Après l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem, sa reconnaissance comme capitale d’Israël et la reconnaissance du plateau du Golan comme territoire israélien, l’administration américaine vient de reconnaître comme conforme au droit international les colonies de Cisjordanie. Une fantastique nouvelle pour une grande majorité de la classe politique et la presse du pays. Le Premier ministre Netanyahou, «ému» par cette décision, a tenu à la saluer, soulignant l’importance historique de celle-ci:
Cette décision «est le reflet d’une vérité historique –que les Juifs ne sont pas des colonisateurs étrangers en Judée-Samarie [nom biblique utilisé en Israël pour désigner la Cisjordanie occupée, ndlr]. En fait, nous sommes appelés juifs, car nous sommes le peuple de Judée.»
Cette décision a évidemment été contestée par les autorités palestiniennes, qui voient depuis l’élection de Donald Trump une succession de décisions qui vont dans le sens du gouvernement israélien. Par la voix de leur chef négociateur, Saëb Erekat, les Palestiniens ont indiqué qu’ils avaient «déjà entamé les pourparlers à l’Onu afin de présenter un projet de résolution au Conseil de sécurité» pour lutter contre cette décision. Une démarche entreprise sans grand espoir, car ils savent bien que:
«Les États-Unis imposeront alors leur veto au droit international», a souligné Saëb Erekat, lors d’une conférence de presse à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. «Ils veulent nous voir à genoux... Mais nous allons nous tenir debout.»
La décision de Washington s’inscrit dans un climat déjà tendu entre Israéliens et Palestiniens. Le 11 novembre à Gaza, une frappe de l’armée israélienne a tué un commandant du groupe Jihad islamique, ce qui a déclenché un échange de feu entre les deux camps: envois de roquettes depuis Gaza vers les zones habitées du sud d’Israël et bombardements de l’armée israélienne sur Gaza. Si une brève accalmie a eu lieu suite à l’accord de cessez-le-feu signé le 14 novembre, les hostilités sont reparties de plus belle quelques jours après et continuent jusqu’à ce jour.
Difficile donc de penser que les affrontements ne pourraient pas se nourrir de cette décision de Washington. C’est d’ailleurs ce que suggère le ministère des Affaires étrangères russe dans un communiqué officiel:
«Nous voyons cette décision de Washington comme une nouvelle démarche destinée à miner la base légale internationale du règlement au Proche-Orient. Elle aggravera les tensions déjà vives dans les relations entre la Palestine et Israël», souligne le document.
Pour mieux comprendre les enjeux et les conséquences de cette décision, Sputnik France a tendu le micro à Gil Mihaely, rédacteur en chef de Causeur, qui a longtemps vécu en Israël et est spécialiste de sa politique. Entretien.
Sputnik France: Cette décision s’inscrit dans un contexte déjà tendu, pensez-vous qu’elle peut mener à un regain de violence?
Gil Mihaely: «Je dirai que ce n’est clairement pas de nature à calmer les choses. Néanmoins, les recrudescences de violences ne sont, en général, pas liées aux déclarations de Donald Trump. Que ce soit pour le Golan, Jérusalem ou les colonies de Cisjordanie, les raisons qui motivent la reprise des violences sont, le plus souvent, liées à des événements qui émanent de la région.»
Sputnik France: Cette décision ne risque-t-elle pas de pousser plus d’Israéliens à s’installer dans ces territoires, ce qui mènera de facto à plus de violences?
Gil Mihaely: «Non. Ce n’est pas lié à Donald Trump. Les gens qui viennent s’y installer ne l’ont d’ailleurs pas attendu pour ça. Les plus grandes vagues de migrations juives vers ces territoires ne correspondent pas aux moments où il y a eu des administrations américaines favorables à la colonisation. Dans la plupart des colonies en Cisjordanie, il n’y a que très peu d’endroits avec un important développement démographique juif. Ça se limite à quelques zones urbaines, qui sont plutôt rares.»
Sputnik France: Au final, cette décision qui n’a que peu d’influence sur le terrain en Israël, Donald Trump la prend uniquement pour séduire sa base aux États-Unis?
Gil Mihaely: «Tout à fait. On est à 11 mois des élections, en plein milieu des troubles d’impeachment, il a besoin de mobiliser ses troupes. On le sait, le sionisme religieux est très important aux États-Unis, c’est plus de dix millions d’électeurs, donc cette déclaration va clairement dans ce sens.»
Sputnik France: Compte tenu de l’évolution de la situation, pensez-vous que la solution à deux États est encore réaliste?
Gil Mihaely: «Oui c’est encore possible, mais la réalisation de cette possibilité va devenir de plus en plus pénible. Il est très peu probable qu’un accord du type de ceux conclus il y a vingt ans soit réalisable aujourd’hui. Selon moi, la paix aujourd’hui s’obtiendrait, compte tenu de la configuration des rapports de force, par des moyens tragiques. Ça passerait par des violences extrêmes, des massacres, des fuites de populations, et d’autres choses de ce type.
Je dis ça parce que la situation a changé. Avant, il y a avait deux voies par lesquelles pouvaient passer un échange: les négociations, le droit international d’un côté, et de l’autre, le rapport de force. Aujourd’hui, il n’y a que le rapport de force qui compte. Ce n’est un secret pour personne qu’Israël est beaucoup plus puissant, et je pense qu’ils le resteront encore un bout de temps, mais cela pourrait changer à terme, car le monde est imprévisible. Cette modification du rapport de force pourrait amener à une solution à deux États, car elle stabiliserait les deux camps et pousserait les deux parties au compromis. Cependant, dans la configuration actuelle du rapport de force, je ne vois pas les choses évoluer.»