L'année bioéthique s'annonce rude. 42.000 personnes selon la Préfecture de police, 74.000 selon le cabinet Occurrence, 600.000 selon les organisateurs. Derrière la querelle de chiffres, la manifestation du dimanche 6 octobre contre la PMA avait de quoi surprendre les observateurs. Le mouvement peut-il durer? Entretien avec le Vice-Président de La Manif Pour Tous, Albéric Dumont.
Sputnik France: Cinq nouvelles dates, cinq nouveaux rendez-vous. C’est un véritable marathon que vous imposez-là aux porteurs du projet PMA, mais aussi à vos manifestants: pourquoi un tel pari, forcément risqué, sur la durée?
Albéric Dumont: «Nous sommes au tout début d’un processus parlementaire qui va être long, avec des dates déterminantes: la fin de la première lecture à l’Assemblée nationale, l’arrivée au Sénat, le retour à l’Assemblée, le Conseil constitutionnel, le vote solennel, éventuellement la promulgation de la loi. Il était important pour nous de faire bloquer certaines dates pour que [les militants] puissent s’organiser. Nous avons annoncé cinq dates qui ne seront pas forcément activées, c’est le gouvernement qui choisira si elles sont nécessaires ou non: c’était hier une première manifestation d’avertissement.
Désormais, le choix du gouvernement est simple: soit il décide d’écouter le peuple, soit il adopte la stratégie de François Hollande –il méprise le peuple et divise la société. À ce moment-là, nous serons dans l’obligation de nous mettre en travers de sa route.»
Sputnik France: Le 1er décembre, c’est la journée mondiale contre le sida, le 8 mars celle des droits des femmes et le 17 mai celle de la lutte contre l’homophobie… Vous êtes accusés d’irrespect sur les réseaux sociaux.
Albéric Dumont: «Nous avons calé ces dates en prenant en compte le calendrier des vacances scolaires. Quand vous prenez les dates communes à toutes les zones de vacances, et quand vous essayez de coller avec le calendrier parlementaire, eh bien, elles se comptent sur les doigts d’une main. Il n’y avait aucune provocation de notre part. Et puis ce ne sont pas à nos adversaires de décider à quelle date nous avons le droit de manifester. La liberté de manifester est constitutionnelle, on exercera ce droit quand nous le souhaiterons.»
Sputnik France: Certains ne donnaient pas cher de LMPT depuis six ans. Depuis combien de temps, et comment avez-vous, préparé cette mobilisation dans les coulisses?
Albéric Dumont: «Nous avons annoncé la création du label “Marchons enfants” le 24 juillet. Depuis cette date, avec un mois d’août difficile, nous nous sommes préparés sur la mobilisation (les faire venir à Paris) et l’opérationnel (l’organisation de l’événement en tant que tel). Quand on rassemble des centaines de milliers de Français, ça nécessite un vrai travail opérationnel. Il fallait le temps pour que les esprits se remobilisent. On a senti dès la première quinzaine du mois de septembre que les signaux étaient ouverts à la mobilisation. Ça s’est traduit par plusieurs choses: à la fois le nombre de cars qui s’organisaient à ce moment-là, ou le fait que l’on renoue avec les TGV spéciaux –du jamais vu depuis six ans!– c’est-à-dire le fait que des responsables en région louent des rames entières de TGV avec des coûts impressionnants, et donc avec l’assurance de les remplir derrière, ou encore la vitesse avec laquelle sont partis tous les moyens de communication (tracts, affiches, etc.).»
Sputnik France: Cette mobilisation a-t-elle donc dépassé vos espérances?
Albéric Dumont: «Tout le monde a été surpris de cette mobilisation, nous les premiers: nous nous attendions à une mobilisation d’ampleur, nous avons eu droit à une mobilisation de très grande ampleur. Effectivement, il y a une part de surprise plus grande pour les manifestants, qui venaient peut-être par obligation, en se disant “on ne peut pas ne pas être présents”. Mais ils se sont rendu compte en arrivant que c’était un événement beaucoup plus important: c’est la raison pour laquelle on peut prédire que la prochaine sera d’autant plus impressionnante encore. Ceux qui venaient seuls par devoir reviendront plus motivés et accompagnés à la suivante.»
Sputnik France: Vous avez revendiqué 600.000 manifestants, la société Occurrence a avancé le chiffre de 74.000. Six ans après le Mariage pour Tous, c’est une nouvelle querelle de chiffres. Mais vous avez l’air de vouloir vous battre à ce niveau-là, n’est-ce pas?
Albéric Dumont: «C’est la traditionnelle querelle de chiffres à laquelle LMPT n’a pas échappé, comme tout organisateur de mouvement revendicatif. Nous allons justifier le nombre immense que nous étions dans les heures qui viennent. Nous sommes en mesure de prouver que le comptage de la Préfecture de Police et celui de l’entreprise Occurrence n’étaient pas fiables, puisqu’ils n’ont pas pu prendre en compte un itinéraire de délestage qui a été organisé au dernier moment par les autorités pour faire face à l’affluence et à la saturation du cortège principal.»
La Préfecture avait annoncé 200.000 manifestants, mais au bout d’une heure le premier itinéraire était complètement saturé: des femmes avec enfants quittaient le cortège… et après, ils nous annoncent 42.000 manifestants?»
Sputnik France: Le cabinet Occurrence est quant à lui considéré comme «indépendant», son étude a été réalisée pour plusieurs médias dont Le Parisien ou France info. Que lui reprochez-vous?
Albéric Dumont: «Le cabinet Occurrence a développé un système de comptage vidéo très sophistiqué –la vidéo doit être inclinée à un degré près… comment a-t-elle pu installer un système aussi vite sur le deuxième itinéraire, de délestage? C’est impossible. Et puis, dernier point: la soi-disant indépendance du cabinet Occurrence. Le patron est un ami d’Aurore Bergé, qui est l’une des partisanes acharnées de la PMA sans père. Et on a identifié une salariée du QG de LREM qui est également chargée de développement senior chez Occurrence. Il y a donc des accointances qui sèment le trouble. Et puis, plein d’éléments nous le montrent: nous avons acheté 50.000 drapeaux, et nous avons été en rupture de stock au bout de 30 minutes! Or, on le voit bien sur des photos: tout le monde n’a pas de drapeaux.»
Rien que cela prouve que les chiffres donnés sont assez fantaisistes. C’est toujours décevant: c’est une nouvelle manière, assez basse, d’humilier des manifestants venus de manière pacifique, familiale, digne et solennelle, venus exprimer des inquiétudes qui me paraissent légitimes. J’espère qu’on dépassera cette querelle de chiffres.»
Sputnik France: Une question taraude la France conservatrice: «à quoi bon?». D’ailleurs, dans un sondage Odoxa du 1er octobre, les questions bioéthiques ne figuraient qu’à la 11e place des préoccupations des Français se positionnant à droite. Qu’en dites-vous, et comment espérez-vous renverser cette tendance?
Albéric Dumont: «Bien sûr, les Français voient des questions prioritaires: emploi, pouvoir d’achat et sécurité: faire ses courses et être en sécurité, dans un pays où un service de renseignement a du mal à détecter les menaces au sein même de son institution. C’est le travail de sensibilisation que nous faisons: les Français vont voir les aspects très concrets. Par exemple, on vous rembourse 6€50 pour chaque œil quand vous portez des lunettes, alors qu’elles sont indispensables, mais on va rembourser des PMA à des femmes qui ne souffrent d’aucune pathologie… Et il y a une question de fond: cette absence volontaire et définitive de père. Qui peut dire “je n’ai pas connu mon père, quelle chance j’ai eue!” Personne! Et puis cette marchandisation du corps vers laquelle notre société avance, avec les députés En marche en tête: par exemple, sur la pénurie inéluctable de gamètes qui ne pourra être résolue que par les pays qui en font commerce, et puis cette marche forcée vers la GPA.»
Sputnik France: LMPT remonte donc au front. Le climat a-t-il changé en six ans?
Albéric Dumont: «Nous sommes sur la suite logique de 2013, mais personne ne veut revivre cette bataille-là. La période 2012/13 a été une période violente pour tout le monde. Nos adversaires se victimisent beaucoup, en disant qu’ils ont beaucoup souffert. Je n’en doute pas une seconde, parce que nous aussi. Personne ne garde un bon souvenir de cette période, où on a été obligés de se mobiliser un grand nombre de fois, en étant méprisés et humiliés pendant une année. D’ailleurs Emmanuel Macron l’a aussi reconnue, en évoquant “cette France humiliée”.»
Sputnik France: Vous manifestez d’ailleurs le dimanche, donc pas de «convergence des luttes» avec les Gilets jaunes?
Albéric Dumont: «nous avons tendu la main aux Gilets jaunes, il y a des rapprochements qui se sont faits, surtout en province. La question s’est posée: faut-il accueillir les Gilets jaunes dans les cortèges? Ce que nous avons convenu, c’est que les Gilets jaunes étaient des Français comme tout le monde, s’ils voulaient manifester avec leurs gilets, ils étaient les bienvenus, à partir du moment où nous restons dans le cadre des revendications de Marchons enfants. Aujourd’hui, il y a une dimension à prendre en compte: c’est un mouvement qui s’est malheureusement fait phagocyter par l’extrême-gauche, je ne suis pas sûr que la convergence avec nos idées soit vraiment réaliste, en tout cas les samedis à Paris. Je ne parle pas de la France des ronds-points, avec laquelle nous avons sans doute plus de revendications communes.»