C’est une fuite qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la situation sécuritaire en Irak… et en Iran. Des milliers de documents secrets iraniens ont été rendus publics, dans les journaux américains The Intercept et The New York Times, qui en confirment la véracité. Une révélation qui vient s’inscrire dans un climat déjà ultra-tendu de protestations de la population irakienne contre le manque de services publics et, pour certains, contre l’ingérence iranienne en Irak. Dans ce contexte de violentes manifestations, qui ont fait des centaines de morts depuis plus d’un mois, ces révélations pourraient replonger le pays dans une spirale de violence incontrôlable.
Dans un message crypté, envoyé aux rédactions mentionnées précédemment, la source anonyme de cette fuite a indiqué vouloir «faire connaître au monde ce que l’Iran est en train de faire en Irak». Si ce n’est un secret pour personne que l’Iran tente de rallier l’Irak à sa zone d’influence, l’arc chiite qui va de Téhéran à Beyrouth, ces révélations font la lumière sur le fonctionnement et l’étendue de cette entreprise. La tentative iranienne de peser sur son voisin à l’ouest a d’ailleurs été reconnue par un rapport de l’armée américaine qui déclarait qu’au final «un Iran enhardi et expansionniste apparaissait comme le seul gagnant en Irak.»
En Irak, des sources américaines à la solde des services iraniens
L’Iran, qui entretenait déjà des relations avec de nombreux officiels Irakiens hostiles à Saddam Hussein, a profité de ses relations et du vide institutionnel et sécuritaire laissé derrière eux par les Américains pour gagner massivement en influence dans le pays. Si bien, que, d’après les révélations en question, de nombreux officiels, militaires et politiques, rendaient compte aux différents services iraniens du contenu de leurs échanges avec des officiels américains.
Durant la formation d’un nouveau gouvernement en 2014 et 2015, l’ambassadeur américain Stuart Jones a rencontré à de multiples reprises Salim al-Jabouri, alors Président de l’Assemblée nationale irakienne. Les documents qui ont fuité montrent que l’un des conseillers d’al-Jabouri rapportait les contenus de ces conversations aux autorités iraniennes. Suggérant même à l’ambassade d’Iran à Bagdad de
«se comporter de manière sérieuse dans ses contacts avec le Président du Parlement irakien, afin qu’il ne glisse pas vers une ligne proaméricaine, puisque l’une de ses caractéristiques est d’être crédule et de prendre des décisions hâtives», indique le document.
Selon ces mêmes révélations, il en va de même pour l’ancien Premier ministre de la région du Kurdistan irakien qui, après avoir rencontré des officiels anglais et américains de haut rang, aurait directement rendu compte de ces conversations aux autorités iraniennes. Information qu’il a contestée via son porte-parole, expliquant ne pas se souvenir d’avoir rencontré un quelconque officiel iranien.
L’agent «Donnie Brasco» ou la «Source 134992»
L’Iran a aussi su tirer profit du démantèlement des institutions irakiennes par les États-Unis, notamment en recrutant certains informateurs qui se trouvaient sans emploi ni revenus après que l’armée américaine eut commencé à réduire sa présence en Irak. D’après les documents obtenus par le New York Times et The Intercept, c’est par exemple le cas d’un agent recruté sous le nom de «Donnie Brasco» par les Américains et passé à la solde des Iraniens par manque d’argent et par peur d’être tué à cause de sa proximité avec les Américains. Cette source aurait donné aux Iraniens les localisations de certaines planques de la CIA en Irak et autres techniques de surveillances et matériels militaires. Contactée par les journalistes responsables de ces révélations, la CIA s’est refusée à tout commentaire.
Les sphères politiques irakiennes sous influence iranienne
Ces révélations nous apprennent aussi comment, en 2014-2015, le gouvernement du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki était presque totalement acquis à la cause iranienne, sinon à sa solde. D’après l’un des documents, les ministères des Municipalités, de la Communication, et des Droits de l’Homme étaient en «complète harmonie» avec la République Islamique d’Iran (RII). De plus, les ministres des Transports, du Pétrole, des Affaires étrangères, de la Santé, du Travail, de la Jeunesse et de l’Éducation supérieure avaient des «relations spéciales» avec la RII, lui étaient loyaux ou plus favorables que le précédent en poste.
Autre preuve de cette influence que démontrent ces révélations: la facilité avec laquelle le sulfureux général iranien Qassim Soleimani a réussi à obtenir l’autorisation du ministre des Transports de pouvoir survoler l’espace aérien irakien pour se rendre en Syrie. Et ce, alors que les Américains s’opposaient formellement à cette autorisation. Le ministre en question a par la suite indiqué qu’il s’agissait de transporter des biens humanitaires et non des armes, ce dont doutent grandement les Américains.
Le retour de flamme de l’ingérence
Mais Téhéran ne s’est pas contenté de se mettre dans la poche quelques ministres et officiels de haut niveau et a pénétré l’appareil d’État jusqu’à un niveau très modeste. Pendant toute la période de retrait américain, les services de renseignements iraniens ont mis en œuvre toutes sortes de techniques pour influencer la vie quotidienne en Irak. Entre rencontres dans des allées sombres, des centres commerciaux ou des pots-de-vin à base de pistaches, de safran et d’eau de Cologne, on est parfois proche du thriller d’espionnage.
Ce gain d’influence n’est pas venu sans son lot de soucis pour l’Iran. C’est sans doute la seule chose que les Iraniens n’ont pas pris en compte: la volonté d’indépendance du peuple irakien. Ayant tiré sur les ficelles de différents courants religieux et tribaux, le pays des mollahs a récolté et continue de récolter les graines de division qu’il a semées. En effet, une grande partie de la population sunnite s’est sentie menacée et mise à l’écart par ce gouvernement favorable aux Iraniens et aux Irakiens chiites. Si bien que cela a légitimé le retour du soutien américain en Irak. C’est dire.
«La politique menée par l’Iran en Irak a permis aux Américains de revenir en Irak avec une plus grande légitimité. Des individus et des groupes sunnites, qui se battaient contre les Américains, espèrent non seulement leur retour, mais aussi qu’Israël entre en Irak pour sauver le pays des griffes de l’Iran», détaille l’un des documents datant du 29/11/2014 qui a fuité le ministère des Renseignements iraniens.
Depuis la période 2014-2015, certaines provinces irakiennes sont de plus en plus sceptiques vis-à-vis de cette influence iranienne, et ce, même dans les provinces à majorité chiite. Preuve en est qu’aujourd’hui, en 2019, le gros des manifestations dénonçant le manque de services publics et l’influence iranienne trop grande, se passe surtout à Bagdad et dans les provinces du sud, majoritairement chiites. Si ces révélations sont véridiques, et dépendamment de l’écho qu’elles auront, la situation en Irak pourrait devenir explosive à tout moment, du fait du ras-le-bol populaire de cette influence iranienne.
Aucune mention de l’affaire a été faite dans les médias iraniens, et aucun communiqué n’a été fait par les autorités iraniennes concernées.