Quand un Général de Napoléon pousse Macron et Poutine à s’entendre

Les restes du général Gudin, intime de Napoléon, tué en 1812, ont été retrouvés à Smolensk. Pour y parvenir, l’archéologue Pierre Malinowski a œuvré à un rapprochement inattendu entre Macron et Poutine. Quand la grande histoire rencontre la politique moderne: Pierre Malinowski explique à Sputnik comment il a manœuvré.
Sputnik

Quand la diplomatie cherche à rétablir des relations apaisées, elle s’enracine. L’Élysée et le Kremlin ont bien vu l’intérêt de soutenir, discrètement, mais sûrement, les recherches archéologiques de la Fondation franco-russe des initiatives historiques. Mais il faut bien dire, le Français Pierre Malinowski, qui préside celle-ci, a su convaincre:

«Je pense que c’est vraiment le projet franco-russe des cinquante dernières années!», dit-il, enthousiaste devant sa découverte.

Cette découverte, c’est celle de la dépouille d’un héros de l’Empire, le général Charles-Étienne Gudin de La Sablonnière, mortellement blessé en août 1812 à la bataille de Valoutina Gora, à Smolensk, non loin de la frontière actuelle avec la Biélorussie. La retrouver n’a pas été simple. «Les projets archéologiques de cette ampleur-là, c’est compliqué. Vous devez avoir le soutien des autorités supérieures, sinon c’est quasiment impossible!»

Poutine, soutien du premier jour

Heureusement, Malinowski eut l’occasion de discuter quelques minutes avec Vladimir Poutine à Paris, le 11 novembre 2018. En quelques instants, il demande au Président russe de le soutenir avec l’académie des Sciences:

«Je lui ai dit que je voulais mener un projet sur la campagne de 1812, il m’a dit “pas de problème.”»

Une fois le soutien du Kremlin accordé, il sera en lien direct avec Dimitri Peskov, son porte-parole. «C’est vrai, [Vladimir Poutine, ndlr] a soutenu le projet depuis le premier jour», résume-t-il. Encore fallait-il trouver «de gros budgets et les experts prêts à travailler ensemble», souligne Malinowski, avant d’ajouter: «et ce n’est pas facile de prime abord, même s’ils deviennent ensuite les meilleurs amis du monde». Mais par qui a-t-il été financé?

«Je peux vous donner le nom, il est d’accord maintenant: c’est le milliardaire russe Andrei Kozitsyn [le PDG de l’Ural Mining and Metallurgical Company, ndlr]».

Malgré ce bon départ, le travail archéologique n’a pas été simple. En mai 2019, l’équipe archéologique échoue en effet à retrouver le corps du général Gudin à l’emplacement d’un premier bastion. «Quand vous ne trouvez pas le corps et que tout le monde pense qu’on ne le trouvera pas, il faut garder le moral et se dire que l’on continuera à creuser… même s’il faut retourner tout Smolensk!»

Quand un Général de Napoléon pousse Macron et Poutine à s’entendre

Une découverte archéologique extraordinaire?

Heureusement, Andrei Kozitsyn a cru en Malinowski: «j’ai été le revoir [après ce premier échec, ndlr], je lui ai dit croire au deuxième bastion.» à son tour, le mécène lui répond «pas de problème». Et à celui-ci faut-il ajouter quelques donateurs français, «comme Monsieur Christophe Rossi, un entrepreneur qui m’a contacté et m’a dit qu’il aimait ce projet.»

Le général Gudin est un oublié de l’histoire et ce projet archéologique entendait réparer cette injustice. «Son parcours était incroyable», nous raconte Pierre Malinowski. Une vie en effet révélatrice de la fièvre guerrière du Premier Empire. Élève à Brienne avec le jeune Bonaparte, quand ils avaient 11 ans, Gudin mène une grande carrière militaire avant l’Empire: il participe aux campagnes de la Révolution française et à celle de Saint-Domingue en 1799. Officier supérieur avant le couronnement de Napoléon, «il était le seul à tutoyer l’Empereur après, sur-le-champ de bataille. Ce n’est pas rien –imaginez le nombre de maréchaux et de généraux!»

Leur amitié fut brisée par un boulet qui, rebondissant, emporta sa jambe alors qu’il descendait de cheval. «Il a mis trois jours à mourir avec une jambe arrachée et l’autre foutue», relate Malinowski: «il faut comprendre le mental de ces gars-là! Il chargeait à la tête de ses hommes pour prendre la colline!»

«Gudin devait devenir Maréchal, mais il est mort avant, dans les bras de l’Empereur. Napoléon est resté à son chevet pendant deux des trois jours de l’agonie. Et surtout, Napoléon a pleuré. Ça, c’est dans les mémoires. Napoléon qui pleure pour un général, c’est arrivé pour Lannes, Gudin, mais c’est tout.»

Dans la lettre qu’il envoie du Kremlin, l’Empereur envoie à la veuve un don de plusieurs millions de francs. «La plus grosse dotation financière pour un général de toute l’histoire du Premier Empire», précise Malinowski.

Macron et Poutine au chevet du général d’Empire

Encore fallait-il s’assurer de la découverte et passer par l’étape du test ADN. Le président de la Fondation franco-russe des initiatives historiques n’était guère angoissé par les résultats. Pour accélérer les choses, il a lui-même rapporté en France et en vitesse des dents et un fémur du général dans son sac de voyage. à vrai dire, son inquiétude portait moins sur la dépouille du général que sur les descendants de celui-ci:

«J’avais quelques doutes si on avait un prélèvement sur son arrière-arrière-petit-fils… avance-t-il avant d’ajouter en riant: vous savez, il y a quelques fois des accidents de parcours dans les familles à cette époque, quand le père part à la guerre plus de deux ans, on ne sait jamais! On n’aurait pas eu un ADN confirmé à 100%.»

Mais il n’en sera rien: les tests sont confirmés parfaitement: «on a fait la mère, le frère et le fils, et les trois ont été relevés positifs à 100%... et donc son descendant a lui aussi été rassuré!»

C’est tout ce qu’il manquait pour atteindre l’étape politique et donner un écho contemporain à une vieille histoire:

«Napoléon était un ennemi de la Russie, mais les Russes ont pour lui un très grand respect. Avec Jeanne d’Arc et Charles de Gaulle, c’est peut-être l’un des trois Français les plus connus à l’étranger. C’est important pour les Russes: ils sont prêts à nous rendre l’un de ses proches, un ennemi d’autrefois, et à lui donner un hommage national.»

Quelle forme prendra alors cet hommage? Si l’on a dit que Vladimir Poutine avait soutenu le projet, l’Élysée n’a pas été en reste: «Macron a aussi facilité les expertises en France et accéléré l’exhumation. Normalement, un projet archéologique se décide au niveau du sous-préfet. Or, c’est directement l’Élysée qui donnait les ordres», nous confie Pierre Malinowski.

Celui-ci espère que la cérémonie d’hommage ne sera pas limitée en Russie ou en France. Une cérémonie militaire serait même décevante, juge-t-il:

«La place est prête aux Invalides depuis plusieurs semaines. La question, c’est, avec ou sans les chefs d’État? Si Macron demande à Poutine de venir, il viendra, j’en suis sûr. Les deux suivent le projet depuis le début.»

Le prétexte d’une nouvelle rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine est ainsi tout trouvé. Cet hommage qui ne serait que justice selon Malinowski, et illustrerait «1.000 ans d’histoire commune entre la France et la Russie».

En attendant l’hommage franco-russe, Malinowski a déjà lancé un nouveau projet. Début novembre, il était en Israël. Il vient d’obtenir l’accord des autorités israéliennes pour mener des fouilles sur-le-champ de bataille de Hattin. En 1187, près du lac de Tibériade en Galilée, les forces de Saladin défirent les armées du royaume de Jérusalem. Le jeune historien s’y rendra «pour retrouver les corps des Croisés tombés».

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