Face aux influences étrangères, Libanais et Irakiens «doivent rester libres de choisir leur destin»

Le Liban et l’Irak sont traversés par d’importants mouvements de contestation. Si la France a perdu pied au Proche-Orient suite à sa politique ambigüe en Syrie, ce n’est pas le cas des autres grandes puissances. Si l’Iran est souvent pointé du doigt dans la presse, on oublie les États-Unis et leurs alliés du Golfe. Analyse.
Sputnik
«Ce serait servir toutes les puissances du monde que d’avoir une voix française originale. Les Chinois, les Russes, les Américains ont besoin d’une France qui soit capable de faire l’interface et de comprendre les problématiques complexes du Proche-Orient. Elles n’ont pas besoin d’une France qui soit à la remorque de composiums internationaux, où l’on fait beaucoup d’idéologie, des intérêts américains cachés.»

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Charles de Meyer, président de l’association SOS Chrétiens d’Orient, essentiellement implantée au Proche-Orient, revient sur la situation qui agite deux pays où elle conduit des missions: le Liban et l’Irak. Si au pays du cèdre, les manifestations qui paralysaient encore en début de semaine Beyrouth n’ont débuté que le 17 octobre, celles qui déchirent l’Irak perdurent depuis plus d’un an. Débutées à l’été 2018 dans les grandes villes du pays, ces dernières ont radicalement changé d’échelle à partir de ce même mois d’octobre, pour toucher tout le pays. Un mois d’octobre rouge en Irak, où depuis le début du mois dernier plus de 260 manifestants auraient été tués par les forces de l’ordre.

«Si j’étais moi-même Libanais, dans la situation à laquelle ils sont confrontés, je serais dans la rue», concède Charles de Meyer. Ce dernier évoque les carences en termes d’infrastructures au Liban, un pays relativement riche pour la région, ainsi que les difficultés tant sécuritaires que fiscales dans le cas de l’Irak. Si les manifestations au Liban sont bien plus couvertes en France que celles en Irak, Charles de Meyer regrette que les journalistes tricolores, qu’il juge à la recherche de «boucs émissaires», aient «beaucoup de mal» à appréhender les subtilités de la société libanaise dans leur ensemble.

«On a un journalisme petit-bourgeois dans la couverture des évènements, où l’on pense que ce qui est important pour les Libanais, c’est de faire des manifestations à la française –certains ont l’impression d’être face à des zadistes dans les rues de Nantes–. Or, la question pour les Libanais, c’est de lutter contre la corruption, pour les chrétiens de lutter contre le vol de leurs impôts –les chrétiens paient beaucoup d’impôts avec une redistribution qui est très faible– et puis assurer l’équilibre sécuritaire du pays. Un équilibre sécuritaire qui demande la prise en compte de toutes ses composantes et cela les journalistes français ont beaucoup de mal à le comprendre.»

Au delà de la vision biaisée de la situation véhiculée par les médias hexagonaux, Charles de Meyer ne cache pas son inquiétude sur l’issue de ces mouvements contestataires, dans une région déjà «profondément blessée», notamment par les différents «intérêts qui y habitent». Il rappelle ainsi les «prétendus Printemps arabes» et leurs conséquences catastrophiques pour la stabilité de la région, des mouvements populaires qui avaient été accompagnés par la montée en puissance de «tous les islamismes».

«La France avait comme principal allié Saad Hariri, qui a été le premier poussé à la démission. Donc, on voit que nous avons sans doute parié sur le mauvais cheval. La situation est terrible, puisqu’on serait en train de demander à Saad Hariri de reformer un gouvernement, ce qui a mon avis ne ferait que relancer les manifestations.»

Pour Charles de Meyer, la France «paie malheureusement les pots cassés d’une politique qui n’est pas cohérente au Proche-Orient». Notre intervenant évoque tout particulièrement les conséquences pour Paris de ses positions dans le dossier syrien. Le Proche-Orient, où il estime que la France a pourtant une «une vocation d’équilibre», de par ses liens historiques et culturels. Or, si la France figure aux abonnés absents, ce n’est pas forcément le cas de toutes les puissances ayant des intérêts dans cette région.

«Partout au Proche-Orient, nous refusons que des ingérences étrangères viennent capter, désorienter ces manifestants. C’est très sensible en Irak, où la présence du voisin iranien mobilise des interférences étrangères majeures, notamment celles des États-Unis, qui ont l’air d’être particulièrement impliqués dans les manifestations. Et on peut le craindre au Liban, puisque le Washington Post, notamment, met la pression sur les manifestants libanais depuis le début des mobilisations sociales», analyse Charles de Meyer.

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S’interroger quant à la possibilité d’une ingérence américaine en Irak, une démarche qui tranche avec celle des médias occidentaux, qui évoquent bien plus volontiers l’influence du voisin iranien. Pour ce dernier, tant les Libanais que les Irakiens doivent être les seuls artisans de leurs révoltes et des réformes qui affecteront leurs pays respectifs. L’Iran a justement estimé qu’en Irak, on ne pouvait ignorer les influences étrangères en marge des manifestations irakiennes fondées sur des «demandes légitimes», pointant du doigt les États-Unis, Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

La Syrie est perdue. Sauvons le Liban, titre une tribune publiée dans le Washington Postla veille de la première manifestation à Beyrouth, qu’évoque le président de SOS Chrétiens d’Orient. «La dernière chose dont le Moyen-Orient a besoin est un autre État failli, tout particulièrement à la frontière israélienne», assène David Ignatius, chroniqueur du célèbre journal américain, plus connu en France pour ses romans d’espionnage. S’il estime que de suivre les suggestions de «certains responsables américains» de ruiner le Liban pour faire pression sur l’Iran serait un «acte de folie supplémentaire de l’Administration Trump», il n’en exhorte pas moins cette dernière à agir.

Pour David Ignatius, la «croyance» des Libanais que les États-Unis ne «laisseraient pas le pays être entièrement dominé par les ennemis de l’Occident» a contribué à préserver jusqu’ici le fragile équilibre au Liban. Or, la confiance des Libanais serait à présent ébranlée suite à l’abandon des Kurdes par les Américains face à un allié de l’Otan: la Turquie.

«Redoublez d’efforts au Liban, un pays où les États-Unis fournissent déjà une aide économique et militaire importante», exhorte le chroniqueur, qui ajoute que «les États-Unis devraient encourager l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les autres puissances régionales qui s’opposent à l’Iran à également investir plus d’argent au Liban.»

Tout au long de l’article, le «principal ennemi d’un Liban souverain» est régulièrement pointé du doigt par le chroniqueur: le Hezbollah. «Le Hezbollah, quoi qu’on en pense, est une composante de la société libanaise», tempère Charles de Meyer, même s’il juge personnellement leurs positions «parfois excessives dans le paysage public» du pays. «Vouloir son exclusion, sa mise au ban de la société, n’est de toute façon pas crédible», ajoute-t-il.

Selon David Ignatius, en échange d’une aide américaine pour pérenniser et sécuriser la frontière libanaise, Washington «doit exiger des réformes urgentes» à Beyrouth, telles que la privatisation des infrastructures énergétiques et de télécommunications du pays. Pour notre intervenant, «les Libanais doivent rester libres de choisir leur destin».

«C’est aux manifestants et aux sociétés civiles de ces pays de répondre à ces questions: soit ils veulent une voix libanaise et irakienne de réponse de leur colère et une restructuration des États, soit ils se laissent déranger par des influences étrangères qui seront néfastes, car les États-Unis ne visent pas la stabilité du Proche-Orient. Ils n’ont pas de politique continue et stratégique dans la région, ils ont une politique trop souvent liée au chaos et donc c’est particulièrement dangereux pour eux», estime Charles de Meyer.

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Dans une interview accordée à la revue l’Incorrect, à son retour de Beyrouth, le directeur général de l’association, Benjamin Blanchard, fait part de son étonnement à propos de «la nourriture, le matériel de sonorisation, les installations et tous les moyens qui ont très vite mis en place» pour les manifestants. Il s’interroge sur les origines de ces moyens et sur une éventuelle tentative de récupération étrangère du mouvement de grogne. Benjamin Blanchard rappelle notamment l’«hostilité» de Washington à l’encontre du ministre libanais des Affaires étrangères, suscité par sa volonté de faire rentrer chez eux les 1,5 million de réfugiés qui sont arrivés ces huit dernières années au Liban, «y compris en négociant avec le gouvernement syrien.»

Évoquant la neutralité, voire la bienveillance des gouvernements libanais et irakiens vis-à-vis de Téhéran, Benjamin Blanchard estimait ainsi auprès de nos confrères qu’ils «pourraient constituer des cibles idéales» pour les États-Unis dans leur volonté d’isoler l’Iran.

«Tracer l’origine de cette aide me paraît absolument nécessaire, pour les manifestants eux-mêmes d’ailleurs», confirme à notre micro Charles de Meyer.

Chercher à renvoyer à terme les réfugiés syriens de l’autre côté de la frontière, une politique qui «découle d’une culture profondément enracinée de xénophobie et de nationalisme sectaire», selon le magazine Foreign Policy (détenu par le Washington Post). L’organisation internationale du travail (OIT) est quant à elle une approche plus pragmatique concernant l’impact socio-économique de cette vague de réfugiés au Liban, petit pays de quatre millions d’âmes, où un habitant sur deux est un réfugié. Comme le précise l’agence onusienne, seulement la moitié de ces réfugiés sont «actifs économiquement».

«En raison de la crise des réfugiés syriens au Liban, environ 170.000 Libanais sont tombés dans la pauvreté en 2015, le taux de chômage a doublé pour atteindre environ 20% et des pertes économiques de quelque 7,5 milliards de dollars ont été subies», notait l’OIT, reprenant les estimations d’un rapport de la Banque mondiale.
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