Depuis qu’il a semé la mort et tué quatre policiers avant d’être abattu à la Préfecture de police de Paris le 3 octobre, Mickaël Harpon et son profil font l’objet de toutes les attentions. Informaticien de 45 ans habilité «Secret défense», l’homme, né à Fort-de-France en Martinique, était également converti à l’islam.
Ayant fait l’objet d’un signalement à un fonctionnaire de la Sous-direction de la sécurité intérieure (SDSI) pour avoir justifié l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo en 2015, Mickaël Harpon fréquentait notamment une mosquée de sa ville de Gonesse dans le Val-d’Oise, établissement dirigé un temps par un imam fiché S «fondamentalisme religieux» et qui avait fait l’objet d’une mesure d'obligation de quitter le territoire français (OQTF) demandée par les services de renseignement. Une mesure non exécutée, comme l’a rappelé le 8 octobre dernier, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. «Je ne sais pas pourquoi», a-t-il lancé. Avant de poursuivre:
«Ce que je sais, c’est que depuis, dans le cadre de la commission départementale […], il a été décidé de lui accorder un titre valable parce qu’il a un enfant et qu’il s’est marié.»
Les fréquentations de Mickaël Harpon intéressent notamment les enquêteurs. D’après le procureur antiterroriste, les investigations ont «permis d'établir des contacts entre l'auteur des faits et plusieurs individus susceptibles d'appartenir à la mouvance islamiste salafiste». Cette branche ultraconservatrice de l'islam sunnite fait souvent son apparition dans les enquêtes liées à la radicalisation islamiste. Certains, comme l’enseignante et essayiste Barbara Lefebvre, demandent son interdiction.
«En région Île-de-France, il y a 80 mosquées dirigées par des salafistes. Ceci dit, ce ne sont pas des terroristes pour la plupart. Les salafistes sont des gens qui pratiquent la religion d'une manière radicale. En même temps, entre être salafiste et terroriste, il y a une marge», a affirmé à nos confrères de RTL Abdallah Zekri, président de l'Observatoire national contre l'islamophobie.
Qu’en est-il réellement? Le salafisme fait-il courir un danger à la France? Comment gérer un tel courant dans un pays où l’islam est la deuxième religion? Afin de nous aider à y voir plus clair, Sputnik France a donné la parole au docteur Karim Ifrak, islamologue et chercheur au CNRS. Entretien.
Sputnik France: Pouvez-vous définir brièvement ce qu’est le salafisme?
Karim Ifrak: «C’est un mouvement idéologique qui prône un retour à la vie cultuelle des ancêtres, "salaf " en arabe. Il se veut puritain, fondamentaliste dans son approche de la pratique culturelle qui doit être semblable à celle des premières heures de l’islam. Mais c’est avant tout un mouvement idéologique et, dans le fond, ce n’est que pure chimère.»
Sputnik France: Est-il monté en puissance ces dernières années, ainsi que l’affirment plusieurs observateurs?
Karim Ifrak: «Le salafisme est arrivé en France au cours des années 1980. Il est monté en puissance dans le sillage d’une géopolitique internationale dictée par un contexte de Guerre froide. Ce mouvement était principalement porté et financé par l’Arabie saoudite. Il faut savoir que lorsque l’on parle de salafisme, on fait en réalité référence au wahhabisme, qui est très implanté dans le royaume saoudien.»
Sputnik France: Ce mouvement est-il dangereux?
Karim Ifrak: «Comme tous les mouvements idéologiques, il n’est ni dangereux ni inoffensif. C’est un peu à l’image d’un révolver. Cela dépend de la main qui le tien de faire de cet outil une arme dangereuse ou pas.»
Sputnik France: Qui le finance aujourd’hui?
Karim Ifrak: «Tout le problème du salafisme attaché au wahhabisme reste qu’il était à la base financé par l’Arabie saoudite. Mais que l’on soit très clair sur cette question: aujourd’hui, il peut être financé par de nombreux acteurs et généralement ils ne sont pas étatiques. Reste que l’État saoudien, à travers le prince héritier Mohammed ben Salmane, a déclaré il y a plusieurs mois qu’il mettait fin au financement du salafisme à travers le monde. Il a tenu parole. Il y a un déclin du salafisme en France et partout ailleurs.»
Sputnik France: Il est donc en déclin, y compris en France…
Karim Ifrak: «Absolument. Mais il y a de beaux restes et beaucoup d’acteurs sont encore capables de le financer au détriment de l’Arabie saoudite officielle.»
Sputnik France: Quel rôle joue la Turquie dans la montée du salafisme?
Karim Ifrak: «Aucun. Il n’y a aucun rapport. Il ne faut pas confondre l’islamisme et le salafisme. Ce sont deux mouvements idéologiques différents. L’islamisme porte l’idée d’un islam politique et cette idéologie est effectivement celle de la Turquie "erdoganiste" qui la pousse dans le pays mais également à l’international. Mais il n’y a aucun rapport avec le salafisme et aucun rapport avec la violence. Il faut être très vigilant là-dessus.»
Sputnik France: Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman, a assuré sur RTL que fermer les mosquées salafistes est «une utopie car les mosquées salafistes ne sont pas toutes dans le terrorisme». Êtes-vous d’accord?
Karim Ifrak: «Oui. 99% des mosquées françaises ne sont pas salafistes. Je pense même que les chiffres avancés par Abdallah Zekri sur le nombre de mosquées salafistes en France sont exagérés. Je parlerais plutôt de 50 à 60 établissements sur l’ensemble de l’Hexagone. Bien évidemment, cela mérite vérification pour avoir un compte précis. À mon avis, il y en même moins que cela. Mais si l’on prend le chiffre de 60 a maxima, on peut imaginer que peut-être cinq d’entre elles soient proches de mouvements qui prônent la violence. Elles pratiquent un salafisme d’obédience takfiriste, une idéologie ultra-violente qui justifie le recours à la force illégitime.»
Sputnik France: C’est donc contre ce salafisme takfiriste qu’il faut lutter en priorité…
Karim Ifrak: «Évidemment, c’est une priorité. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact du salafisme ou de l’islamisme. À un moment ou un autre, ils conduisent indirectement à des dérapages et des déviances.»
Sputnik France: Comment gérer le problème?
Karim Ifrak: «C’est de la responsabilité de l’État. La République est laïque et l’État devrait se rapprocher d’experts et d’acteurs de terrain. Et il est absolument nécessaire d’opérer un vrai tri et de passer un sérieux coup de balai au sein de l’islam de France. Il faut apporter une valeur ajoutée à travers une meilleure organisation du culte en France et une meilleure formation des imams et des ministères des cultes. Puis se pencher sérieusement sur ce qui est attaché de près ou de loin à l’organisation des mosquées en France.»