Le péronisme, éternelle force politique en Argentine? Ce courant populaire, qui structure la vie politique de ce pays depuis près de 80 ans, fait son retour en force.
Le candidat péroniste et centriste, Alberto Fernandez, a remporté l’élection présidentielle du 27 octobre dernier, épaulé par l’ex-Présidente controversée Cristina Kirchner (2007-2015), qui assurera la vice-présidence. Le Président défait, le libéral-conservateur Mauricio Macri, n’aura pas gouverné plus de quatre ans. Au premier tour, Fernandez a obtenu 47,4% des voix contre 41,1% pour Macri. L’obtention d’au moins 45% par un candidat suffit pour écarter la tenue d’un second tour.
«Maintenant, il ne reste plus qu’à honorer les promesses que nous avons tenues, car chaque engagement que nous prenons est un contrat moral et éthique avec les Argentins à propos du pays que nous devons construire», a déclaré Alberto Fernandez dans son discours de victoire le 27 octobre.
Les défis du nouveau gouvernement sont immenses. Secouée par une crise économique rappelant celle de 2001, l’Argentine traverse une nouvelle rude période de son histoire. Pour la sociologue Maristella Svampa, auteur de plusieurs livres sur la politique argentine, le gouvernement devra agir très vite pour prévenir d’éventuels soulèvements populaires. Si l’élection s’inscrit dans un contexte de crise économique, elle survient aussi alors qu’un vent de colère gronde dans plusieurs pays latino-américains, comme le Chili, la Bolivie et l’Équateur. Après le Printemps arabe, vers un Automne latino?
«La situation économique et financière de l’Argentine est très critique et a empiré après les élections primaires du mois d’août dernier. Le taux de chômage est très élevé. […] La population s’attend à ce que la situation s’améliore vite. Les attentes seront très grandes, surtout celles venant des classes moyennes, laissées pour compte par l’ancien Président. Le nouveau gouvernement de Fernandez est conscient qu’il aura très peu de temps pour agir et calmer la situation», souligne la sociologue au micro de Sputnik.
Le correspondant à Buenos Aires du journal espagnol La Varguandia, Robert Mur, parlait récemment d’une «élection de la faim». La crise économique remonte à déjà plus d’un an. Le 9 septembre 2018, le même journaliste écrivait que l’Argentine était entrée dans une «chasse au trésor». «Chaque matin, les citoyens sont plus préoccupés par le prix du dollar que par les températures printanières de la fin de l’hiver austral», ajoutait-il, en évoquant le problème de l’inflation galopante.
En juin 2018, le Fonds monétaire international a débloqué 50 milliards de dollars pour venir en aide à la patrie de Jorge Luis Borges. Compte tenu de la situation économique, le retour des péronistes était le scénario le plus anticipé par les analystes.
«C’était une victoire prévisible. Toutefois, ce qui n’était pas prévisible, c’est que Mauricio Macri obtienne encore autant d’appuis. 41%, c’est encore beaucoup. Fernandez et Kirchner ont réussi à l’emporter en refaisant l’unité de leur camp. Cette stratégie leur a permis de faire le plus de gains dans les territoires importants comme la province de Buenos Aires», précise Mme Svampa.
La sociologue considère le néo-libéralisme comme le grand responsable des crises dans lesquelles sont actuellement plongés plusieurs pays latino-américains. Selon elle, loin de servir de bouc émissaire, ce régime économique ne profite pas à tous les citoyens:
«L’Amérique latine est fortement mobilisée contre les politiques néo-libérales, notamment en Équateur et au Chili. En Argentine, il y a une véritable tradition de mouvements sociaux opposés à ces politiques économiques […] Le nouveau Président Fernandez a beaucoup insisté sur l’idée d’intégrer tous les secteurs et individus de la société à l’économie. Cette idée est très forte. […] Le néo-libéralisme n’est pas le seul responsable de la crise, mais il représente une recette qui a toujours échoué en Amérique latine», observe la sociologue.
Si l’économie a retenu presque toute l’attention des candidats et électeurs, elle n’a pas été le seul thème de campagne. Maristella Svampa estime que l’opposition de Macri à l’avortement a aussi contribué à la victoire de ses adversaires péronistes:
«L’opposition a mis l’économie au centre de sa campagne, mais la question de l’avortement a aussi polarisé l’électorat. Ce fut un débat de société très important dans la dernière année. Le combat pour le droit à l’avortement est ancré dans un mouvement féministe très fort, probablement l’un des plus forts en Amérique latine. Il y a plusieurs groupes et partis opposés à l’avortement qui ont émergé récemment dans les sociétés latino-américaines. Mauricio Macri s’était prononcé contre l’avortement alors que Alberto Fernandez s’était prononcé pour», a ajouté la sociologue.
Rappelons que la nouvelle vice-présidente et ex-Présidente argentine, Cristina Kirchner, a notamment été impliquée dans le grand scandale des «cahiers de la corruption». En 2018, des perquisitions ont été menées par les autorités dans des résidences de Mme Kirchner et de son défunt mari, l’ancien président Nestor Kirchner. Plusieurs chefs d’entreprise avaient été placés en détention, dont le patron d’une société du Groupe Macri, fondée par le père du Président défait.
Deux jours après l’élection du 27 octobre, la Chambre fédérale de Buenos Aires a annulé deux poursuites qui pesaient sur Cristina Kirchner dans le cadre de cette affaire. Des événements sur lesquels semble avoir tourné la page la population, du moins jusqu’à nouvel ordre...