Goldman Sachs qui s’inquiète d’un mois d’octobre à très haut risque pour les marchés. Une Réserve fédérale américaine (Fed), obligée d’injecter des dizaines de milliards de dollars quotidiennement sur le marché. Et de plus en plus d’observateurs gagnés par le pessimisme… L’économie mondiale est-elle sur le point d’être frappée par une tempête?
La semaine dernière, le marché monétaire américain a été traversé par un vent de panique. C’est sur ce dernier qu’institutions financières et entreprises se prêtent à court terme afin de faire face à leurs échéances quotidiennes. Normalement, les taux pratiqués pour les emprunts au jour le jour sont sensiblement les mêmes que ceux de la Réserve fédérale américaine (autour de 2%). Mais ces derniers ont explosé, jusqu’à atteindre 10%. Durant plusieurs jours, la Fed a dû injecter des dizaines de milliards de dollars quotidiennement afin de ne pas laisser le marché asséché des liquidés, essentielles au bon fonctionnement de l’économie. Un tel contexte est une première depuis 10 ans et… la crise des subprimes. 2008, 2019, même combat? Se dirige-t-on vers un krach économique majeur?
Pas pour le prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz, pour qui «il faut plus de perturbations pour provoquer une crise mondiale». Mais face à lui, le camp des pessimistes est bien garni. Le journaliste économique Benjamin Masse-Stamberger en fait partie. Selon lui, une crise économique est non seulement inévitable, mais également proche. Entretien.
Sputnik France: Selon vous, il est temps de s’interroger sur une potentielle faillite des banques américaines et une crise financière d’ampleur est inéluctable. C’est assez pessimiste comme vision…
Benjamin Masse-Stamberger: «Oui et non. Si vous interrogez la majorité des économistes, ils vous diront que lors des deux prochaines années, vous assisterez à minima à une baisse des marchés. Pour la plupart, une crise financière est devenue inévitable. Cela pour diverses raisons. La première est à chercher du côté de la récession, qui couve concernant l’économie américaine. Qui dit récession aux États-Unis, dit baisse de la consommation de ménages et baisse du revenu des entreprises. Tout cela est indexé sur le secteur financier. Ce dernier a des crédits sur l’économie réelle. Si les entreprises américaines se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leurs crédits, une difficulté va se présenter concernant les banques. Nous l’avions vu au moment de la crise des subprimes en 2007, qui avait été causée par l’incapacité des ménages américains à rembourser les crédits qu’ils avaient contractés sur leurs maisons achetées dans des conditions extrêmement favorables. Précisément parce que cela rapportait au secteur financier à l’époque.»
Sputnik France: Vous dénoncez les zones d’ombre du marché…
BenjaminMasse-Stamberger: «Il y a une forme d’opacité dans le secteur financier qui fait qu’un certain nombre de bulles sont susceptibles d’exploser. Il existe un véritable risque que les banques ne soient plus en capacité de se prêter les unes aux autres du fait qu’elles ne savent pas ce qui se cache dans leurs bilans. C’est ce que nous avons vu avec la récente intervention massive de la Fed, qui s’est substituée aux banques pour apporter de la liquidité sur le marché interbancaire. Cet événement signifie que les banques n’ont plus confiance les unes envers les autres. Et c’est un signe avant-coureur majeur d’une crise financière à venir. La dernière fois que cela s’était produit, c’était il y a 10 ans avant le choc de la faillite de Lehmann Brothers.»
Sputnik France: Plusieurs observateurs font un parallèle entre la situation actuelle et celle de la période 2007-2008. Légitime, selon vous?
Benjamin Masse-Stamberger: «Tout à fait. Les interventions de la Fed, avec des montants atteignant des dizaines de milliards de dollars, afin d’alimenter le marché pour que les banques puissent accéder à des liquidités et des refinancements à court terme sont très révélateurs. Il faut savoir que ces refinancements sont censés se faire entre banques. Et il n’y a aucune raison que des institutions financières ne puissent pas se prêter des fonds à court terme, cela ne devrait poser aucun problème particulier. Il y a un souci d’opacité. Les établissements financiers américains n’ont plus confiance les uns envers les autres, alors même qu’ils sont supposés avoir été réformés et régulés après la crise de 2008, notamment via les G20. Mais force est de constater que cela n’a pas fonctionné, sinon la Fed ne serait pas obligée d’intervenir. Et c’est grave. Cela veut dire que tout ce que l’on a dit sur régulation est en partie faux. De plus, Donald Trump, à son arrivée au pouvoir, a dérégulé une partie de l’activité des banques américaines et a détricoté une partie de ce qui avait été tricoté post-crise sous Barack Obama et sous l’égide de la communauté internationale financière.»
Sputnik France: Rien n’a donc été réglé?
Benjamin Masse-Stamberger: «On peut penser qu’en surface, les banques ont effectivement des activités plus saines, comme les crédits aux particuliers ou aux entreprises. Mais, l’on peut également penser qu’en sous-main, de manière invisible, ces banques sont connectées à de grands fonds spéculatifs, dont l’activité n’est pas régulée. Ces derniers ont des activités de gré à gré, qui sont de fait beaucoup moins surveillées. Vous avez les “black pools”, tout ce qu’on appelle la finance de l’ombre qui brasse des centaines de milliards de dollars. D’autant plus que tout cela est démultiplié par les produits dérivés et leurs effets de levier qui vous permettent de miser 10 avec 1. De plus, la mécanisation des opérations financières et le trading à haute fréquence démultiplie le caractère “moutonnier” des marchés, car tout le monde prend les mêmes décisions en même temps. Tout cela est provoqué ce qu’on appelle des “effets trigger”, ou seuil de déclenchement à partir duquel toutes les machines vont dans la même direction au même moment.»
Sputnik France: D’après vous, la récente attaque des rebelles Houthis sur plusieurs installations pétrolières saoudiennes a potentiellement joué un rôle dans le vent de panique qui a soufflé sur le marché interbancaire américain…
Benjamin Masse-Stamberger: «Nous avons vu que les capacités de production pétrolière de l’Arabie saoudite ont été remises en question suite à cette attaque. Il y a eu une variation très forte des prix du pétrole en quelques heures. Il faut savoir que les coûts du pétrole sont largement l’objet de spéculations via les produits dérivés. Alors, est-ce qu’il n’y a pas eu un effet de déclenchement provoqué par un certain nombre de sorties de ce marché des dérivés pétroliers de la part des gestionnaires de fonds? Il est possible que cela fasse partie des paramètres qui ont fait se poser aux banques la question suivante: “Est-ce que telle banque n’est pas trop investie dans tel fonds d’investissement qui risque de faire faillite à cause de l’évolution des cours du pétrole?” Je spécule, mais que je pense que c’est une question que l’on peut légitimement se poser.»
Sputnik France: Les signes que quelque chose se prépare sont donc déjà là?
Benjamin Masse-Stamberger: «On peut se dire qu’à minima, il n’y a pas de visibilité sur la réalité des bilans bancaires. Deuxièmement, il y a un début de panique dans le secteur financier, qui fait que la Fed est d’obliger d’intervenir massivement et de se substituer aux acteurs privés. Ce sont des signaux avant-coureurs qu’il y a quelque chose de bien avancé dans le processus qui va mener à une crise financière dont on pourra juger de la gravité. Mais si l’on se compare à l’échelle de Richter, je dirais que l’on se dirige vers 7 à 10. Nous savons qu’il ne s’agira pas d’une petite secousse. C’est certain.»
Sputnik France: Selon la célèbre banque d’affaires Goldman Sachs, le mois d’octobre sera dangereux pour les marchés. ll est traditionnellement à haut risque, on se souvient du krach d’octobre 1929 ou encore celui de 1987 sans parler des événements de 2008. Pourrait-on assister au krach d’octobre 2019?
Benjamin Masse-Stamberger: «C’est une période à risque. Vous avez la rentrée de septembre lors de laquelle les opérateurs de marché doivent reprendre leurs marques. C’est à ce moment qu’ils prennent conscience d’un certain nombre de tendances de marché qu’ils n’avaient pas vues pendant les vacances. Le temps que tout ceci fasse son nid, de grands bouleversements peuvent intervenir en octobre. Comme vous l’avez rappelé, il y a eu le krach d’octobre 1929, celui d’octobre 1987 et la crise de Lehmann Brothers en 2008 a connu son paroxysme à l’automne, y compris en octobre, où l’on a assisté à des variations de cours allant jusqu’à -10% sur une journée de cotation, un cas de figure que l’on avait plus vu depuis la crise de 1929. Nous voyons bien qu’actuellement, quelque chose est en gestation et peut déboucher sur une crise violente. De plus, les banques centrales, au lieu de s’attaquer aux problèmes fondamentaux de la crise qui ont rapport avec la mondialisation et les régulations commerciale et financière, n’ont fait qu’injecter des milliards dans l’économie. Nous avons soigné le mal par le mal. Le tout renforcé par la politique de Donald Trump qui a dérégulé le système financier et a poussé la Fed à accentuer sa politique monétaire accommodante.»
Sputnik France: D’après votre analyse, l’impact est proche…
Benjamin Masse-Stamberger: «Les marchés américains sont à des niveaux qui n’ont absolument aucun rapport avec la réalité de l’économie. Si l’on suppose que cette dernière progresse sur une courbe allant de 1 à 4% par an, c’est à comparer avec des marchés financiers qui progressent de 5 à 10% par an. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire où une telle déconnexion des marchés par rapport à l’économie réelle n’ait pas mené à un atterrissage douloureux. Il n’y a absolument aucun doute que nous nous dirigeons vers une crise. Maintenant, tout est une question de timing. Est-ce que cela se produira dans six mois? Dans les semaines qui viennent? Est-ce que Donald Trump, par souci de réélection, va faire en sorte de colmater les brèches? Selon moi, le degré d’avancement de la crise financière tel qu’on peut la lire, si l’on regarde au-delà des apparences et des discours convenus des économistes et la communication politique, fait penser que le déclenchement est proche. Si je devais donner une prédiction, je dirais que le plus probable est qu’une crise d’ampleur frappe l’économie mondiale avant la fin de l’année. La probabilité d’un déclenchement dans les trois mois est de 75%.»