André Hébert, «activiste révolutionnaire» français parti se battre contre Daech

Parti combattre Daech* aux côtés des YPG et des FDS en Syrie, le militant communiste André Hébert appelle la France à ne pas abandonner les Kurdes face à la Turquie. Entretien avec un personnage hors du commun, qui a risqué sa vie pour ses convictions.
Sputnik

Et si les black blocs partaient se battre contre Daech*? Une idée saugrenue, mais qui inquiète la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) qui a importuné André Hébert avant son départ pour la Syrie. Fiche S, destruction de sa carte d’identité et de son passeport, les services n’ont pas lésiné sur les moyens pour l’en empêcher, craignant qu’il utilise son expérience militaire afin de «porter atteinte aux intérêts français». Sauf qu’André Hébert n’est pas un islamiste radicalisé, il se définit lui-même «en tant qu’activiste révolutionnaire, internationaliste, marxiste».

Formé aux organisations anticapitalistes depuis l’adolescence, il voit dans le combat des Kurdes en Syrie «une guerre révolutionnaire au service d’un idéal démocratique et collectiviste» contre les «néofascistes» djihadistes. Des agissements de la DGSI qui apparaissent d’autant plus surprenants qu’il a croisé lors d’escarmouches avec Daech*, des forces spéciales françaises qui s’appuyaient jusqu’à très récemment sur les Kurdes. Il raconte sa démarche dans un ouvrage remarquable Jusqu’à Raqqa (Ed. Les Belles Lettres), dans la collection «Mémoires de guerre» aux côtés de Churchill et de H. G. Wells. Sputnik l’a interrogé, voici son témoignage.

Retrouvez cet entretien sur notre page YouTube

Tout est mystère chez André Hébert, pseudonyme choisi en hommage au révolutionnaire, qui exige d’apparaître le visage masqué. On saura juste qu’il appartient à un milieu bourgeois et intellectuel et qu’il a étudié l’histoire à l’université. Pourquoi une telle discrétion? Le jeune homme se prémunit contre toute menace, pour sa sécurité et sa paix sociale, et pour ne pas recueillir les lauriers d’un combat collectif. Parti à deux reprises au front contre l’État islamique*, l’individu a la poignée franche, le regard limpide mais dur.

Une nouvelle guerre d’Espagne?

Le Bataillon international pour la liberté, auquel il a appartenu, a été fondé en 2015 en référence aux Brigades internationales de la guerre d’Espagne parties combattre le caudillo Franco. Un bataillon estimé à 800 soldats, provenant du monde entier, au sein des YPG (Unités de protection du peuple), bras armé du PYD (parti de l’union démocratique), formation politique kurde syrienne. André Hébert nous explique le double intérêt de ces combattants internationaux pour la cause kurde:

«L’intérêt pour eux, c’est d’abord en termes de communication: ils savent très bien qu’en tant qu’Occidentaux, on peut être des relais de leur cause dans nos pays respectifs. Il y a aussi un intérêt secondaire, qui est d’ordre militaire. Un certain nombre de mes camarades étaient d’anciens soldats, d’anciens militaires de carrière très compétents. Lors de mon deuxième séjour sur place, dans la bataille de Raqqa, j’avais déjà participé à des offensives en 2015 et 2016. Et j’étais plus expérimenté que la plupart de mes camarades arabes avec lesquels je participais à cette reprise de Raqqa.»
La deuxième patrouille russo-turque débute dans le nord-est syrien

Trois Français – Frédéric Demonchaux, Olivier Le Clainche et Farid Medjahed – comptent parmi les morts du bataillon international.

Plus que l’indépendance des Kurdes, le confédéralisme démocratique

Le PYD est l’émanation syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK d’Abdullah Öcalan, organisation reconnue comme terroriste pour ses nombreux attentats par la Turquie, l’UE et les États-Unis. Un cauchemar existentiel pour le gouvernement turc, qui craint une partition de son territoire. Pourtant, selon l’auteur, la formation politique aurait bien évolué, passant d’un marxisme-léninisme dans les années 1990 au confédéralisme démocratique, une «une réelle alternative au capitalisme et à la social-démocratie». Militant communiste dès son adolescence, André Hébert découvre en 2014 le mouvement kurde à travers les récits des médias sur la bataille de Kobané, ville syrienne défendue par les YPG contre l’État islamique*. Plus qu’une bataille pour l’autodétermination, voire l’indépendance, du Kurdistan, il y trouve ainsi une lutte pour mettre en pratique ses convictions:

«Un véritable combat révolutionnaire, basé sur un système de commune, de coopératives, sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’égalité entre toutes les ethnies et toutes les communautés […]  J’ai immédiatement compris à ce moment-là qu’il fallait que je me rende sur place et que je joue mon rôle dans cette révolution, dans cette guerre dont j’avais déjà conscience à l’époque qu’elle resterait dans l’Histoire.»

Mort d’al-Baghdadi: le commandant des FDS évoque cinq mois d’«une surveillance précise»
Il réfute ainsi en bloc les graves accusations d’Amnesty International à l’encontre des YPG sur des crimes de guerre commis – notamment sur l’utilisation d’enfants-soldats et de déplacements de population. Ayant stationné avec son unité mobile dans un village turkmène sur lequel l’ONG a fondé un rapport, André Hébert témoigne que le document est bâclé, voire mensonger, et tente de disculper les YPG, expliquant que «la population de ce village soutenait ouvertement Daech*. Pour autant, nos commandants ont décidé de les laisser dans ce village, sur leurs terres alors qu’ils apportaient un soutien direct à l’ennemi sur la ligne de front».

Pourquoi la France devrait être davantage concernée par la cause kurde

Dénonçant la trahison et la lâcheté du gouvernement français se cachant derrière la décision américaine, il signait le 31 octobre dernier dans Libération, avec ses camarades du collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava (CCFR), une tribune appelant la France à ne pas abandonner les Kurdes à leur sort.

«La France aurait dû dès le mois de décembre 2018 s’organiser pour envoyer plus de troupes et remplacer les soldats américains qui allaient partir, créer une zone d’exclusion aérienne au-dessus du Rojava. Il n’aurait pas fallu beaucoup d’hommes, probablement un millier auraient suffi pour sanctuariser ce territoire.»

André Hébert illustre son propos avec la prise de Raqqa qui n’était pas une priorité pour eux: «S’ils ont pris cette ville, capitale de la terreur en Syrie, c’est pour nous rendre service à tous […] On a une dette envers les Kurdes.» Deuxième élément, la détention de 400 djihadistes français dans les prisons kurdes. L’opération turque «Source de paix» aurait eu pour conséquence de «permettre l’évasion d’un certain nombre de ces prisonniers» extrêmement dangereux.

En Syrie, aux côtés des Turcs, «ce sont des anciens d’Al-Qaida, de Daech»
Il s’agit donc, pour notre propre sécurité, de soutenir les Kurdes afin d’éviter ce retour massif d’islamistes. Troisième point: c’est un cri d’alarme sur ce qu’est en train de réaliser Ankara, l’installation massive de ses supplétifs arabes «qui ne sont pas moins dangereux que Daech*» dans cette fameuse zone tampon de 30 km à la frontière turco-syrienne, ainsi «on risque de se voir recréer, comme c’est le cas dans la région d’Afrin, un califat bis».

«L’hypocrisie de ces combattants» de Daech*

Participant activement à la prise de Raqqa en 2017 pour son second séjour, il témoigne de la violence des combats, les horreurs de la part de ces fanatisés, où il a été confronté à des massacres de villages entiers ou à des camions-suicides bourrés d’explosifs dirigés contre eux. Il raconte ainsi ses souvenirs de guerre, notamment la libération de Shedade en 2016. Chargé de l’exploration des bâtiments où logeaient les djihadistes francophones, il a retrouvé les débris de vies des combattants de Daech*.

«Je me souviens, par exemple, avoir trouvé une pipe à eau artisanale, faite dans une bouteille en plastique qui sentait encore la résine de cannabis. Quand on sait que les combattants de Daech* punissent de mort  les gens qui consomment des drogues et qui vivent sous leur contrôle, on a pu se rendre compte directement de l’hypocrisie de ces combattants.»
Un retour en France perturbé par ses ennuis avec la DGSI

Son premier départ date de juillet 2015, il avait alors 24 ans et est rentré dix mois plus tard dans l’Hexagone pour des soucis de famille. À l’approche de l’assaut final, la prise de Raqqa, il tente de repartir. Mais deux jours avant son départ, la DGSI le réveille au saut du lit, quatre policiers l’entourent et lui prennent son passeport et sa carte d’identité. Il est désormais fiché S. Une notification du ministère de l’Intérieur lui en détaille les raisons:

«J’ai été accusé d’entretenir des liens avec l’émanation d’un groupe terroriste et que mon expérience militaire était susceptible d’être utilisé dans le cadre d’attaques contre les intérêts français.» 

Son appartenance au militantisme anticapitaliste doublé d’une expérience militaire opérationnelle représentait ainsi une source d’inquiétude pour le renseignement français. Le tribunal administratif lui a finalement donné raison, l’État a été condamné à lui rendre ses papiers d’identité, lui permettant de repartir combattre à Raqqa. Puis très récemment, l’État a été à nouveau condamné à lui verser «des dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et moral que j’ai subi». Le militantisme pour André Hébert consiste aujourd’hui à faire la promotion de son livre pour la cause «pour parler de ce qui se passe là-bas, du sens de notre combat. Aujourd’hui c’est ma façon de militer, demain je ne sais pas ce que ça sera». Et les Kurdes, que peut-il leur arriver dorénavant? 

«Ce qui est en train d’avoir lieu restera probablement comme un revers dans l’histoire de cette lutte mais ce n’est pas la fin de la lutte des Kurdes, loin de là.»

* Organisation terroriste interdite en Russie

Discuter