Le chef de la MINUSCA «travaille à ce que cet accord de paix en RCA soit le dernier»

La mission de l’Onu en Centrafrique vient de voir son mandat élargi à l’appui à la mise en œuvre de l’Accord de paix de Khartoum et à l’organisation d’élections sur un territoire échappant en grande partie au contrôle de l’État. Mankeur Ndiaye, patron de la MINUSCA, revient au micro de Sputnik sur ces «défis immenses».
Sputnik

En succédant en février 2019, au Gabonais Parfait Onanga-Anyanga, à la tête de la Mission de l’Onu en République centrafricaine (MINUSCA), Mankeur Ndiaye a devant lui la lourde tâche de faire réussir un énième accord de paix. Il s’agit de l’Accord de Khartoum, conclu le jour même de sa nomination entre le gouvernement centrafricain et une kyrielle de groupes rebelles qui quadrillent près de 80% du territoire de cet immense territoire d’Afrique centrale.

Pour Antonio Guterres, Secrétaire général de l’Onu, la nature des enjeux politiques, régionaux, mais aussi économiques de la crise centrafricaine a certainement été déterminante dans le choix de son nouveau représentant spécial pour la République centrafricaine. Un temps président du Comité national de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) de son pays, le Sénégal, Mankeur Nidaye se prévaut surtout d’une carrière diplomatique d’une trentaine d’années, couronnée de 2012 à 2017 par le poste de ministre des Affaires étrangères. Durant sa carrière diplomatique «nationale», il alternera postes bilatéraux et multilatéraux, qui l’emmèneront de Paris au Mali, en passant par la mission permanente du Sénégal auprès des Nations unies à New York.

Dans cet entretien à Sputnik, réalisé en marge du Forum MEDays, à Tanger, où il était intervenu dans le panel «Burundi, Libye, RCA, RDC et Sahel: Comment sortir de la crise?», Mankeur Ndiaye revient sur ses neuf premiers mois passés à la tête de la MINUSCA. Le mandat de la mission a été récemment élargi à de nouvelles priorités, dont l’appui à la mise en œuvre de l’accord de paix de Khartoum, mais aussi à l’organisation des élections générales de 2020-2021. Un véritable défi, vu qu’une grande partie du territoire national demeure toujours sous la coupe des groupes armés, échappant de facto au contrôle de l’État.

Milices locales, forces étrangères, la Centrafrique en coupe réglée
Sputnik: Le Conseil de sécurité des Nations unies vient de proroger, à l’unanimité, le mandat de la MINUSCA. Vous prenez cela comme un satisfecit, d’autant plus que le mandat a été renforcé?

Mankeur Ndiaye: Je me félicite de l’adoption vendredi 15 novembre par le Conseil de sécurité de la résolution 2499. Adoptée à l’unanimité, celle-ci renouvelle le mandat de la MINUSCA pour une période d’un an. Le Conseil a non seulement décidé de renouveler le mandat, en se félicitant du travail accompli par la MINUSCA et apportant son appui très fort à son chef, mais d’en élargir aussi le mandat.

Désormais, elle est chargée aussi d’appuyer la mise en œuvre de l’accord de paix. Cela est compréhensible, vu que la dernière résolution avait été adoptée en décembre 2018, soit avant l’Accord de paix signé le 6 février 2019. À part les bons offices politiques, il y a, parmi les priorités de la MINUSCA sur lesquelles a insisté cette nouvelle résolution, l’appui au processus de réconciliation nationale, à la cohésion sociale et la justice transitionnelle, en particulier à la Cour pénale spéciale qui a commencé ses enquêtes. Le troisième aspect, c’est l’appui logistique et la sécurisation du processus électoral de 2020 et 2021, qui fait écho au mandat de la MINUSCA en 2015 et 2016. Le cœur du mandat demeure, bien entendu, qui est la protection des civils.

Sputnik: La tenue des élections est un véritable défi puisque la plus grande partie du territoire est quadrillée par les groupes armés…

Mankeur Nidaye: C’est justement pourquoi le rôle de la MINUSCA est important! Aujourd’hui, l’État ne contrôle pas tout le territoire. Les Forces armées centrafricaines (FACA) ne sont pas présentes sur tout le territoire national. Or, la Centrafrique, comme vous le savez, est un pays extrêmement vaste, aussi vaste que la France et la Belgique réunies! Un pays difficile d’accès en outre, vu les infrastructures routières très peu développées, la pluie qui tombe neuf mois sur douze. Comme les routes et les ponts sont souvent coupés, parfois le seul moyen de déplacement est la voie aérienne. C’est la raison de ce mandat d’appui logistique donné à la MINUSCA.

À lui seul, le gouvernement ne peut pas organiser les élections. Alors, nous ne sommes pas présents, non plus, sur tout le territoire. Mais quand même, nous avons la police et la gendarmerie. Nous travaillerons pour que, d’ici aux élections, la présence de l’autorité de l’État soit étendue sur tout le territoire. C’est déjà le cas à Kaga Bandoro, une ville où les FACA étaient absentes depuis pratiquement cinq ans. À Bria ou à Birao, il y a des patrouilles des FACA. Il faut poursuivre ce plan de déploiement des forces armées et de sécurité dans tout le territoire. Avec l’appui de la MINUSCA, j’espère que l’on y arrivera.

Sputnik: Les routes terrestres sont parfois coupées, mais la route politique semble plus déblayée avec l’Accord de paix. Quels sont les obstacles qui se posent aujourd’hui à la pleine application du mandat de Khartoum, auquel votre mandat est associé, puisque vous aviez été nommé le même jour de sa conclusion?

Mankeur Ndiaye: L’accord de paix, c’est la seule voie de salut. Il n’y a pas d’alternative.

Sputnik: Il y en avait plusieurs, avant…

Mankeur Ndiaye: C’est le huitième [depuis 2012, ndlr]. Il y a eu sept accords avant. Nous travaillons à ce qu’il soit le dernier, qu’il n’y ait pas de neuvième accord. C’est très difficile, c’est un défi immense. En tout cas, nous sommes mandatés pour le faire. Le défi principal, c’est le respect de l’accord par tous les signataires. D’abord, par les groupes armés. Il faut se féliciter que le gouvernement a fait le maximum pour mettre en œuvre cet accord. La volonté politique du Président Faustin-Archange Touadéra, du Premier ministre, du gouvernement est claire. Ils ont mis en avant tous les mécanismes de suivi prévus par l’accord. Il y a des difficultés, parfois, et des moyens qui ne sont pas toujours réunis. Mais le gouvernement a fait pour l’essentiel ce qu’il devait faire.

Il y a des textes de loi qui doivent être adoptés par l’Assemblée, et qui sont prévus par l’accord. Le texte sur la décentralisation est actuellement en examen à l’Assemblée. Ceux concernant le statut des partis et des anciens chefs d’État sont presque finalisés, maintenant, et soumis bientôt à l’Assemblée après examen par l’exécutif. Il y a un important texte qui va certainement être examiné par le Conseil de ministres très prochainement, et le Président m’en a donné la garantie. C’est le projet de loi portant création de la Commission Vérité, Justice, Réconciliation et Réparation (CVJRR). C’est un texte qui est extrêmement important. Il ne faut jamais oublier dans la crise de cette nature la question des victimes. Nous voulons que les victimes soient placées au cœur de la réconciliation nationale.

Sputnik: Si la volonté y est du côté du gouvernement, quid des groupes armés? Ne craigniez-vous pas quelque volte-face de leur part, d’autant plus que le moteur qui guide leur action n’est pas politique, mais exclusivement «économique»?

Mankeur Ndiaye: Vous savez, les enjeux économiques de la crise sont évidents. Certains groupes exploitent illégalement les ressources naturelles, notamment les diamants. Dans sa résolution 2499, le Conseil de sécurité a mis en garde tous ceux qui procèdent au trafic de ressources naturelles. On doit continuer de faire ce travail avec les groupes armés, mais aussi les pays de la région. Parce que la dimension régionale de la crise est évidente. Il faudrait que la Centrafrique puisse développer une bonne relation avec les pays voisins, le Tchad, le Congo, la RDC [République démocratique du Congo, ndlr], le Soudan, le Soudan du Sud, le Cameroun. Il faut qu’il y ait cette interaction. Ce travail a commencé avec le Congo et le Cameroun, les commissions mixtes se sont déjà réunies. Avec le Tchad et le Soudan au mois de décembre.

Le chef de la MINUSCA «travaille à ce que cet accord de paix en RCA soit le dernier»

Sputnik: Les relations n’ont jamais été saines, notamment avec le Tchad. Est-ce qu’aujourd’hui, les relations sont suffisamment assainies pour que l’on puisse prétendre à cette interaction?

«Si le Tchad plonge dans l’instabilité, la moitié de l’Afrique subira un séisme»
Mankeur Ndiaye: Les relations se sont beaucoup améliorées ces derniers temps. Des échanges ont eu lieu entre le Président Touadéra et [le Président tchadien, ndlr] Idriss Déby et d’autres homologues de la région. Nous travaillons avec tous les acteurs régionaux. Le bureau régional de Nations unies pour l’Afrique centrale (UNOCA) y contribue, en la personne du Représentant personnel du Secrétaire général, Louncény Fall. Nous travaillons ensemble et voulons vraiment encourager cette dynamique régionale.

Le Conseil de sécurité aussi, dans sa résolution 2499 du 15 novembre, a insisté sur l’implication des dirigeants de la région. Cela est fondamental pour arriver à contenir la crise, parce que les trafics d’armes ou de ressources naturelles se font de part et d’autre de la frontière. Sans compter l’arrivée de mercenaires de certains pays de la région. Nous percevons toute cette dimension régionale et allons y faire face.

Au Mali ou en Centrafrique, «les rebelles sont des businessmen avec des armes»
Sputnik: Dans un récent entretien qu’il nous avait accordé, l’ancien Premier ministre et actuel président de la commission parlementaire Économie, Finances et Plans, M. Martin Ziguélé, s’était montré favorable à la levée complète de l’embargo sur le diamant, arguant du fait que celui-ci n’a fait que favoriser la fraude. Partagez-vous son avis?

Mankeur Ndiaye: Il y a le process de Kimberley qui est très important. Il y a des pas qui sont faits par la République centrafricaine pour revenir au processus de Kimberley. La certification des diamants est très importante. Elle consiste à éviter que les diamants du sang ne soient exportés et vendus. C’est cela l’intérêt du processus de Kimberley. La Centrafrique était membre de l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Elle a été suspendue pour des raisons qui sont compréhensibles.

Là, il faut que la Centrafrique travaille pour le retour à l’ITIE et au retour, également, au processus de Kimberley. Mais tout cela va avec l’avancée du processus de paix. C’est valable également pour ce qui est de l’embargo sur les armes. Des pas ont été faits. Il y a des allègements, il y a eu la résolution 2488. Il y a des benchmarks que le gouvernement a remplis, et d’autres qu’il va remplir. Et nous attendons de voir ce qui va se passer le 31 janvier lors du rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur l’embargo.

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