Policiers contre pompiers: «C’est hallucinant, la prochaine étape c’est le tir à balles réelles»

Alors que des milliers de pompiers professionnels défilaient le 15 octobre à Paris, des affrontements ont éclaté entre une partie des manifestants et les forces de l’ordre. Des images qui ont choqué au sein de l’opinion publique. Rémy Chabbouh, secrétaire national de Sud, craint une radicalisation du mouvement. Il s’est confié à Sputnik.
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Des images incroyables, inédites, qui ont énormément fait réagir. Le 15 octobre, entre 7.000 et 10.000 pompiers professionnels ont défilé à Paris, selon les neufs syndicats de la profession. Ils dénoncent pêle-mêle un nombre d’interventions en augmentation constante, un manque d’effectifs, les agressions dont ils sont (très) régulièrement victimes. Sans parler de l’inquiétude liée à la réforme des retraites qui pourrait modifier leur régime. Les soldats du feu professionnels, qui représentent 16% des 247.000 pompiers en France — leurs collègues étant volontaires — demandent une revalorisation de la prime de feu (28% du salaire de base, contre 19% actuellement). Ils obtiendraient ainsi une prime à la hauteur de celle accordée aux policiers et gendarmes.

​Les sapeurs-pompiers ont reçu le soutien des infirmiers, médecins hospitaliers et employés du Samu. Eux aussi réclament plus de moyens et une meilleure reconnaissance de leurs métiers. Des Gilets jaunes étaient également présents.

«Il y a une baisse des effectifs préoccupante alors qu'on est débordés par le nombre d'interventions. On nous demande tout, y compris de remplacer des ambulances. À un moment donné, on ne va plus y arriver», a notamment lancé Mathias Gosse, 53 ans et pompier à Grasse, dans les Alpes-Maritimes. «Et en plus, on menace notre régime de retraite qui nous permet de partir à 57 ans [avec 42 annuités, ndlr]».

Lors de cette journée de mobilisation, des incidents ont éclaté entre une partie des manifestants et les forces de l’ordre qui ont fait usage de canons à eau et gaz lacrymogènes. Ces images de «pompiers contre policiers» ont énormément fait réagir et entraîné une vague de soutien pour les sapeurs-pompiers sur les réseaux sociaux. Certains pompiers avaient fait le choix de se rendre devant l’Assemblée nationale où ils ont pu échanger avec des élus avant d’être dispersés par la police. D’après la place Beauvau, le bilan des incidents est de «3 blessés parmi les policiers et six 6 interpellations».

​Le ministère de l'Intérieur, après avoir reçu plusieurs délégations syndicales le 15 octobre, a annoncé que deux réunions seraient organisées en novembre. La première le 6, la seconde le 14. Elles concerneront respectivement les retraites et le financement par les collectivités locales. Le but sera d’«évoquer l'ensemble des revendications des sapeurs-pompiers».

​Rémy Chabbouh, secrétaire national du syndicat Sud, qui se définit lui-même comme «plus dur que les autres», s’est confié à Sputnik France. Avec le sapeur-pompier, il a été question du dialogue avec l’État, des incidents avec la police, ainsi que de l’avenir d’un mouvement qu’il craint de voir se radicaliser. Entretien.

Sputnik France: Êtiez-vous à la manifestation?

Rémy Chabbouh: «Oui j’y étais. Nous faisions partie des délégations reçues au ministère de l’Intérieur. Le plus surprenant pour nous a été d’apprendre l’absence de notre ministre de tutelle Christophe Castaner. Entre 9.000 et 10.000 sapeurs-pompiers sont venus manifestés et le ministre de l’Intérieur était à une inauguration dans l’Aude. C’est soit un manque de respect soit le gouvernement n’a pas pris la mesure de la colère des pompiers.»

Sputnik France: Comment s’est déroulé l’entretien?

Rémy Chabbouh: «Nous avons vu le directeur de cabinet de Christophe Castaner. C’était une entrevue très policée, très correcte. Étaient présents des conseillers spéciaux, le boss de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises. Tout le monde prenait des notes. Cela a été pris au sérieux, mais en aucun cas ce n’était à la hauteur de ce que nous attendions. Nous voulions rencontrer le ministre et à la place, nous nous sommes retrouvés face à des gens certes à l’écoute, mais sans aucun pouvoir de décision.»

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Sputnik France: Des tensions ont émaillé la manifestation. Les forces de l'ordre ont usé de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour disperser les manifestants. Policiers contre pompiers… Ce sont des images qui paraissent assez terribles…

Rémy Chabbouh: «C’est du jamais vu à ce niveau-là. J’ai eu des échanges avec certains policiers sur place. Ils ne comprenaient pas ce qui était en train de se passer. Ils avaient les yeux écarquillés. Il n’y avait aucune raison d’en arriver là. Plusieurs pompiers ont été blessés. Nous n’avons pas compris ce qu’il s’est passé. C’était totalement déplacé. Les services de police sont dans la même situation que nous. Nos revendications sont principalement axées sur le recrutement. Nous manquons d’effectifs dans les casernes et la situation devient extrêmement tendue et dangereuse. Est-ce que certains policiers ont fait du zèle? Est-ce qu’ils ont appliqué les ordres? Nous n’en avons aucune idée.»

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Sputnik France: Certains de vos collègues se sont rendus à l’Assemblée nationale. Comment cela s’est déroulé?

Rémy Chabbouh: «Plusieurs groupes de sapeurs-pompiers ont été reçus par des élus de la République tels que Marine Le Pen (RN) ou François Ruffin (LFI). Ils sont sortis dans la rue protéger les pompiers des canons à eau et ont demandé aux services de police de cesser de lancer des gaz lacrymogènes. Je n’en reviens toujours pas. Cela fait 29 ans que je suis pompier et je ne comprends plus ce qu’il se passe dans ce pays. Nous luttons pour des effectifs, contre les agressions. Nos revendications sont raisonnables. Mais même celles qui ne coûtent rien n’ont pas l’attention des autorités.»

Sputnik France: La préfecture de police a dénoncé «l'irresponsabilité de certains manifestants» qui ont maintenu des actions «en dépit des ordres de dispersion». Que lui répondez-vous?

Rémy Chabbouh: «Je leur réponds qu’à partir du moment où, dès le matin, les syndicats ont été informés que Christophe Castaner ne serait pas là pour les recevoir, cela a été pris pour une provocation. Les sapeurs-pompiers représentent une profession extrêmement appréciée de la population et soutenue par 99% des Français. Quand nous allons manifester en masse en Paris, la moindre des choses est d’être reçu par un ministre. Christophe Castaner, qui savait depuis un mois et demi que ce rassemblement aurait lieu, décide d’aller à une inauguration dans l’Aude. Les pompiers étaient extrêmement à cran. Concernant les débordements à 16h, des pompiers étaient déjà gazés et avaient à en découdre avec des canons à eau. Les pompiers ne sont pas des casseurs. Le climat était extrêmement tendu et les provocations venaient sûrement de part et d’autre.»

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Sputnik France: Le gouvernement a annoncé des réunions en novembre concernant vos revendications. Si vous n’êtes pas entendu, comment la situation va-t-elle évoluer?

Rémy Chabbouh: «Je commence à m’interroger sur les modes d’actions. Est-ce que finalement cela ne va pas se faire hors du cadre institutionnel au lieu de discussions organisées? Je le déplorerais. On a des syndicats qui ont des divergences de point de vue, mais nous sommes dans la même équipe sans forcément porter le même maillot. Aujourd’hui, on se dirige vers une forme de radicalisation chez les sapeurs-pompiers. Je suis très sérieux. On commence à le sentir. Certains de nos collègues s’interrogent sur l’efficacité du respect des institutions et du dialogue social via des réunions et des groupes de travail. Ils en ont ras-le-bol.»

Sputnik France: Qu’appelez-vous «hors du cadre institutionnel»?

Rémy Chabbouh: «C’est ce qui sort du cadre des syndicats et du dialogue social, qui doit d’ailleurs perdurer. On doit maintenir cette façon de dialoguer avec des partenaires sociaux élus et des représentants du personnel aguerris qui savent comment faire. Mais aujourd’hui, on va se retrouver de plus en plus avec des groupes de sapeurs-pompiers qui iront manifester sans déclarations officielles. Les syndicats respectent un cadre légal. Et, je pèse mes mots, nous allons tout droit vers des mouvements incontrôlables qui peuvent se mettre en place aux niveaux local et national. C’est ce qui arrive lorsque l’on méprise les syndicats. Nous pourrions nous retrouver avec les Gilets jaunes chez les sapeurs-pompiers, quelque chose que plus personne ne maîtrisera qu’il s’agisse des syndicats ou du gouvernement. Si l’on continue comme cela, des sapeurs-pompiers vont rentrer dans les hémicycles sans y être invités. Il ne faudra pas s’étonner et demander aux syndicats de venir reprendre le contrôle.»

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Sputnik France: J’imagine que la convergence des luttes entre pompiers et policiers n’est plus d’actualité…

Rémy Chabbouh: «Ce que nous avons vu est hallucinant, inadmissible. La prochaine étape, c’est le tir à balles réelles sur les sapeurs-pompiers. Les services de police vont bientôt manifester à nouveau. Nous avions des collègues qui souhaitaient se joindre à eux en signe de soutien. Aujourd’hui, je les appelle à ne pas le faire. Quel message nous enverrions? Continuez à nous canarder au canon à eau? La convergence des luttes aurait voulu qu’ils nous soutiennent un minimum. Nous savons qu’ils ont un boulot à faire, mais nous aurions mérité la pédale douce.»

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