Comment l'attaque de drones contre les raffineries saoudiennes profite à Riyad

Après les Etats-Unis, les militaires saoudiens ont accusé l'Iran d'avoir lancé une attaque de drones contre les sites pétroliers de l'Arabie saoudite.
Sputnik

La récente attaque contre les raffineries saoudiennes pourrait profiter aussi bien aux Etats-Unis qu'à leurs alliés dans la région, qui appellent à attaquer l'Iran, écrit le journal Vzgliad. De plus, cet événement a provoqué une hausse du cours pétrolier. 

Cette attaque a été perpétrée à l'aide de drones d'origine iranienne, et non depuis le territoire yéménite. C'est ce qu'a déclaré lundi le porte-parole de la coalition arabe qui combat au Yémen, le colonel saoudien Turki al-Maliki. La coalition est capable de contrer les attaques et de protéger les sites pétroliers cruciaux, a-t-il indiqué.

De cette manière, Riyad a officiellement démenti la déclaration des rebelles yéménites Houthis, qui ont revendiqué l'attaque de dix drones contre les plusieurs grands sites et raffineries en Arabie saoudite:

«Il existe des indices que l'attaque contre les sites pétroliers n'a pas été perpétrée depuis le Yémen, comme l'ont déclaré les Houthis, et que l'arme utilisée dans l'attaque contre Aramco est d'origine iranienne», a déclaré le colonel al-Maliki.

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Plus tôt, le secrétaire d'Etat Mike Pompeo avait officiellement remis en question la version yéménite en pointant l'implication de l'Iran dans ces attaques. Ces déclarations résonnantes ont presque fait oublier le fait que la plus importante attaque de drones contre les plus grands sites pétroliers saoudiens n'a fait aucune victime: aucun mort ni blessé n'a été rapporté. En revanche, dans la confrontation qui se déroule entre Washington et Téhéran s'inscrit parfaitement une nouvelle menace américaine – lancer une frappe destructive contre les sites pétroliers iraniens.

Une frappe depuis le Nord-Ouest

A noter des points faibles dans la version «iranienne» des faits. L'envergure et la précision des attaques de drones contre les sites pétroliers saoudiens montrent qu'elles ont été lancées depuis l'Ouest et le Nord-Ouest, et non depuis le Yémen, a fait savoir un haut représentant de l'administration américaine dimanche. Dans l'idée, «l'envergure et la précision» devrait témoigner au profit de la version iranienne, mais il existe une incohérence géographique – l'Iran ne se trouve pas au Nord-Ouest, mais au Nord-Est de la province saoudienne Ach-Charqiya.

L'attaque depuis le Nord ou le Nord-Ouest aurait pu être perpétrée depuis l'Irak ou même depuis le territoire israélien.

«A première vue, la première version évidente est que derrière pourrait être l'Iran, qui coopère étroitement avec les Houthis. Mais il existe un autre bénéficiaire de l'attaque contre les sites pétroliers saoudiens – Israël, pour qui il est bénéfique d'impliquer les Etats-Unis dans une guerre contre l'Iran», a indiqué à Vzgliad Konstantin Sivkov, président de l'Académie d'études géopolitiques.

L'attaque de drones contre les sites pétroliers saoudiens peut être considérée comme un maillon de plus dans la chaîne de provocations dans le but d'accuser l'Iran et de pousser les Etats-Unis à lancer une opération contre la république islamique, estime l'expert. Il souligne également que cette attaque a eu lieu à la veille des législatives anticipées israéliennes, et que les représentants du parti Likoud du Premier ministre israélien Netanhyahou au pouvoir utilisent traditionnellement une rhétorique anti-iranienne agressive pour renforcer leurs positions.

«Un affaiblissement maximal de Téhéran et une opération militaire américaine contre l'Iran seraient bénéfiques pour Israël parce qu'étant donné que les missiles iraniens couvrent l'ensemble du territoire israélien et menacent l'existence de l'Etat hébreu, pour eux l'Iran est l'ennemi numéro un qu'il faut affaiblir à tout prix. Cette attaque profite également aux Etats-Unis parce que la réduction de la part du pétrole saoudien sur le marché accroît la compétitivité du pétrole de schiste américain», explique l'expert.

Par ailleurs, tous les rivaux régionaux de l'Arabie saoudite se retrouvent gagnants, comme le Qatar, qui ont compris à présent que l'ABM saoudien était complètement inefficace, a noté le politologue Saïd Gafourov, directeur de l'Institut de l'africanisme et de l'orientalisme appliqué. Or la prochaine attaque pourrait viser non plus les raffineries, mais les puits pétroliers, par exemple.

Comment faire monter le prix du baril

Mais c'est l'Arabie saoudite elle-même qui pourrait se retrouver le bénéficiaire le plus inattendu de cette attaque. Les Saoudiens ont déclaré que l'attaque contre les sites pétroliers de Saudi Aramco le 14 septembre dans les villes de Kurais et d'Abqaiq a conduit à la suspension des fournitures de pétrole de brut à hauteur de 5,7 millions de barils, ce qui correspond à près de 50% de la production de la compagnie. Selon certaines informations, la reconstruction de l'infrastructure endommagée prendra des semaines.

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Mais le royaume est tout à fait prêt à tirer profit de son malheur: lundi, à la bourse de Londres le prix du baril Brent a augmenté de 20% - jusqu'à 71 dollars, et le baril WTI de 17%, jusqu'à 64 dollars. C'est une hausse record du cours boursier de toute l'histoire des observations, indiquent les experts. Ce qui est un cadeau pour l'Arabie saoudite, avec son déficit budgétaire qui a atteint cet été 8,9 milliards de dollars.

«Il est tout à fait possible que la hausse du prix du pétrole suite à l'attaque de drones soit bénéfique pour l'Arabie saoudite. Le budget de la monarchie connaît des pertes à cause du baril aussi bon marché», a constaté Igor Iouchkov, expert du Fonds de sécurité énergétique nationale. Comme l'ont fait remarquer les spécialistes, depuis mi-juillet le cours pétrolier mondial a commencé à chuter à cause d'une demande basse couplée à une production élevée aux Etats-Unis.

A la veille de l'incident, le prix du baril était passé sous la barre psychologique de 60 dollars. Dans l'ensemble, pour la période quand le prix était inférieur à 65 dollars, le budget du royaume s'est significativement épuisé.

«Et surtout, Riyad pourrait essayer d'augmenter le prix du pétrole en prévision de l'entrée en bourse de la compagnie publique Saudi Aramco. C'est pourquoi l'Arabie saoudite réduisait la production pétrolière davantage qu'il n'était prévu par l'accord Opep+ et appelait d'autres pays signataires à réduire leur production», indique Igor Iouchkov.

A noter que la semaine dernière Saudi Aramco a changé de président du conseil d'administration (ce poste était occupé par le ministre de l'Energie Khaled al-Faleh). Ce dernier a été renvoyé du poste ministériel précisément parce qu'il ne parvenait pas à faire monter les prix, explique l'expert. Il a été remplacé par le fils du roi, le prince Abdel Aziz ben Salmane, qui joue aujourd'hui le rôle de porte-parole principal pour calculer le préjudice infligé aux Saoudiens par «l'attaque iranienne».

«Un nouveau ministre arrive et c'est là qu'un incident étrange se produit, après quoi le baril augmente. C'est très étrange. C'est également suspect parce que l'Arabie saoudite parle d'une réduction de la production pétrolière à cause de l'attaque de drones, alors que les Houthis semblent avoir attaqué des raffineries, et non des gisements. Il existe de très nombreuses incohérences mineures dans cette histoire», a conclu l'expert.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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