En Côte d’Ivoire, le suicide demeure tabou malgré un taux parmi les plus élevés au monde

La Côte d’Ivoire enregistre l’un des taux de suicide les plus élevés au monde, comme en atteste un rapport récent de l’OMS et ainsi qu’en témoignent de nombreux faits divers. Le suicide demeure pourtant encore largement tabou dans le pays, où il est perçu comme «un truc de blancs et de riches». Analyse.
Sputnik

Ces derniers jours, la question du suicide a été abondamment évoquée par les internautes ivoiriens. En cause: un classement disponible sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia, relayé courant septembre 2019 sur les réseaux sociaux.

Ce classement, attribué à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fait apparaître, sur la base du taux de suicide répertorié dans 183 pays (100.000 personnes par pays) en 2015, la Côte d’Ivoire comme le premier pays africain et le cinquième dans le monde.

Des données plus récentes publiées dans un rapport de l’OMS sur le suicide en date du 9 septembre ont permis d’infirmer ce classement qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre. En effet, la Côte d’Ivoire y était présentée avec l’un des taux de suicide les plus élevés au monde, supérieur à ceux de la plupart des pays européens, des États-Unis ou encore de la Chine.

Mais la manière dont les internautes s’en sont saisi sur les réseaux sociaux montre bien qu’il reflète une réalité qui, bien que surprenante dans ce pays ouest-africain, n’en demeure pas moins inquiétante. En Côte d’Ivoire, comme partout ailleurs en Afrique, le suicide demeure tabou.

Dans son rapport, l’OMS indique que le taux de suicide normalisé selon l'âge, en 2016, était de 23 pour 100.000 habitants. Le nombre de suicides enregistrés sur la même année a été de 3.446, dont 2.475 hommes et 971 femmes.

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Sur la base du taux de suicide normalisé selon l'âge, il ressort de ce rapport de l’OMS que la Côte d’Ivoire occupe le deuxième rang en Afrique, derrière le Lesotho (28,9) et devant l’Ouganda (20). Mais au regard du nombre de suicides, le pays se trouve à la cinquième place, derrière le Nigeria (17.710), l’Afrique du Sud (6.476), la République démocratique du Congo (4.453) et l’Ouganda (4.105).

Ces données sont toutefois à relativiser. En effet, sur les 183 États de l'OMS pour lesquels des estimations ont été établies pour l'année 2016, seuls près de 80 disposaient de données de bonne qualité sur les enregistrements d'état civil.

«Des méthodes de modélisation ont été nécessaires pour générer des estimations pour la majorité des pays restants, principalement des pays à revenus faibles ou intermédiaires. Étant donné que la majorité des suicides se produit dans ces pays, il est urgent de disposer de données de qualité sur l'enregistrement des actes d'état civil dans ce contexte», a précisé dans son rapport l’OMS.

Dans la société africaine, et ivoirienne en particulier, «parler de la mort» est un sujet tabou et «se donner la mort» l’est encore plus.

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Interrogé par Sputnik sur les causes de la poussée de suicides observée ces dernières années en Côte d’Ivoire, le sociologue ivoirien Marc Mian évoque la «désintégration de la cellule familiale» au gré de décennies de crises sociopolitiques que le pays a connues.

Et quand on se penche sur les nombreux faits divers de suicides relayés par la presse et sur les réseaux sociaux, on constate aisément des causes diverses comme la dépression, la maladie, l’échec scolaire, le chagrin d’amour ou encore la solitude.

«Bien que tabou, le suicide est bien présent dans la société ivoirienne. Ce n’est pas une affaire de blancs ou de riches, comme certains se plaisent à le penser. Et si on entend beaucoup parler de cas de suicides ces dernières années, c’est surtout parce qu’avec les réseaux sociaux, l’information est largement accessible à tous», explique Marc Mian au micro de Sputnik.

En avril 2019, le suicide d’un prêtre catholique à Maféré, une commune du sud-est de la Côte d’Ivoire (à une centaine de km d'Abidjan) avait choqué dans le pays. Celui-ci, accusé d’avoir sexuellement abusé d’une fillette, avait choisi de se donner la mort pour échapper à la justice. Dans une note rédigée avant son passage à l’acte, il avait imploré le pardon de tous ceux qu’il avait «offensés».

Le suicide, un problème mondial dont l’Afrique n’est pas exempte

L’OMS estime à près de 800.000 (soit un mort toutes les 40 secondes) le nombre de personnes qui se suicident chaque année dans le monde. Ce chiffre énorme, mais qui serait jusqu’à vingt fois inférieur au nombre de tentatives estimées, fait du suicide un phénomène qui occasionne plus de morts que les guerres et les homicides réunis.

En 2016, le suicide était la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans. Et 79% des suicides sont survenus dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires, en Afrique notamment.

«Le suicide n’est pas le seul fait des pays à revenus élevés, c’est un phénomène mondial. Chaque suicide est une tragédie qui touche les familles, les communautés et des pays entiers et qui a des effets durables sur ceux qui restent», déclare l’OMS dans son rapport.

Parmi les «méthodes de suicide les plus répandues dans le monde», l’institution onusienne cite l’ingestion de pesticides (20%), la pendaison et l’usage d’armes à feu.

«Si le lien entre suicide et troubles mentaux (en particulier la dépression et les troubles liés à l’usage de l’alcool) est bien établi dans les pays à revenus élevés, de nombreux suicides ont lieu de manière impulsive dans un moment de crise et de défaillance de l’aptitude à faire face aux stress de la vie, tels que les problèmes financiers, une rupture, une maladie ou une douleur chronique», poursuit l’OMS.

L’OMS assure que la plupart des suicides sont «évitables». Notamment par des mesures de prévention, de sensibilisation ou encore de suivi des personnes qui ont fait une tentative.

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Si le suicide est considéré comme un problème de santé majeur par l’OMS, il n’en est pas forcément de même pour les autorités ivoiriennes. Il n’existe pas, en effet, à ce jour de stratégie nationale de prévention du suicide en Côte d’Ivoire. Combien faudra-t-il encore de victimes pour que les pouvoirs publics acceptent de se saisir de ce douloureux mal-être des populations qui peut les pousser jusqu’à l’irrémédiable ?

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