Il y a un mois, un gigantesque incendie consumait les zones de stockage de Lubrizol. L’usine chimique, classée Seveso «seuil haut», fabriquait et stockait des additifs pour carburants. L’incendie a non seulement ravagé l’usine, mais a aussi touché les trois entrepôts du site voisin de Normandie Logistique. Au total ce sont plus de 9.000 tonnes de produits chimiques qui sont parties en fumée le 26 septembre. Les causes sont encore inconnues, bien qu’Éric Schnur, PDG de Lubrizol monde ait encore affirmé, lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat, que l’origine du feu serait extérieure à son entreprise.
Mais depuis fin septembre, les interrogations fusent. Alors que l’incendie a débuté dans la nuit, l’alarme de la ville a sonné seulement le matin vers 8 h. Le nuage s’est certes dissipé, mais où est-il allé et quelles répercussions a-t-il eues sur la santé des habitants? Tout comme de nombreux Rouennais, les pompiers et les forces de l’ordre qui sont intervenus sur le site se sont plaints de vomissements, de maux de tête, d’irritations de la gorge et des yeux, obligeant certains à prendre des arrêts maladie. Trois semaines après le drame, les analyses biologiques des pompiers sont revenues «anormales», avec des bilans hépatiques perturbés, selon les informations du Monde.
Pourtant, Agnès Buzyn a déclaré qu’il était impossible pour le moment de faire un lien entre ces résultats et l’incendie. Il est vrai que seuls le temps et des analyses plus approfondies pourront établir ce lien. Comme pour le drame du 11 septembre, où des milliers de secouristes ont été atteints d’un cancer des années plus tard. Bien qu’il soit difficile d’affirmer la cause exacte d’un cancer, David Prezant, médecin en chef des pompiers new-yorkais a expliqué à l’AFP, «que le taux de cancer a augmenté entre 10 et 30% chez les gens exposés au nuage.» Un taux qui ne peut qu’augmenter, en raison du temps de développement de certains cancers. Comment ne pas se poser la question concernant Lubrizol?
Quelles répercussions sur les produits alimentaires ou les animaux? Des agriculteurs ont constaté des retombées de suies sur leur terrain. Depuis le début de l’affaire, le gouvernement s’est voulu rassurant, insistant sur la non «toxicité aiguë» des fumées, en l’absence de résultat des analyses, augmentant la défiance de la population, qui a manifesté à plusieurs reprises pour connaître la vérité.
Par précaution, des mesures ont été prises, certaines écoles ont été fermées pendant deux jours. Au moment de l’incendie, les autorités ont conseillé aux habitants de rester confinés chez eux, des restrictions ont visé des productions alimentaires comme le lait, les œufs ou le miel sur cinq départements touchés par le nuage: la Seine-Maritime, la Somme, l’Aisne, l’Oise et le Nord. Des agriculteurs ont été obligés de jeter leurs productions avec la promesse d’une indemnisation qui devrait s’élever au total à 50 millions d’euros. Les restrictions sur les productions alimentaires ont été levées après publication de l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et le 25 octobre, Lubrizol s’est engagé à dédommager à 100% les acteurs économiques rouennais touchés par l’incendie grâce à un accord signé avec le Premier ministre.
Des analyses rassurantes, mais insuffisantes
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) a régulièrement publié des analyses, sur les risques alimentaires, les dioxines, la qualité de l’eau, ou encore l’amiante bien présent dans les 8.000 m2 de toiture de l’usine partis en fumée, «qui n’auraient pas généré autour du site de niveaux inhabituels ou préoccupants de fibres d’amiante dans l’air», selon la préfecture, alors que Mediapart, voyait des taux bien plus hauts que ceux annoncés par les autorités.
Toutes les analyses officielles ont montré des résultats qui ne dépassent pas le seuil réglementaire, mais préconisent un plan de surveillance adapté, s’inquiétant pour le long terme. François Veillerette, directeur de Générations Futures, une ONG de défense de l’environnement agréée par le ministère de l’Écologie, préconise un programme de suivi à long terme, comme l’étude des statistiques des maladies chez les personnes exposées.
L’audition du PDG de Lubrizol Monde
Le 22 octobre, Éric Schnur, président de Lubrizol a été entendu pour la première fois par la commission d’enquête du Sénat, sans pour autant convaincre son président, Hervé Maurey.
Il a d’abord présenté ses excuses à toutes les personnes touchées par l’incendie, dont l’indemnisation a d’ailleurs été actée ce 25 octobre et a réaffirmé que l’origine de l’incendie était bien extérieure: «J’ai pu voir deux vidéos après l’incendie, qui nous portent à penser que l’incendie a démarré hors de notre site». Selon lui, tout va bien. Pas d’impact sur l’environnement ni sur la santé. Il a même affirmé « qu’il n’y a aucune différence significative entre ce qui a brûlé à Lubrizol et ce que l’on peut trouver dans l’incendie d’une maison.»
Des propos qui ont interpellé Hervé Maurey,le président de la commission sénatorialle, qui ne se dit pas convaincu par le PDG, lequel doit d’ailleurs fournir des éléments complémentaires sous 15 jours. Hervé Maurey déclarait sur la matinale de LCI le 23 octobre:
«Lubrizol est une entreprise qui n’est pas tout à fait exemplaire.»
Et pour cause, déjà en 2013, Lubrizol a connu une fuite de gaz «pas toxique», selon le gouvernement, mais jugé toxique par inhalation et très toxique pour les organismes aquatiques, avec effets néfastes à long terme par l’INRS. Elle a été perceptible jusqu’au sud de l’Angleterre. Là encore, les autorités avaient mis du temps à réagir. L’enquête avait conclu à de la négligence et à «une série d’insuffisances dans la maîtrise des risques de la part de la société». Lubrizol avait été condamné à 4.000 euros d’amende. Un an plus tard, nouvel accident, 2.000 litres d’huiles minérales se sont déversés dans le réseau d’évacuation des eaux pluviales, mettant en lumière la responsabilité de la société. Un article de Libération paru le 24 octobre 2019, relayait le témoignage d’anciens employés qui dénonçaient des dysfonctionnements au niveau de la sécurité, comme Denis, 45 ans, qui travaillait à Lubrizol en 2003:
«Niveau sécurité, c’était un peu léger. Quand on était d’astreinte, y avait pas un jour sans qu’on soit appelé pour un problème. L’alarme était souvent cassée […]. Plutôt que de remplacer des pièces défectueuses, on réparait. C’était du bidouillage.»