La place d’Italie à Paris noyée sous les fumées et les gaz lacrymogènes. Voitures renversées, incendiées, poubelles brûlées et autres abribus saccagés, le monument en hommage au maréchal Juin vandalisé… En ce début d’après-midi du 16 novembre, date qui marquait le premier anniversaire des Gilets jaunes, peu de jaune, mais beaucoup de noir, celui des casseurs qui ont mené de violents affrontements contre les forces de l’ordre.
Devant les «violences et exactions», à 14 h 00, la préfecture de Paris a décidé de tout simplement annuler la manifestation, qui devait partir de la place d’Italie à cet instant précis. Selon Didier Lallement, le Préfet de Paris, qui s’est confié à la presse, elle «rassemblait des individus qui ne défendaient pas une cause, mais procédaient à des destructions» et «à des attaques systématiques contre les forces de sécurité et contre les pompiers».
Certains des (vrais) Gilets jaunes présents ne cachaient pas leur colère, comme Catherine Van Puymbroeck, 49 ans, venue avec son fils d’Eure-et-Loir pour la première fois:
«C’est pitoyable, c’est minable que la manifestation ait été interdite. Manifester, c’est un droit et on me le refuse. La colère est provoquée par l’État», a-t-elle confié à l’AFP.
Dans le chaos, plusieurs personnes ont été blessées, dont un journaliste indépendant, victime d’une grenade qui l’a atteint au niveau du visage et un blessé à l’œil, deux selon certaines sources.
La stratégie de maintien de l’ordre choisie par le préfet de Paris est très critiquée. C’est lui qui a voulu que le départ de la manifestation des Gilets jaunes soit place d’Italie, une zone en travaux qui contient du matériel de chantier, qui sert habituellement de projectiles aux casseurs qui, une fois n’est pas coutume, étaient là dès le matin.
La polémique enfle également concernant une vidéo du média Maroc Online montrant «nettement deux personnes encadrer un troisième homme, tous habillés de noirs et rentrer derrière le cordon de CRS qui les laisse passer en répétant: “C’est la BAC, c’est la BAC”», comme le note CheckNews de Libération. De quoi alimenter les accusations concernant des policiers infiltrés au sein des casseurs, même s’il est fréquent que des membres de la BAC, après avoir interpellé un suspect en «saute-dessus», aillent lui passer les menottes derrière un cordon de CRS.
Les violences à Paris se sont poursuivies jusque dans la soirée, notamment dans le quartier très fréquenté des Halles. «Les dégradations et violences commises en marge des manifestations appellent des condamnations fermes et unanimes», a notamment tweeté le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
Le 17 novembre, l’ambiance était tout autre et le jaune de retour sur les ronds-points et dans les rues de France. De nombreux Gilets jaunes ont manifesté, globalement dans le calme. Selon «Le nombre jaune», le compteur de manifestants du mouvement, ce week-end d’Acte 53 aura rassemblé 61.957 participants. Les manifestations ont rassemblé 28.000 personnes dans toute la France le 16 novembre selon le ministère de l’Intérieur.
L’écrivain Philippe Pascot, fervent soutien des Gilets jaunes, assure que les autorités ont tout fait pour que la situation déborde le 16 novembre à Paris. Il appelle dorénavant à une mobilisation de masse le 5 décembre. Il s’est confié à Sputnik France.
Sputnik France: Comment analysez-vous ce qu’il s’est passé place d’Italie?
Philippe Pascot: «Tout cela était voulu par le gouvernement uniquement pour casser l’anniversaire des Gilets jaunes. J’étais présent sur place. Nous avons été coincés, gazés et parqués. Honnêtement, cela pourrait rappeler à des égards les heures les plus sombres de 1939-45, tellement c’était violent. Il y avait des enfants, des vieillards… Les forces de l’ordre laissaient rentrer sur la place, mais empêchaient de sortir. Nous avons d’ailleurs vu des trucs totalement fous. De mes propres yeux, j’ai vu les CRS mettre un individu à l’écart, le fouiller et trouver dans son sac une énorme clef à molette. Normalement cette personne aurait dû être embarquée, mais bizarrement a été laissée libre. Des Gilets jaunes ont pris 135 euros d’amende, car ils avaient un gilet dans la poche. Et ce type équipé d’une clef à molette de 40 cm est laissé libre? C’est bizarre…»
Sputnik France: Pensez-vous, comme certains observateurs, que le préfet Didier Lallement a sciemment organisé cette journée de manière à ce que cela se termine mal?
Philippe Pascot: «Je ne le pense pas, j’en suis sûr. à 14 h 00, il déclare que la manifestation est interdite, alors que tout était prêt. Au lieu de cela, nous avons été parqués pendant des heures au milieu des gaz lacrymogènes. On ne voyait plus rien à deux mètres, par moments. Mon épouse en a encore mal au crâne. Qu’ont-ils mis dans ces gaz pour qu’ils piquent autant la gorge? Je n’ai jamais vu ça et j’ai fait Mai 68 lorsque j’étais encore un jeune adolescent. Ce qu’il s’est passé est une honte pour ce gouvernement et une honte pour la démocratie. C’est même un déni de démocratie.»
Sputnik France: Une image a beaucoup fait parler d’elle. Ce même préfet Didier Lallement, interpellé par une Gilet jaune, lui a rétorqué, «nous ne sommes pas dans le même camp, Madame». La fracture sociale semble profonde en France…
Philippe Pascot: «C’est pire qu’une fracture. C’est la preuve qu’il existe aujourd’hui deux sociétés. Ces images montrent que ce Monsieur a dépassé son rôle de fonctionnaire et qu’il est de parti-pris. Est-ce que c’est cela, un fonctionnaire? N’est-il pas censé servir l’État? Aujourd’hui, il sert une dictature qui se met en place.»
Sputnik France: Pensez-vous comme François Boulo –avocat et porte-parole des Gilets jaunes à Rouen– qu’aujourd’hui en France, l’État, soutenu par le «bloc bourgeois», s’oppose au reste du pays?
Philippe Pascot: «Je rejoins totalement ce que dit François Boulo. D’un côté, nous avons le bloc des profiteurs et de l’autre celui des exploités, ceux que l’on peut pressurer, ceux qui vont toucher une retraite de misère, ceux qui ne vont plus avoir de Sécurité sociale, ceux dont le Code du travail est cassé, ceux qui ne peuvent plus se soigner, car cela coûte trop cher alors que l’hôpital public est débordé. Vous rendez-vous compte qu’aujourd’hui, presque l’ensemble des corporations est en souffrance, des pompiers aux infirmières en passant par les urgentistes ou les avocats? Tout le monde est dans la merde! (sic) et en haut, ils ne le voient pas? Ils préfèrent fermer les yeux et être dans le déni ou le mépris? Vous avez un Président qui, lorsqu’il se déplace, fait appel à des figurants pour donner une illusion de soutien. C’est cela, représenter la France? C’est une honte!»
Sputnik France: La journée de samedi a surtout mis en avant des casseurs quand celle du lendemain a vu de nombreux Gilets jaunes manifester dans un calme relatif à travers le pays. Comment l’expliquez-vous?
Philippe Pascot: «Les citoyens Gilets jaunes sont des gens pacifiques. Les casseurs ne sont qu’une minorité manipulée. Ils ne représentent rien. Les Gilets jaunes sont composés de travailleurs, d’assistantes sociales, d’infirmières, etc. Ce n’est pas autre chose. Et c’est précisément la raison pour laquelle le gouvernement ne souhaite pas que les manifestations se passent bien. Pourquoi ne nous laissent-ils pas nous regrouper? Pourquoi nous nasser à chaque fois afin que l’on ne voie pas le nombre? Les comptages officiels sont systématiquement sous-estimés, d’ailleurs.»
Sputnik France: Dorénavant, tous les regards sont tournés vers la journée de mobilisation du 5 décembre, avec de nombreux appels à la grève et un gouvernement qui craint la convergence des luttes. Qu’attendez-vous de ce 5 décembre?
Philippe Pascot: «Les gens sont en souffrance et cette souffrance, doublée du mépris des puissants, entraîne la colère. Concernant le 5 décembre, j’attends que l’ensemble du peuple de France dise: “Stop! Écoutez-nous. Arrêtez de laisser les gens mourir!” Un gamin étudiant s’est mis le feu, car il n’avait plus de quoi vivre. Une mère et sa petite fille sont mortes de faim à Nîmes. C’est ça, la société que l’on nous propose pour demain? C’est celle que nous propose Monsieur Macron. Et nous n’en voulons pas. Nous voulons juste respirer, vivre, remplir notre frigo après le 15 du mois et ne pas passer notre vie à payer des factures pendant que certains s’engraissent sur notre dos. Ce n’est pas compliqué, mais il est incapable de l’entendre.»