Les sondages prédisaient une lutte extrêmement serrée entre les Libéraux de Justin Trudeau et les Conservateurs d’Andrew Scheer. C’est le 21 octobre, tard dans la soirée, que le suspense a pris fin, lorsque le Parti libéral a été déclaré vainqueur. Malgré sa fin de mandat très difficile, Trudeau a pu compter sur une base électorale fidèle, surtout concentrée dans la province ontarienne. Le scandale SNC-Lavalin et la récente affaire du «blackface» n’auront donc pas suffi à faire tomber le dirigeant progressiste de 47 ans.
«Merci mes amis, merci Montréal. Quelle soirée incroyable! D’Est en Ouest du pays, les Canadiens ont choisi une vision claire. Ils ont rejeté les coupures et l’austérité, ils ont voté en faveur d’un gouvernement progressiste qui entreprendra des actions concrètes contre les changements climatiques», a d’abord lancé le chef libéral devant ses militants rassemblés dans la métropole québécoise.
Les Libéraux passent de 183 à 157 députés, tandis que les Conservateurs passent de 97 à 121 députés. Une défaite en forme de crève-cœur pour les Conservateurs, dont les stratèges et organisateurs se disaient convaincus de pouvoir déloger le Parti libéral. Selon Radio Canada, le taux de participation aurait dépassé les 65%.
«Maintenant, nous retournons à Ottawa avec une bien meilleure équipe. Nous y retournons avec encore plus de soutien venant d’Est en Ouest du Canada. Et nous y retournons avec la conviction –partagée par les Canadiens– d’être le gouvernement à venir», s’est consolé Andrew Scheer lors de son discours de défaite du 22 octobre.
Au Québec, l’autre moment fort de la soirée du 21 octobre est la remontée spectaculaire du Bloc, qui viendra donner du fil à retordre à Trudeau. Parti souverainiste québécois de centre-gauche, on le croyait mort et enterré depuis une dizaine d’années. En passant de 10 à 32 de députés, le parti connaît une véritable résurrection. Fondé en 1991 par l’ex-Premier ministre québécois Lucien Bouchard, le Bloc avait déjà réussi à faire élire 54 députés en 1993 et en 2004. En 1993, il avait même réussi à former l’opposition officielle à Ottawa. Le retour du Bloc est déjà interprété comme un mauvais présage pour l’unité canadienne par les fédéralistes, francophones comme anglophones.
Un retour en force du Bloc québécois
Ayant choisi le slogan «Le Québec, c’est nous», le Bloc profite surtout de la conjoncture nationaliste favorisée au Québec par le gouvernement Legault. Le chef de ce parti, Yves-François Blanchet, a souvent fait valoir qu’il porterait la voix de l’Assemblée nationale du Québec à Ottawa, notamment sur la question de la laïcité. De fait, la nouvelle loi québécoise sur la laïcité a été un thème central de la campagne, même dans d’autres provinces du pays, où elle ne sera évidemment pas appliquée. Contrairement aux Libéraux, les Conservateurs avaient promis de ne pas contester la loi, mais les Québécois francophones ont majoritairement choisi le Bloc pour la défendre.
Outre les Conservateurs, qui avaient de réelles chances de revenir au pouvoir, les Néo-démocrates sortent aussi perdants de cette élection. Parti le plus à gauche sur l’échiquier canadien, il voit son nombre de députés passer de 44 à 24.
Déception également chez le Parti Vert du Canada, qui espérait surfer sur la vague mondiale de l’écologisme pour doubler sa députation. Les Verts n’auront finalement réussi qu’à passer de deux à trois sièges, dans un contexte où Libéraux, Néo-démocrates et Bloquistes mettaient tous en avant les thèmes écologistes. Jamais une campagne électorale canadienne n’avait autant porté sur l’environnement.
Les députés néo-démocrates et verts pourraient toutefois jouer un rôle dans le prochain gouvernement, car les libéraux seront forcés de faire alliance avec d’autres partis pour reste au pouvoir. Précisons que les gouvernements minoritaires ne durent généralement jamais plus de deux ans et demi au Canada, après quoi ils se voient renversés par les autres partis sur un projet de loi.
Autre grand perdant de la soirée: Maxime Bernier, ex-député conservateur, qui rêvait avec son tout nouveau parti de remplacer le Parti conservateur comme grande formation de droite au pays. Quelques semaines après la création du Parti populaire, en août 2018, Maxime Bernier déclarait à Sputnik qu’il serait à l’élection «l’alternative conservatrice au Canada face à Justin Trudeau», un pari qu’il est loin d’avoir gagné.
Néo-démocrates et populaires, grands perdants de l’élection
En effet, le Parti populaire n’aura même pas réussi à conserver le siège de son chef à la Chambre des communes, siège pour lequel il avait été élu sous la bannière conservatrice. Pour conserver l’électorat de droite, les Conservateurs ont d’ailleurs piloté une campagne très agressive de relations publiques visant à discréditer M.Bernier, en le dépeignant notamment comme raciste. Ce ne sont que quelques jours avant la fin de la campagne électorale que les Canadiens ont appris ce stratagème par voie de presse.
Rappelons qu’une défaite des Libéraux aurait été considérée comme un camouflet historique pour ce parti fondé le jour même de la création de la Confédération canadienne, le 1er juillet 1867. Fils de Pierre Elliott Trudeau –l’un des plus grands Premiers ministres de l’histoire canadienne– Justin Trudeau est toujours perçu comme l’héritier d’une longue tradition progressiste. En 2015, l’arrivée de Trudeau au pouvoir a été vue comme le début d’une véritable dynastie, laquelle se voit maintenant fragilisée par l’absence de majorité à la Chambre des communes.