Un comparateur de programmes présidentiels pour les électeurs tunisiens indécis

Faut-il réouvrir l’ambassade de Tunisie à Damas? Changer le régime politique actuel? Ou encore dépénaliser l’usage du cannabis? Le comparateur de programmes électoraux pour la présidentielle tunisienne vous aidera à déterminer votre candidat. Et ce n’est peut-être pas toujours celui que vous croyez!
Sputnik

Des portraits géants pullulent dans les grandes artères du pays, dans chaque coin de rue, sur quelques bus de la compagnie nationale et, bien entendu, sur les pages sponsorisées des réseaux sociaux. La concurrence est rude puisqu’il y a vingt-six prétendants… contre un seul poste à pourvoir. La Tunisie, qui élit son Président le 15 septembre prochain, n’aura que l’embarras du choix. Sera-t-elle «plus forte»? Devra-t-elle dire «oui au changement», écouter «la voix de la raison», privilégier plutôt «l’action aux paroles»… ou s’en remettre, tout simplement, à «Hamma»?

Des questions auxquelles ont tenté de répondre un groupe de jeunes Tunisiens en lançant un comparateur de programmes électoraux. La plateforme porte le nom de «Chnowa barnemjek» (C’est quoi ton programme? en tunisien). Un de ses principaux promoteurs, Mohamed Ghedira, raconte à Sputnik la genèse du concept.

«Un jour, j’ai posé la question autour de moi: l’élection présidentielle c’est pour bientôt, savez-vous déjà pour qui vous allez voter?», se souvient Mohamed Ghedira, 25 ans, anesthésiste résident et particulièrement actif dans la société civile tunisienne.

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Cet embarras, et celui de ses interlocuteurs, Mohamed Ghedira et ses amis en feront une force de proposition. Ils réfléchissent au moyen de mettre en place un mécanisme d’aide à la décision, destiné aux électeurs qui partagent leur flottement électoral. L’objectif est surtout de dépasser les réflexes émotionnels pour se centrer sur les programmes.

«Les partisans des candidats ne cessaient de s’insulter les uns les autres sur les réseaux sociaux. Le niveau des débats n’était pas très élevé. Peu de personnes parlaient des programmes électoraux proposés par les candidats. Il faut dire qu’il était dommage qu’on en soit toujours là, huit ans après la révolution», regrette Mohamed Ghedira.

Une équipe se constitue rapidement, avec pour seule condition d’adhésion, la notion de «responsabilité sociale», c’est-à-dire «être conscient, en tant que jeune, que vous avez une responsabilité envers le pays», explique le jeune homme.

Bientôt, il est rejoint par une dizaine de personnes, âgées de 18 à 25 ans, venant d’horizons divers… y compris de la conception multimédia et la production audiovisuelle. «C’est ce qui nous a permis de réaliser ce site internet avec un budget nul!», se félicite Mohamed Ghedira.

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La plateforme Chnowabarnemjek.tn est lancée le 2 septembre, premier jour de la campagne électorale. Elle est constituée de trois rubriques principales: Découvrir les candidats, Comparer les candidats et un quizz présidentiel en 45 questions, avec trois réponses possibles: «oui», «non» ou «ne se prononce pas».

Selon que vous soyez favorable ou non à l’abolition de la peine de mort, à la réduction du nombre de parlementaires, à l’autorisation des cafés d’ouvrir pendant le Ramadan, à la suppression du service militaire obligatoire, le quizz vous indique quel candidat est fait pour vous!

Une fois le questionnaire rempli, l’utilisateur se voit dirigé vers une page lui indiquant les trois candidats dont il serait le plus proche, par ordre de préférence, pourcentages à l’appui. En défilant vers le bas, on peut aussi connaître ses candidats préférés pour chaque thématique (Politique, Sécurité, Société, Environnement, Affaires étrangères, etc.). La démarche est rendue possible grâce à un algorithme en open source, disponible en téléchargement libre à la fin du quizz.

«Toute personne qui dispose d’une connaissance minimale du langage informatique peut vérifier que nous sommes à égale distance de tous les partis et que nous donnons, de façon algorithmique et binaire, la même chance à tous les candidats», détaille Mohamed Ghedira.

Toutefois, certains ne sont jamais à l’abri d’une mauvaise surprise, après avoir fini le quizz. «J’ai rempli le questionnaire, du mieux que j’ai pu et, à ma grande surprise, je suis tombé sur l’ancien ministre des Finances, Elyes Fakhfakh», s’est étonné Hamza, 35 ans, qui pensait être plus proche de l’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomaa. «Cela montre à quel point notre vote relève d’un processus émotionnel, avant d’être rationnel», décrypte Mohamed Ghedira.

Faute de pouvoir proposer un «charismomètre», la plateforme Chnowa barnemjek a essayé de brasser un grand nombre de questions au caractère clivant pour faciliter la distinction entre les différents candidats.

«Les 45 questions du quizz sont le fruit de quelques mois de travail! Ce sont des mini-sondages réalisés sur le terrain puisque nous avons la chance de venir, pour chacun d’entre nous, d’une région différente de la Tunisie», poursuit Mohamed Ghedira.

Les premiers utilisateurs ont été… les candidats eux-mêmes. Les réponses aux questions ont été récoltées auprès des candidats en personne, ou auprès de leurs directeurs de campagne, «soit en nous déplaçant personnellement, soit par formulaire retourné par mail et signé», affirme le jeune homme.

Il regrette néanmoins que seuls quatorze candidats – sur vingt-six ­– aient répondu à leurs sollicitations, ce qui a conduit, de facto, à exclure les douze défaillants des résultats finaux.

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Le scrutin du 15 septembre est la deuxième présidentielle depuis le soulèvement populaire de 2010-2011. L’avènement des islamistes et la montée du terrorisme – ainsi associés dans l’esprit d’une grande partie de Tunisiens – a occulté, à l’occasion du scrutin général de 2014, la question des programmes politiques, supplantés par l’antagonisme islamisme/progressisme.

«À l’époque, on était encore dans un processus de refondation de la République. Il fallait discuter du modèle sociétal et adopter un socle commun des valeurs. Ce qui est désormais chose faite avec la nouvelle Constitution. Peut-être qu’il a fallu en discuter et remettre cela sur la table plus d’une fois. Mais aujourd’hui, huit ans après la Révolution, il est temps de passer à un cran supérieur pour parler santé, éducation, politique étrangère et environnement. Le contenu des programmes, c’est la seule chose qui intéresse réellement les Tunisiens», analyse Mohamed Ghedira.

Et ils ont été plutôt nombreux à le montrer! Dix-mille visiteurs uniques se sont ainsi rendus sur la plateforme numérique Chnowa Barnemjek au premier jour de son lancement. Un engouement confirmé, d’ailleurs, par l’emballement suscité par les débats présidentiels. Du 8 au 11 septembre, les réseaux sociaux tunisiens se sont faits très largement l’écho des débats organisés entre les 26 candidats à la présidentielle. Un événement supervisé par l’instance indépendante des élections, l’ISIE, ainsi que le gendarme de l’audiovisuel, HAICA, et salué comme inhabituel dans le monde arabe.

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