«Les Présidents des États-Unis ont tenté [...] de confiner la République islamique»

Alors que Donald Trump et Emmanuel Macron devraient s’exprimer mardi 24 septembre à la tribune de l’Onu, les tensions avec Téhéran peuvent-elles s’apaiser? Entretien avec Thomas Flichy de la Neuville, spécialiste de l’Iran.
Sputnik

Ce lundi, la délégation iranienne dirigée par Hassan Rohani décollait pour New-York pour participer à l’Assemblée générale de l’Onu et Téhéran libérait le tanker britannique Stena Impero. Après l’attaque revendiquée par les Houthis du site pétrolier d’Abqaiq, en Arabie saoudite, le 14 septembre par des drones, l’Iran cherche-t-il la désescalade dans les fortes tensions qui l’opposent aux États-Unis? Comme le souhaite ardemment le Président Emmanuel Macron, une rencontre éventuelle entre Hassan Rohani et Donald Trump peut-elle contribuer à la reprise du dialogue?

Zarif explique pourquoi les autorités iraniennes ne veulent pas rencontrer Trump
Nous avons posé ces questions à Thomas Flichy de la Neuville, agrégé d'histoire et docteur en droit, spécialiste de l'histoire diplomatique de l'Iran et auteur de Géopolitique de l’Iran aux Presses Universitaires de France (PUF).

Sputnik France: Comment expliquer la position des États-Unis ?

Thomas Flichy de la Neuville: Les Présidents des États-Unis ont tenté de façon uniforme de confiner la République islamique d’un point de vue géopolitique, mais avec un style très différent. Celui de Barack Obama était très habile car ce dernier prenait en compte les grands traits de la culture persane lorsqu’il s’adressait aux Iraniens. Il invoquait volontiers l’histoire de la Perse, sa contribution à l’innovation scientifique mondiale et sa culture très sophistiquée de la politesse diplomatique. À l’inverse, le ton très direct de Donald Trump va à l’encontre d’une culture iranienne privilégiant les discours ambigus et indirects. En réalité, le président Trump ne se concentre pas sur la politique étrangère américaine: son objectif est d’assurer sa réélection. Pour ce faire, il privilégie la remise en route de l’économie, le reste importe moins.

Sputnik France: Quels sont les espoirs nourris par les Iraniens ?

Thomas Flichy de la Neuville: La République islamique d’Iran n’attend pas grand-chose de l’administration Trump. Pour le gouvernement iranien, en effet, il existe une opposition structurelle entre les deux pays. Toutefois, le gouvernement iranien est conscient du fait que Trump n’hésite pas à saboter les velléités de confrontation de sa propre diplomatie. Après les échecs stratégiques afghan, irakien et syrien, les États-Unis n’ont rien à gagner d’une nouvelle défaite diplomatique ou militaire. Les Iraniens le savent. Ils jouent par conséquent les Américains les uns contre les autres.

Sputnik France: Mais alors, qu’en est-il des dernières tensions? Le risque d’une guerre existe-il?

Thomas Flichy de la Neuville: Les tensions navales récentes dans le golfe Persique ne doivent pas masquer un changement fondamental: ce bras de mer n’est plus essentiel à la sécurité énergétique des États-Unis, ces derniers exportant désormais leur propre gaz de schiste. Quelles sont les conséquences de cette mutation à moyen-terme ? Pour les États-Unis, l’espace du golfe Persique demeure un marché pour l’exportation de la haute technologie civile et militaire, mais a perdu une grande partie de son intérêt géostratégique. Pour leur flotte de guerre, l’enjeu est moins de sécuriser les approvisionnements énergétiques de l’Amérique que de pointer du doigt l’importance de la menace militaire iranienne – quitte à médiatiser le moindre incident – afin d’entretenir l’idée de la guerre possible.

Sputnik France: Comment la France peut-elle jouer son rôle de médiateur?

Thomas Flichy de la Neuville: La médiation diplomatique française n’est pas facile pour les raisons suivantes: en Iran, les invasions ont forgé une culture allant à rebours de la tradition juridique française. Alors que les modes de négociation aristocratiques perdurent dans la France médiévale, les élites persanes, discréditées par la conquête arabe, mettent au point des procédés sophistiqués afin d’assurer leur propre survie : l’inertie s’impose comme la force des dominés. Dans la vie quotidienne, un droit spontané arbitré par les courtiers se développe. Les élites vaincues et hantées par les complots mettent à l’honneur les discours ambigus au détriment de la clarté juridique afin de conserver une parcelle de pouvoir. L’analyse institutionnelle révèle simultanément des résonances frappantes entre la Perse et la culture de la France classique. Celles-ci ont trait au poids du clergé dans les institutions, au regard sur l’histoire mais également à l’art de la conversation qui rassemble Français et Persans. A la métaphore persane répond le travestissement baroque. À l’étiquette de cour fait écho la politesse des marchands iraniens. L’âge classique est à l’évidence celui de la proximité, la Révolution française constituant une rupture institutionnelle et culturelle à la racine d’un éloignement progressif et finalement d’une incompréhension. Le souvenir des invasions, comme l’attente du parfait courtisan, constitue par conséquent deux clefs permettant de renouer les fils d’un dialogue culturel interrompu et d’une respiration juridique suspendue. Encore faut-il les connaître pour s’en saisir.

Discuter