissement du nombre de ses fournisseurs. Axel a ainsi été obligé d’en chercher qui répondent à ses critères de l’autre côté de l’Oural, alors que la majorité de ses viandes viennent de la partie européenne du pays.

«Le problème c’est que j’essaye de travailler éco-responsable, de recycler, de pas faire venir les matières de l’autre bout du monde», explique-t-il, déplorant que le fermier de Tcheliabinsk qui lui fournit du canard se trouve à 1.800 kilomètres de Moscou.
«Après, ce n’est que le début»

L’étendue des territoires russes et la paperasse qui s’avère parfois encombrante ne l’empêchent pourtant pas de rêver à faire découvrir son produit à un nombre croissant de gourmets.

Tout est en effet possible d’après lui, les Russes, froids au départ, devenant chaleureux une fois la glace brisée! «L’objectif c’est d’avoir quelque chose le plus transparent possible, le plus artisanal dans la mesure du possible», insiste-t-il.

Alors que d’autres projets naissent déjà dans son esprit, Axel avoue qu’il lui est toujours à la fois étrange et plaisant de voir dans les rayons des magasins les petits pots estampillés d’une photo de son père. «C’est lui qui m’a donné cette éducation dans la nourriture, m’a appris tout ce que je sais», dit–il avant d’ajouter: «Après, ce n’est que le début».

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