«Le problème, c’est que les forces spéciales françaises qui sont déployées dans la zone sont très dépendantes de la logistique américaine. Donc, il s’agit de prendre des mesures pour que ces forces –si elles doivent rester dans la zone– ne soient pas prises entre le marteau et l’enclume, que représente d’un côté l’armée turque et de l’autre côté l’armée de Bachar el-Assad qui est en train de se déployer», réagit à notre micro le général de brigade (2 s) Dominique Trinquand, ancien chef de mission militaire française auprès de l’Onu, consultant en relations internationales et Défense.
Une annonce française faite à l’issue d’un conseil restreint de Défense, convoqué dimanche 13 octobre dans la soirée. Le même jour, Recep Tayyip Erdogan réitérait sa volonté de marcher sur les positions kurdes dans le Nord-est syrien. De son côté, Donald Trump ordonnait le retrait d’un millier de soldats américains supplémentaires. Quant aux forces kurdes, elles formalisaient avec Damas un accord sur le déploiement des troupes régulières syriennes afin de stopper l’avancée turque.
Dimanche toujours, les médias turcs relayaient que près de 525 «terroristes» auraient été «neutralisés» dans le cadre de l’opération «Source de paix» lancée le 9 octobre par l’armée turque et ses supplétifs syriens de l’ASL (Armée nationale syrienne) contre les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), dans le nord-est de la Syrie. Des milices avec lesquelles collaborent étroitement les forces spéciales françaises, qui opèrent dans la région dans le cadre de la coalition internationale dirigée par les États-Unis.
«La position de la France est que l’invasion de la Syrie par la Turquie, dans cette zone, est inadmissible, qu’il faut soutenir les Kurdes. Donc qu’il ne faut pas complètement lâcher les Kurdes, mais il faut bien sûr prendre des mesures de protection pour nos forces», souligne le général Trinquand.
Dans ce chaos, reste donc à savoir quels sont les leviers diplomatiques, ainsi que les moyens militaires entre les mains de Paris pour répliquer au cas où les forces françaises essuieraient des tirs de l’armée turque, comme ce fut le cas le 12 octobre de forces américaines postées près de Kobané, selon le Pentagone. Des tirs d’artillerie hors de la «zone de sécurité» que souhaite établir la Turquie, qui n’auraient toutefois pas causé de blessés dans les rangs américains.
«La Turquie aura franchi un pas dans une escalade qui la mènera dans un cul-de-sac» met en garde le Général Trinquand. S’il ne «rentrer [a] pas dans le détail» des effectifs et des moyens dont disposent les forces françaises dans la région, l’officier de deuxième section affirme que ces dernières «sont tout à fait en mesure de répliquer» et qu’en cas d’agression turque, Ankara pourrait ainsi se voir «détruire des engins par les forces françaises». Selon la presse, les membres des forces spéciales françaises s’élèveraient à «plusieurs centaines». Une présence militaire française à laquelle s’ajoute celle des humanitaires.
«Si les forces françaises sont attaquées, il est évident qu’elles répliqueront et elles ont les moyens de répliquer!» insiste le général (2 s) Trinquand, l’un des conseillers Défense d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle.
Nous étions alors en pleine opération «Rameau d’olivier», lancée en janvier par les forces turques contre les milices du YPG. Déjà à l’époque, l’objectif annoncé par Ankara était d’établir une «zone de sécurité», alors d’une profondeur de 30 km, à partir de la frontière turco-syrienne. L’opération avait été déclenchée dans la foulée de l’annonce par Washington de la création d’une «Force de sécurité aux frontières» de 30.000 hommes avec les forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par le YPG.
Du côté de Paris, les ministères des Armées et des Affaires étrangères annonçaient dimanche 13 octobre la suspension de «tout projet d’exportation vers la Turquie de matériels de guerre susceptible d’être employés dans le cadre de l’offensive en Turquie». Si dans le cadre de cette même offensive turque, une telle décision n’est que symbolique, cela n’en demeure pas moins «important de l’annoncer», estime Dominique Trinquand, bien qu’il concède qu’elle ne puisse pas avoir d’«effet direct» dans l’immédiat. Pour le général français, la balle est à présent dans le camp de Moscou.
«Plus globalement, la clef est dans les mains de la Russie. Je rappelle que la Russie est alliée à la Turquie d’un côté, qu’elle est alliée à Bachar el-Assad de l’autre côté. Or aujourd’hui, c’est la confrontation entre les deux, donc celui qui a la clef c’est monsieur Poutine; il doit pouvoir agir auprès de monsieur Erdogan.»
Notre intervenant revient sur les «positions électoralistes», tant d’Erdogan que de Donald Trump. La lutte contre le PKK et la crise migratoire syrienne dans le premier cas, les promesses de campagne dans le second, rappelle-t-il.
«On a là deux leaders qui ne pensent qu’à une chose, c’est à leur programme électoral interne et non pas à la confusion qui règne dans la zone», regrette le Général Trinquand.
Il évoque par ailleurs le «levier économique évident» que représente la part importante que tient l’Union européenne dans les exportations turques, ainsi que les «quelques milliards» versés à Ankara dans le cadre de la crise des réfugiés.
«Une pression de Bachar el-Assad dans la zone d’Idlib amènerait les réfugiés à venir de la zone d’Idlib en Turquie. Donc si vous voulez, c’est un peu un problème de vases communicants», souligne Dominique Trinquand.
«Je rappelle que les démarches du Président Macron datent d’avant l’été, puis de la réunion à Brégançon. Puis de ce qu’il a dit à propos du G7, qui devait redevenir un G8. Puis la rencontre entre le ministre des Armées et le ministre de la Défense russe à Moscou. Des discussions entre le chef d’État-major des armées françaises et les chefs d’État-major russes. Je crois qu’il y a beaucoup de points qui ont été avancés. Si vous voulez, il faut peut-être aussi que la Russie fasse un petit peu un chemin de son côté.»