La mode ethnique africaine a le vent en poupe à Abidjan, mais sa voilure est trop faible

Valoriser la culture africaine à travers des vêtements et accessoires et surtout un savoir-faire artisanal, voici ce à quoi s’attèle depuis cinq ans Roukiatou Djinko. Les créations originales de la jeune Abidjanaise de 31 ans ont séduit l’une des femmes d’affaires les plus influentes d’Afrique qui n'a pas hésité à la financer. Portrait.
Sputnik

Le 20 août 2019, Roukiatou Djinko reçoit un financement de la fondation BJKD de l’Ivoirienne Bénédicte Janine Kacou Diagou, considérée comme l’une des femmes d’affaires les plus influentes d’Afrique.

Séduite par les créations de la jeune femme qui sont en phase avec les centres d’intérêt de sa fondation (entrepreneuriat, art et culture), Janine Kacou Diagou – directrice du groupe NSIA et fille de Jean Kacou Diagou, deuxième fortune de Côte d’Ivoire – n’a pas hésité à lui témoigner son soutien via un coup de pouce financier visant à l’aider dans son activité de création de vêtements et accessoires. 

Ce faisant, elle a permis à Roukiatou Djinko d’ouvrir sa première boutique à Abidjan. Inaugurée le 7 septembre dernier, celle-ci vient consacrer les efforts de la créatrice de 31 ans qui n’avait pas hésité à démarrer son activité en 2014, mais sur fonds propres.

La mode ethnique africaine a le vent en poupe à Abidjan, mais sa voilure est trop faible

«Je suis heureuse de savoir que cette dame n’a pas attendu d’aide avant de se lancer, elle y a cru et elle l’a fait. Et c’est justement pour cela que ma fondation l’a soutenue», a souligné pour sa part Janine Kacou Diagou, dans une publication sur Facebook.

La passion pour la mode comme solution au chômage

Mariée et mère de trois enfants, Roukiatou Djinko est titulaire d’un master en droit des affaires obtenu en 2010. Jusqu’en 2014, dans une Côte d’Ivoire post-crise où la situation socioéconomique était des plus précaires, elle peine à trouver du travail. De ce fait, elle décide de se lancer par elle-même dans une activité compatible avec ses goûts et sa situation familiale.

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Cette fan de la mode et «amatrice de bon goût», comme elle se décrit elle-même, entreprend alors de confectionner des vêtements en pagne pour les vendre à ses proches et se faire, ainsi, un peu d’argent tout en s’occupant.

«J’ai commencé à vendre dans mon entourage, à des amis proches qui se rendaient en Europe et qui voulaient des vêtements soulignant leur identité africaine. Petit à petit, je me suis constitué une clientèle», raconte à Sputnik Roukiatou Djinko.

Au départ, elle ne confectionnait que des tee-shirts et des polos auxquels elle ajoutait des motifs en pagne wax (coton imprimé de qualité supérieure).

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«Le pagne était en cette période de nouveau très en vogue étant donné que des personnalités comme Michelle Obama, Beyoncé ou encore Nicki Minaj arboraient fièrement des vêtements faits de cette étoffe», explique Roukiatou Djinko.

Tantôt simple ou coloré, imprimé ou brodé, tissé ou tressé, le pagne est une étoffe qui meuble volontiers la garde-robe des Africaines. Elles le portent dans les grandes occasions (fêtes d’apparat ou religieuses), mais aussi au quotidien.

Les premières créations de Roukiatou Djinko, en plus de plaire à ses proches, suscitent l’intérêt d’autres expatriés qui désirent en avoir également dans leur penderie. La toute nouvelle créatrice de mode prend alors conscience du potentiel de son activité.

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Toujours en 2014, elle crée «Mod Etnik», une marque qui va mettre en valeur la culture africaine en alliant le moderne au traditionnel. Elle s’entoure de deux collaboratrices qui ont une expérience dans le domaine de la mode locale afin de diversifier son offre.

Aux tee-shirts et polos, elle ajoute désormais des robes, des accessoires de beauté et séduction féminins comme les bijoux (boucles d’oreille, colliers, sautoirs, perles de rein…), de la lingerie, et même des sacs pour écoliers en pagnes africains. Des articles originaux qui sont tous réalisés à la main.

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«La confection artisanale est pour les clients un gage de qualité. Savoir que les motifs de ces tenues et accessoires qu’ils trouvent beaux ont demandé de nombreuses heures de travail minutieux à la main est un atout considérable dans leur acte d’achat», explique au micro de Sputnik Roukiatou Djinko.

À partir de 2018, c’est à plein temps que la jeune juriste de formation se consacre à «Mod Ethnik», qui avait, depuis 2014 installé sa boutique à son domicile.

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Pour ses créations, outre le pagne, elle se sert de matériaux comme les pois des Baoulés (l’un des plus grands groupes ethniques de la Côte d’Ivoire), les cauris du Burkina Faso, les perles du Sénégal.

«De plus en plus, ces dernières années, à l’occasion des cérémonies de dots et de mariages, on constate que les fiancés et leurs familles souhaitent mettre en avant la culture africaine à travers leurs tenues. Plutôt que de les louer comme c’est généralement le cas, Mod Ethnik leur confectionne des tenues et accessoires qu’ils peuvent continuer à porter après la cérémonie», poursuit la créatrice abidjanaise.

Mod Ethnik essaie de s’inscrire dans la logique de «la mode à petits prix». Ainsi, les accessoires peuvent s’acquérir à des prix allant de 2.000 à 10.000 francs CFA (3 à 15 euros). Quant aux robes de soirée et de cérémonie, elles s’échelonnent entre 25.000 à 40.000 francs CFA (38 à 61 euros). Ce qui reste très raisonnable au vu de la qualité des matériaux utilisés et du procédé de fabrication.

«Actuellement, la demande est vraiment supérieure à l’offre. On a des commandes qui nous viennent de partout en Côte d’Ivoire comme Korhogo et même d’au-delà : du Burkina Faso ou du Bénin… Nous aurions besoin de plus de moyens pour parvenir à satisfaire tout le monde. Hélas, avec une seule boutique, il est difficile de faire face à cet engouement», regrette Roukiatou Djinko.

En Côte d’Ivoire, troisième producteur africain de coton après le Mali et le Bénin, l’industrie de la mode connaît un essor remarquable depuis la fin de la crise postélectorale. À l’instar de Roukiatou Djinko, de plus en plus de jeunes créateurs talentueux se lancent. Mais souvent avec peu de moyens, ce qui fait qu’ils contribuent encore faiblement à l’économie du pays.

Roukiatou Djinko, qui rêve d’implanter des boutiques un peu partout en Côte d’Ivoire et en Afrique, risque une nouvelle fois d’être confrontée à l’épineuse question de la recherche de fonds.

Pour bénéficier d’un financement auprès d’une banque ivoirienne, il faut être déclaré au Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire, rédiger un business plan et prouver à la banque que son entreprise a déjà fonctionné un certain temps (deux ou trois ans en général) et qu’elle fait du chiffre. Ce sont là autant de conditions que les jeunes entrepreneurs ont souvent bien du mal à remplir.

«Les grandes banques ivoiriennes financent très peu les petites entreprises. Je leur recommande généralement de se diriger vers les structures de microcrédit pour une plus grande chance d’obtenir un financement», a conseillé au micro de Sputnik Laetitia Djirebo, fondatrice de jecompare.ci, la première plateforme de comparaison de 27 banques et deux établissements financiers de Côte d’Ivoire.

Pour ce qui concerne le cas particulier de Roukiatou Djinko, Laetitia Djirebo estime que le fait d'avoir bénéficié d'un financement de la fondation BJKD «peut en effet faire basculer la balance» en sa faveur auprès d’une banque.

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