«On est tout le temps surpris! C’est quand même incroyable! […] pour une fois, anticipons!», s’emportait Frédéric Pierucci à l’Assemblée nationale.
«Nous savons que General Electric est dans une situation catastrophique, nous savons que c’est à vendre, on a une golden share en plus dans cette joint-venture-là, qui permet d’avoir un droit de regard sur un futur repreneur, pour une fois, anticipons!», insistait Frédéric Pierucci.
Pour lui, l’État doit jouer cartes sur table avec GE et lui demander de faire une proposition. «On rachète et au moins on ressort par le haut de l’affaire Alstom!» estime-t-il, regrettant que pour l’heure, il n’y ait «aucune stratégie industrielle» de l’exécutif depuis cinq ans afin «d’essayer de recouvrer notre souveraineté».
«G.E est dans une situation catastrophique […] nous avons une technologie absolument unique, qui est l’une des meilleures technologies au monde, c’est 3.000 emplois en France. C’est la turbine Arabelle, qui fournit toutes nos centrales, qui est la plus aboutie technologiquement, c’est un business qui est profitable. Je ne comprends pas pourquoi on ne se saisit pas de ce type de projets au plus haut niveau de l’État»,
développait l’auteur du livre Le piège américain (Éd. JC Lattès, janvier 2019) devant les participants au colloque. «On est toujours dans le réactif… je suis allé deux fois à Bercy proposer ce projet-là», regrettait-il, évoquant notamment les cas d’Ascoval, de Ford, de Belfort ou encore d’Air France-KLM, lorsque l’exécutif français fut pris au dépourvu en apprenant l’entrée «surprise» au capital du groupe de son homologue néerlandais.
Une visite au cours de laquelle le ministre de l’Économie a pressé le conglomérat américain d’«améliorer très significativement» sa copie et de respecter ses engagements, ce à quoi GE a répondu qu’il «[travaillait] sur les mesures possibles pour adapter le projet de réorganisation en cours, tout en permettant de recouvrer durablement la compétitivité de l’activité gaz du site de Belfort dans un marché très dégradé», comme le relate Le Monde. En somme, dans l’affaire Alstom, l’emploi semble toujours être la priorité du gouvernement. En effet, en 2014, afin de convaincre le gouvernement français de lui céder la branche énergie d’Alstom, General Electric avait promis la création de 1.000 emplois dans l’hexagone d’ici 2018. Un deal, scellant le sort d’Alstom Energy, qui échappe encore à Frédéric Pierucci.
«Quand on vend une entreprise qui a été bâtie sur la commande publique pendant 50 ans, qui fait partie du patrimoine national et de la souveraineté industrielle, pour un plat de lentilles et pour une création de mille emplois, pour moi c’est de la haute trahison! Il faut mettre les mots sur les actes!»
Présents au colloque, autour de l’ancien cadre d’Alstom, le député Les Républicains (LR) Olivier Marleix, qui présida la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle (Alstom, Alcatel, STX, etc.) et son ancien confrère LR Jacques Myard, diplomate de carrière, qui dès 2014 réclamait l’ouverture d’une commission d’enquête sur la cession de la branche énergie d’Alstom à son concurrent américain. Également présent, l’ex-Secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy, Pierre Lellouche, auteur d’un rapport sur l’extraterritorialité américaine. Ils constituent cette «poignée» d’élus qui ont cerné les dangers que l’extraterritorialité du droit américain fait peser sur les entreprises françaises et de manière plus générale, sur les intérêts de la France et de ses concitoyens.
Dans le cas de General Electric, le chantage n’a pas traîné: au lendemain même du rachat de la branche énergie d’Alstom et de son activité d’entretien des fameuses turbines Arabelle qui équipent les 58 réacteurs des centrales nucléaires françaises (ainsi que la flotte nucléaire française), l’entreprise américaine avait cessé la maintenance desdites turbines. Le couteau sous la gorge, EDF avait dû renégocier un contrat plus favorable à l’Américain.
Un épisode sur lequel est d’ailleurs revenu Frédéric Pierruci, dressant le parallèle avec la dernière guerre du Golfe. Les Américains avaient alors cessé de fournir des catapultes de lancement à la France, clouant au pot d’envol les avions du Charles de Gaulle. L’énergie française (à 75% produite par les centrales nucléaires, dont l’entretien des turbines est à présent entre les mains des Américains) est ainsi devenue un nouveau levier de pression pour la Maison-Blanche.
«Si demain, on n’est pas d’accord avec la politique étrangère américaine, s’ils imposent à GE de ne plus fournir de pièces de rechange pour nos turbines, on nous met dans le noir! […] il n’y a pas de mot, on est complètement dans les mains des Américains.»
Frédéric Pierruci évoque également le cas du géant chinois des télécommunications Huawei, privé de la technologie Android par Google sur demande des autorités américaines.
Le cas de la remise en vente d’un actif stratégique français, peu après son rachat par un acteur privé étranger, n’est pas une première. Nokia, qui avait avalé Alcatel-Lucent, leader mondial de la production, pose et maintenance de câbles sous-marins –une activité stratégique à laquelle s’adonnent à présent les géants du numérique– via sa filiale Alcatel Submarine Networks (ASN), a rapidement remis en vente cette dernière, provoquant la colère des autorités françaises. Une vente d’un fleuron industriel français qui, tout comme celle d’Alstom, fut poussée par l’actuel locataire de l’Élysée…