Sputnik: Maria, il y a quelques heures seulement que vous avez quitté les États-Unis après un an et demi de réclusion. Avez-vous pris conscience que tout ceci est désormais du passé?
Maria Boutina: J’ai l’impression que toute ma vie a été divisée en deux. Comme si tout ce qu’il s’est passé, s’est passé, mais pas avec moi. J’ai l’impression que c’est ce qui m’a sauvée lors de mon arrestation. Je pense que maintenant tout va dans un sens positif. C’est comme un paradis. Tout va si bien.
Sputnik: Comment s’est déroulée votre dernière journée en prison?
Maria Boutina: Rien ne s’est passé comme prévu. Ils m'ont remis un document disant qu’ils devaient venir me chercher à 8h00 du matin. Évidemment, ils ne sont pas venus me chercher à 8h00. On m'a emmenée à 6h00 avant que tout le monde aille petit-déjeuner.
Tous étaient enfermés dans leurs cellules. J'ai été conduite dans le noir. Pendant cinq mois, j’ai vécu en régime général. Alors, pourquoi mettre en scène un tel spectacle?
Pour chaque mois [de prison, ndlr], j'ai réussi à gagner 28 dollars et 80 cents.
Ainsi, vous, camarades, qui croyez que la prison américaine est un paradis: détrompez-vous. La prison américaine est un enfer.
Et c'est de l'esclavage parce que vous ne pouvez pas refuser de travailler. Si vous refusez de travailler, vous serez envoyé en isolement. Par conséquent, l'esclavage existe en Amérique.
Sputnik: À quel point les accusations portées contre vous étaient-elles inattendues?
Maria Boutina: C’est un délire complet. Je n’arrivais pas à y croire. Lorsque j’ai vu l’acte d’accusation, j’ai cru qu’il s’agissait d’une blague: lorsque tes échanges sur Twitter sont mal traduits, la traduction est absolument horrible…
Je peux donner un exemple. Nous avons l’expression: «La technique à la limite de la fantaisie». Donc le mot «technique» doit être traduit comme, disons, «technics». Il a été traduit comme «equipment» («équipement»). Ils ont donc mis «secret equipment». Mais «la technique à la limite de la fantaisie», ce n’est pas l’«équipement secret», on ne peut pas traduire ainsi.
Lorsque je l’ai vu, je n’ai même pas pu croire que quelqu’un puisse en faire quoi que ce soit. Et puis, toutes ces histoires avec le sexe contre l’argent, le pouvoir, lorsque ma blague avec un ami de longue date –qui vit d’ailleurs en Russie– a été présentée comme la tentative de m’infiltrer dans une organisation américaine, c’est une sorte d’Alice au pays des merveilles. C’est de l’autre côté du miroir.
Je pense qu’ils croyaient vraiment qu’ils avaient attrapé quelqu’un, mais avant d’arrêter une personne il faut avoir des fondements.
Sputnik: Et la convocation au Sénat, les perquisitions, d’abord chez votre ami, puis chez vous, ne vous ont-ils pas alertée? L’idée qu’on creuse autour de vous?
Maria Boutina: Apparemment, j’étais une personne naïve. Je vivais dans l’illusion d’être dans un État de droit.
Dans l’actualité, il y avait de vilains articles à mon sujet, mais je m’en moquais, car je savais que c’était absurde.
Mais, comme on dit, il suffit d’avoir l’homme et l’affaire se trouvera [blague relevant de l’époque soviétique, ndlr]. Et dans cette situation, cela ne s’applique pas à l’Union soviétique, mais aux États-Unis actuels. C’est surréaliste.
Sputnik: Vous avez fini par plaider coupable. C’était une mesure indispensable? Comment l’avez-vous accepté?
Y avait-il des pressions? Absolument. Certainement. À dix jours que je signe tous les documents d’accusation, on m’a de nouveau isolée.
C’était fait exprès. C’est la volonté d’annihiler la personnalité. Me convaincre qu’ensuite il n’y aura rien, que tu dois révéler tous tes secrets. Sauf que je n’en avais pas.
Regardez les statistiques de la justice américaine. Entre 98 et 99% se disent coupables. Pourquoi? Car il est impossible de l’emporter sur le jury.
Si on m’avait proposé une cour internationale indépendante, où des gens de différents États auraient examiné mon cas de manière objective, j’aurais lutté jusqu’à la fin.
Sputnik: Qu’est-ce qui a été le plus difficile au cours de ces 18 mois?
Maria Boutina: Le fait d’être isolée de mes parents. Lorsque l’on ne m’autorisait pas à les appeler. Lorsque j’entendais leur voix si chères une fois par semaine ou plus souvent, c’était ma nourriture spirituelle pour toute une semaine.
Sputnik: De quoi ont parlé avec vous les agents du FBI, au cours de vos 52 heures d’échanges?
Maria Boutina: De rien. […] Toutes les questions ont été épuisées lors des premières sessions, car il n’y avait rien à demander. Ils ont commencé à me demander si je travaillais pour le gouvernement. J’ai tout de suite répondu que non.
[…] Toutes ces 52 heures étaient une tentative de montrer qu’ils faisaient quelque chose d’important, qu’on discutait de quelque chose. Nous n’avons discuté de rien. C’était pour les apparences, pour les médias.
Sputnik: Lorsque le verdict avec une peine d’une durée plus longue que ce à quoi vous vous attendiez a été prononcé, comment l’avez-vous pris?
Maria Boutina: La juge a cité le procureur et lu sa décision sur une feuille, elle n’est même pas allée s’isoler dans une pièce pour réfléchir. Elle aurait pu le faire au moins pour trois secondes, par respect envers mes avocats, citoyens américains.
Nous avons examiné ses différents verdicts. C’est la première fois de sa carrière qu’elle est d’accord avec le procureur. Elle avait toujours donné des peines inférieures à celles sollicitées par le procureur.
Sputnik: Quel impact ces événements ont-ils eu sur vous?
Maria Boutina: J’étais très naïve. Je ne suis pas seule à l’être. Les gens partent en Occident comme un papillon qui suit la lumière. Il est si beau, le monde y est différent, la vie aussi. Chaque pays a ses problèmes. La seule référence qu’on doit avoir dans cette vie, c’est la foi.
Et, paraît-il, il faut changer le monde autour de nous. Je l’ai réalisé.
Sputnik: Nourrissez-vous un quelconque ressentiment à l’égard des États-Unis et des Américains?
Maria Boutina: Non. Parce que je considère que de nos jours, le peuple américain mérite plutôt la pitié de notre part. Parce qu’ils perdent leur pays. Leur système de justice n’existe pas. Le racisme fleurit chez eux. Si j’étais d’une autre nationalité, personne ne m’aurait même regardée. Mais je suis Russe.