«Il y a un réflexe aujourd’hui d’apaisement, qui peut partir d’un bon sentiment pour certains, mais qui est fondé en fait sur une peur, une intériorisation de la peur. La peur de la vague, la peur des débordements, la peur de l’amalgame, la peur que d’autres personnes –par refus de l’islamophobie– se radicalisent elles-mêmes», développe à notre micro Alexandre Del Valle.
Professeur de géopolitique à Sup de Co La Rochelle et à l’École de guerre économique (EGE), il réagit à l’attentat islamiste perpétré le 3 octobre par un fonctionnaire radicalisé dans le Saint des Saints de la lutte antiterroriste de la capitale.
Il faudra pourtant attendre que le Parquet national antiterroriste (Pnat) se saisisse de l’affaire et que soit rendu public le contenu «en l’essence» des nombreux SMS échangés entre Mickaël Harpon et sa femme, peu avant qu’il n’entame son parcours meurtrier, pour que ses motivations islamistes soient clairement avancées dans la presse. Elle s’interrogeait jusque-là sur un possible «pétage de plomb», déclarations aux enquêteurs de la femme de Harpon à l’appui, celle-ci affirmant que son mari aurait entendu des voix la veille de son carnage.
Le profil d’«employé modèle, sans histoire», souffrant de surdité, est mis en avant, tout comme sa «pratique normale» de l’islam, auquel il se serait converti «il y a 18 mois» selon… une voisine, sont largement repris. Quant à ceux qui osèrent mettre en avant l’hypothèse d’un nouvel attentat sur le sol français, ils furent allègrement pointés du doigt, leurs «Fake news» dénoncées.
Une situation surprenante dans un pays qui, comme aucun autre en Occident, a été frappé ces dernières années par le terrorisme islamiste. D’autant plus que des témoignages de collègues sont venus peu à peu jeter une autre lumière sur le profil de Mickaël Harpon: un homme qui revêtait parfois le qamis (vêtement traditionnel dans certains pays musulmans), refusait tout contact avec les femmes et qui avait laissé éclater sa joie après l’attentat de Charlie Hebdo, ou encore, qui aurait selon un autre voisin –lui-même policier– hurlé à tue-tête «Allahou Akbar!»
«On avait un dossier énorme contre lui, et rien n’a été mis par écrit de peur de stigmatiser un monsieur musulman, un monsieur de couleur, un monsieur sourd. Le politiquement correct, qui n’ose pas stigmatiser les minorités, abouti du coup à l’effet inverse: quand on fait partie de certaines minorités, on est quasiment épargné», pointe Alexandre Del Valle.
L’auteur, notamment, de La stratégie de l’intimidation: Du terrorisme à l’islamiquement correct (Éd. L’Artilleur) estime bien sûr qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives au lendemain d’un tel évènement. Il n’en demeure pas moins que cette règle de prudence doit prévaloir pour toutes les hypothèses et pas seulement certaines: «la prudence devrait être de mise dans l’autre sens aussi» insiste-t-il.
Le géopoliticien estime par ailleurs qu’il existe une «faille» dans le repérage des individus à risque dans le fait que le profil d’un converti à l’islam apparaîtrait moins suspect aux yeux des services qu’un musulman d’origine maghrébine, par exemple: «on a l’habitude de certains profils et on ne fait pas attention à d’autres», relate-t-il.
«On ne devrait pas chercher à instrumentaliser, comme on l’a reproché à la droite dure, mais on ne devrait pas chercher à minimiser. Si l’on veut être raisonnable, cette prudence doit valoir dans les deux sens, or, ce n’est pas le cas.»
Une «pudeur» –pour ne pas dire un deux poids, deux mesures– tant des politiques que des médias, à l’égard de la dimension islamiste des attentat, contre laquelle s’élevaient Le Figaro et Causeur le 7 octobre au matin.
«Cette extrême prudence est une forme d’extrémisme», tranche Alexandre Del Valle. Pourtant, soulignons que si certains ont mis en avant le fait que le Pnat ne se soit pas saisi de l’affaire pour écarter –temporairement– la piste terroriste, c’est notamment parce que le dossier de Harpon était vide des différents incidents trahissant une radicalisation de sa pratique de l’islam, ceux-ci n’ayant pas été formellement consignés par sa hiérarchie. «Temps qu’il n’y a pas de signalement écrit, le dossier est nickel!», insiste notre intervenant, d’où cette lenteur perçue par certains dans la saisine de l’affaire par le Parquet national antiterroriste. Pour le professeur de géopolitique, «on a voulu apaiser et ne pas alerter!»
«L’islamiquement correct, la volonté d’apaisement, ont poussé un certain nombre de ses collègues à subir des pressions et à ne pas mettre par écrit des avertissements, des informations extrêmement graves.»
Un islamiquement correct de la part des médias et des autorités sur lequel insiste Alexandre Del Valle. Il l’explique par la «peur» qu’en cas de trop forte stigmatisation, des masses de gens puissent potentiellement se «solidariser avec des personnes extrêmement radicales». Pour lui en effet, le phénomène du radicalisme islamique, «qui n’est que la face cachée de l’iceberg». Le tout aboutissant à une situation délirante.
«Cette politique d’apaisement correspond à une sorte de syndrome de Stockholm. Les sociétés européennes sont de plus en plus préoccupées par l’amalgame, parfois plus que le fait de pleurer leurs propres victimes. […] On l’a vu avec celui de Lyon avec l’Afghan: ce qui m’a frappé, c’est qu’on a plus dénoncé la récupération par la droite et l’extrême droite de l’acte et l’attentat lui-même que les morts.»
Notre intervenant rappelle que l’auteur de cette attaque mortelle (1 mort et 9 blessés) avait épargné l’un de ses coreligionnaires. Présenté comme un «réfugié déséquilibré», qui aurait abusé du cannabis, le Pnat ne se saisira pas de l’affaire.
Un «refus de voir les choses en face», sur lequel revient Alexandre Del Valle, qui évoque notamment le rapport intitulé Un islam français est possible publié en septembre 2016 par le think tank libéral Institut Montaigne. Ce rapport montrait qu’en France, 28% des musulmans sondés –majoritairement des jeunes– adoptaient des valeurs jugées «incompatibles» avec celles de la République, en estimant notamment que la loi islamique, la charia, était plus importante que celle de la République.
«Il y a une véritable bombe à retardement sous nos pieds, dans nos sociétés, et la lutte entre l’islam et l’Occident –si tant est qu’elle existe– ne passe plus par la Méditerranée. […] Aujourd’hui, cette lutte entre le monde musulman et le monde libre occidental mécréant traverse nos propres capitales.»
Illustration de cette peur et du laisser-faire des autorités, au-delà du radicalisme religieux, le cas des émeutes qui surviennent régulièrement dans certaines banlieues après que des délinquants se tuent dans des accidents de moto en essayant d’échapper à la police, parfois alors même que ceux-ci n’étaient en réalité pas poursuivis par les forces de l’ordre.
«C’est ce qui nous tue aujourd’hui: la peur de la radicalisation implique un renforcement de la lutte contre l’islamophobie à chaque attentat. C’est ce que j’avais dit dans mon livre La stratégie de l’Intimidation: plus on tue au nom de l’Islamisme, plus on nous dit que l’islam est une religion fantastique, que cela n’a rien à voir avec liIslam. En fait, plus l’islamisme tue et plus on fait de la publicité pour l’islam.»
Cette attitude des politiques, outre qu’il tend à accentuer la défiance des citoyens à l’égard de la classe politique et des médias, ne contribuerait-elle pas au développement d’un discours plus inquiétant? On pense notamment à celui d’Hadama Troaré, ce militant d’Aulnay-sous-Bois, cofondateur du mouvement La Révolution est en marche, qui samedi 5 octobre a appelé sur les réseaux sociaux à la mobilisation en faveur de Mickaël Harpon. Pour lui, le fonctionnaire, en situation de handicap, était tout simplement «méprisé» par ses supérieurs qui ne l’ont pas fait progresser au-delà de la catégorie C en 20 ans, concluant qu’il fallait arrêter de «stigmatiser l’Islam».
Avant que Castaner ne demande l’interdiction de cette manifestation, Alexandre Del Valle réagissait à notre micro: pour lui, non seulement l’évènement devait être interdit, mais son instigateur condamné, sous peine de démontrer une grande naïveté.
«On a affaire à un phénomène de solidarisation avec l’ennemi. C’est absolument intolérable. Si on avait tiré les leçons des attentats et de ce que je dénonce depuis des années, c’est-à-dire de la politique de création d’un syndrome de Stockholm, on devrait comprendre que ce genre d’individu sont les complices directs subjectifs des islamistes. Ils nous prennent pour des imbéciles en faisant croire qu’ils croient qu’il y a eu de la stigmatisation, c’est simplement une justification idéologique et morale a posteriori d’un phénomène de barbarie.»