Qu'arriverait-il à l'océan si l'Antarctique fondait? Un scénario des scientifiques

Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) consacré à l’océan et à la cryosphère a reçu un écho important dans le monde entier suite à sa publication le 25 septembre dernier.
Sputnik

Le Russe Stanislav Koutouzov, directeur de laboratoire à l’Institut de géographie de l’Académie des sciences de Russie et l'un des principaux coauteurs du rapport, explique à Sputnik les résultats les plus importants de ce travail intensif qui a duré deux ans et a réuni de nombreux chercheurs de différents pays.

- Quelles questions ont suscité le plus de débats au cours de la rédaction du rapport?

- C'était la première fois que je participais à la rédaction d’un rapport du GIEC et je peux dire que, vu de l’intérieur, ce processus était très différent de ce que je m'étais imaginé. Les participants débattent de chaque thèse, de chaque alinéa voire de certains termes précis. Il s’agit d’un véritable combat pour la précision des formules et l’argumentation de telle ou telle conclusion.

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L’une des questions les plus sensibles est la durabilité de la banquise du plateau continental et la contribution potentielle des glaces antarctiques à la hausse du niveau de l’océan mondial. Le fait est qu’il n’existe actuellement pas assez de données pour dire avec certitude si la banquise pourrait disparaître, sans parler de la vitesse de ce processus ou de sa date. Mais nous comprenons bien que cette possibilité existe.

Ce processus a déjà commencé à l’Ouest de l’Antarctique, mais on ne sait pas s’il est réversible ou si l’on a déjà passé le point de non-retour.

Chaque parole du rapport a été confirmée par des recherches scientifiques: nous avons analysé environ 7.000 articles. Nous avons rédigé des brouillons, avons impliqué des experts, avons travaillé avec les commentaires: comme tout était librement accessible, n’importe quelle personne, même un non-expert, pouvait envoyer ses remarques concernant les textes, et nous étions obligés de répondre à toutes ces interrogations. En effet, il s’agit de deux années de volontariat. Au cours de la session à Monaco, nous avons débattu de la version finale du rapport pendant deux semaines. Les réunions duraient parfois 27 heures.    

- Que pouvez-vous dire sur la base de vos propres recherches et de l’analyse des études consacrées aux glaciers des montagnes?

- Mes collègues et moi étudions l’équilibre de la masse des glaciers, le paléoclimat, les kerns de glace des puits. S’il existe un équilibre entre l’accumulation de neige et la fonte du glacier, ce dernier est stable. En cas de prévalence de l’un de ces processus, le glacier s’élargit ou rétrécit.

On ne constate pas actuellement de hausse des précipitations qui pourrait compenser la fonte. La majorité écrasante des glaciers du monde - polaires ou montagneux - diminue, la seule exception étant l’anomalie dans les montagnes de Karakoram en Asie. A l’ouest du Kunlun, à l’est du Pamir et dans le centre du Karakoram, les glaciers restent stables voire augmentent un peu leur masse. Cette situation anormale est liée à des mécanismes qui prévalent pour l’instant sur le réchauffement. Ainsi, les changements de la circulation atmosphérique se soldent par l’augmentation de la nébulosité et des précipitations.

La perte rapide de la masse des glaciers avait déjà été évoquée dans les rapports précédents du GIEC. Mais les données actuelles sont radicalement plus fiables. Par le passé, les conclusions se fondaient sur un nombre réduit de glaciers. Nous n’avions par exemple aucune information sur leur masse, le paramètre crucial.

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Suivre le retrait des glaciers à l’aide des photos est une chose. Analyser la perte réelle de la masse de systèmes de glaciers entiers à l’aide des images par satellite est absolument différent. Ces données permettent de déterminer leur contribution à la montée du niveau de l’océan mondial. Il s’est avéré que la somme des pertes des petits glaciers était pratiquement égale à celles du Groenland. Ainsi, le Groenland a perdu annuellement environ 280 milliards de tonnes de glace de 2006 à 2015, alors qu’il s’agissait de 155 milliards de tonnes en Antarctique et de 220 milliards de tonnes dans les autres glaciers. Leur contribution commune à la hausse du niveau de la mer se chiffrait à 1,8 mm par an pendant cette période. La vitesse générale de ce processus atteint en moyenne 3,6 mm par an.          

Notre rapport explique non seulement les mécanismes physiques et les répercussions observées, mais contient aussi un pronostic des futures évolutions des glaces, des neiges, du permafrost et de l’océan. Il présente l’influence de ces tendances sur les écosystèmes, les habitants des régions polaires, montagneuses et côtières, simule les processus pour des années voire des siècles à venir, définit les régions problématiques ainsi que celles qui connaîtront de nouvelles opportunités, notamment l'Arctique russe.

- Vous parlez du passage du Nord-Est ?

- Y compris. La surface de la banquise polaire se réduit, la période de navigation s’allonge, le passage via les mers polaires s’ouvre de plus en plus. Mais un été plus long en Arctique offre également la possibilité d’extraire les ressources naturelles, notamment sur le plateau continental. En même temps, plus longtemps les eaux de la mer seront libres de glace, plus forte sera la destruction du littoral à cause de l’érosion par les vagues et l’abrasion thermique. Ces problèmes toucheront des zones d'habitation concrètes.

Le réchauffement est plus rapide en Arctique par rapport aux autres régions de la planète. Les températures hivernales y étaient 6 degrés plus élevées en 2016-2018 par rapport à la période 1980-2010. Ce changement dépasse les fluctuations naturelles du climat.

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Le réchauffement en Arctique se solde par la réduction du volume de la neige. A première vue, c’est pas mal: il y a moins de neige à déblayer. En réalité, moins importants sont les volumes de neige, plus élevées sont les températures et plus nombreux sont les incendies. Ensuite, les routes hivernales deviennent moins stables. Il faut bien comprendre que ces dernières forment la base de la plupart du réseau de transport arctique. On constate la dégradation du permafrost et de nouveaux risques pour l’infrastructure. La descente des glaces sur les rivières commence plus tôt, tout comme les crues. Ces processus influent également les populations locales qui mènent un mode de vie traditionnel et vivent de la pêche. Certaines espèces de poisson disparaissent, alors que le territoire d'autres, inhabituelles, s’élargit. De nouvelles maladies font leur apparition.     

Certains pourraient penser que ce rapport, très long et volumineux, perd de vue les problèmes locaux, mais ces derniers sont en réalité présents partout. Le message principal est que les changements sont actifs dans les régions polaires et montagneuses dans le monde entier, qu’il existe un éventail de mesures pour lutter contre leurs conséquences et des exemples de lutte efficace. Plus rapidement ces informations seront utilisées, mieux ce sera. Le rapport ne contient cependant aucune recommandation, mais un éventail de conclusions et de mesures existantes. C’est aux politiciens de décider lesquelles utiliser et comment.

- Quelles décisions pourraient-ils adopter?    

- Il existe deux stratégies. La première est l'atténuation du changement climatique à l’aide de la diminution des émissions industrielles de CO₂. Les Accords de Paris et les rapports précédents démontrent que les risques augmenteraient si nous n’adoptions pas de mesures pour réduire les émissions, et que les risques seraient moins importants si nous arrivions à limiter la hausse de la température à 1,5 degré par rapport au niveau constaté avant la révolution industrielle. Le rapport présente toujours plusieurs scénarios expliquant les conséquences d’une réduction active des émissions et de l’absence de mesures en ce sens.

La deuxième stratégie est l’adaptation. Il s’agit de mesures qui permettront d’assouplir les répercussions des changements en cours pour les écosystèmes, les hommes, les États et les économies. Je vais citer un exemple très simple. On peut construire des canons à neige dans les stations de ski souffrant de la baisse des précipitations, créer des barrages et des systèmes de retrait de l’eau dans les villes côtières, des réseaux de protection contre les avalanches et les coulées de lave dans les montagnes, des structures de protection sur les lacs situés près des glaciers. On pourrait recommander aux villes de changer leur modèle économique. Il existe beaucoup d’autres mesures de différentes envergures. Certaines exigent une intervention de l’État, alors que d’autres pourraient être confiées aux autorités locales et au secteur privé.

- Existe-il toujours parmi les experts et les scientifiques des sceptiques quant aux origines anthropiques du réchauffement global? En avez-vous débattu au cours de l’examen du rapport?

- Il s’agit d’un fait établi: on a publié des études scientifiques qui le démontrent. Aujourd’hui, on examine cet effet au niveau moléculaire afin de réduire les erreurs de calcul. L’idée qu’il n’existe pas de consensus parmi les scientifiques est erronée. Il y a certaines interrogations concernant la mutabilité intérieure du système climatique ou l’exactitude des modèles. La physique du processus est incontestable. C’est déjà plus que le mainstream scientifique.

Les questions relatives à l’effet de serre ont été examinées dans les premiers rapports du GIEC. Aujourd’hui, même les gouvernements n’ont plus aucun doute à ce sujet. Il existe cependant des interrogations concernant l’exactitude des pronostics, le coût des mesures adoptées, l’efficacité des différentes mesures d’assouplissement et les décisions politiques.

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Les non-experts ont probablement toujours des questions, car ils ne lisent pas les sources. Pour une certaine raison, nous avons confiance en la science qui nous offre les iPhones, alors que celle qui parle des gaz à effet de serre ne suscite chez nous que de la méfiance: nous sommes des créatures si petites, comment pouvons-nous influer sur la planète? Sans l’effet de serre, la température terrestre aurait été de 33 degrés plus basse, et la vie aurait été absolument différente. Nous apportons notre contribution à l’effet de serre naturel, qui se renforce progressivement, alors que la température augmente lentement.

Par ailleurs, le rapport tente de définir la contribution humaine dans le changement de la masse des glaciers et de la couche de neige. Il s’agit de liens indirects qu’il est plus difficile d’établir, mais nous avons tenté de le faire.    

Il faut bien comprendre que le GIEC a déjà publié plusieurs rapports indiquant que l’agenda des recherches scientifiques est, dans une grande mesure, dicté par les gouvernements des pays signataires de l’accord et pas les intérêts des chercheurs. Par le passé, il y avait beaucoup de questions concernant la réalité du réchauffement et de l’influence de l'homme sur ce dernier. Aujourd’hui, l’attention se réoriente: on veut comprendre ce qui s’est passé dans telle ou telle région, quelles mesures sont entreprises, quelles seront les conséquences et quels sont les prévisions.

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Nous n’avons pas répété les conclusions des études précédentes, mais avons mis l’accent sur les nouvelles connaissances.

Nous présentons à la fin de chaque chapitre les lacunes de nos connaissances qui indiquent les orientations de nos futures études. Par exemple, contrairement à la température de l’air, il est difficile de mesurer la masse de la neige dans les montagnes ou en Arctique, le volume des précipitations. Cette incertitude influe sur les autres conclusions, notamment en ce qui concerne l’isolation thermique du permafrost. Il s’agit également du contenu des gaz à effet de serre dans le permafrost et de leur émission dans l’atmosphère à cause de la fonte. Nous comprenons la réalité de ce processus, mais pas ses modalités ou son envergure. Quels seront les changements de l’écosystème? Que va-t-il se passer avec la circulation de l’eau dans océan? Il y a beaucoup d’autres questions de ce genre. 

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