«Erdogan veut faire peur en agitant le spectre du retour des djihadistes» en Europe, selon Del Valle

Les autorités turques ont annoncé ce lundi le début du rapatriement des djihadistes européens vers leurs pays d’origine. Sputnik France revient avec Alexandre Del Valle, spécialiste des relations turco-européennes, sur les enjeux géopolitiques liés à ces retours.
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Depuis le début de l’offensive turque en Syrie, il ne se passe guère plus d’une semaine sans qu’Erdogan ne menace d’ouvrir les vannes des réfugiés ou des djihadistes. Ce 11 novembre, les autorités turques ont annoncé le renvoi des djihadistes européens qu’elles détiennent dans leurs pays d’origine. Un Américain a déjà été renvoyé, tandis que dix Allemands et onze Français devraient l’être sous peu.

«Nous n’allons pas pouvoir les garder jusqu’à la fin des temps [...] Nous ne sommes pas un hôtel pour les membres de Daech», a déclaré à la presse le ministre turc de l’Intérieur, Süleyman Soylu.
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Si ce renvoi fait beaucoup de bruit médiatique, il ne s’agit pas du premier transfert de ce type. En effet, depuis 2014, un accord entre Paris et Ankara du nom «protocole Cazeneuve» existe et offre un cadre pour les renvois de djihadistes de la Turquie vers la France. Via ce processus de coopération entre services de renseignements turcs et français, les djihadistes renvoyés vers la France sont déjà connus et leur prise en charge est facilitée.

​Force est pourtant de constater qu’il y a une rupture dans la méthode concernant ces transferts, d’une part du fait du caractère public de cette annonce et d’autre part dans le ton menaçant qu’ont tenu les autorités turques lors de celle-ci.

Pourquoi donc le Président turc a-t-il changé de mode opératoire concernant le renvoi des djihadistes dans leurs pays d’origine? Sputnik France a posé ces questions à Alexandre Del Valle, géopolitologue, spécialiste des questions concernant les relations entre l’Europe et la Turquie. Entretien.

Sputnik France: La menace agitée par Erdogan de renvoyer les djihadistes européens sur leur continent d’origine, est-ce une menace en l’air? Un coup de buzz médiatique isolé? Ou risque-t-on de vraiment de voir débarquer tous les djihadistes détenus par la Turquie vers leurs pays d’origine?

Alexandre Del Valle: «Non, je pense que la plupart des djihadistes ne débarqueront pas. Un accord existe déjà pour assurer le transfert des djihadistes de la Turquie vers la France. Dans ce cas de figure, il s’agit d’Erdogan qui veut faire peur en agitant le spectre du retour des djihadistes. Il y en a beaucoup plus qui sont rentrés par le passé dans le cadre de l’accord que nous avons évoqué. C’est beaucoup de bruit pour peu de choses de la part d’un Erdogan qui aime le rapport de force, et qui est le roi du bluff et de l’intimidation. Face à des Européens complexés, qui ont peur du mot force, il arrivera toujours à faire peur.

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Paradoxalement, on voit que quand il est confrontés à des dirigeants plus pragmatiques comme Trump ou Poutine, il est prêt à accepter les “deals” les plus cyniques. Recep Tayyip Erdogan est un homme pragmatique, mais il sait qu’avec des interlocuteurs complexés comme les Européens, il peut arriver à faire peur. De son point de vue, il a d’ailleurs raison d’essayer. Mais nous Européens avons tort de nous laisser impressionner.»   

Sputnik France: Qu’est-ce qui explique ce calendrier? Est-ce une réponse aux propos tenus par Macron sur l’Otan il y a quelques jours?

Alexandre Del Valle: «Je pense qu’Erdogan veut graver dans le marbre le fait que les Européens ont lâché les Kurdes. C’est un moyen de rappeler aux Européens que si jamais ils font marche arrière et mettent des bâtons dans les roues des Turcs en Syrie, il ouvrira les vannes des djihadistes et des réfugiés. Cela s’inscrit dans sa stratégie de négociation. Il faut comprendre que pour Erdogan, le soutien des Européens aux Kurdes, même moral, est un affront. De son point de vue, c’est comme s’il soutenait les indépendantistes corses ou basques contre Paris.»

Sputnik France: N’a-t-on aucun levier pour dissuader Erdogan de mener à bien son entreprise?

Alexandre Del Valle: «Au final, c’est comme dans une confrontation d’homme à homme dans la vie de tous les jours: c’est celui qui gueule le plus fort, qui montre ses muscles et qui est le plus prêt à aller à l’affrontement, qui gagne. Celui qui est effrayé par les gestes ou la violence de l’autre plie. En relations internationales, qu’on le veuille ou non, ce sont les rapports de force qui dominent les échanges, et les acteurs internationaux ont une perception de l’Europe faible. De surcroît, aux yeux des autres acteurs, l’Europe apparaît comme un continent qui détruit les souverainetés nationales, mais sans réussir à parachever une souveraineté européenne.

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D’un point de vue personnel, je serai européiste s’il y a avait un vrai projet européen, basé sur l’aspect civilisationnel du continent, avec une réelle possibilité d’exister comme acteur international. L’Europe ne peut que détruire un petit peu les nations, sans les détruire totalement, et elle ne peut que forger un fédéralisme européen, sans vraiment avoir toutes les prérogatives d’une souveraineté. De ce fait, l’Europe est un espace de non-puissance, ou d’hyper-impuissance volontaire.»

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