Réputé être en pointe du progressisme, voilà que le Canada se retrouve accusé de… négationnisme, voire d’antisémitisme! Autant dire que l’affaire fait tache. Pour la comprendre, un petit retour en arrière s’impose.
Le 21 août dernier, l’ambassadeur canadien en Ukraine, Roman Waschuk, a participé au dévoilement d’un monument érigé à la mémoire des 17 membres exécutés par les nazis de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et de son bras armé, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA). Des organisations pro-nazies, mais contre qui finirent par se retourner les Allemands. La cérémonie avait lieu dans la ville de Sambir, dans l’Est du pays, en lisière du cimetière où reposent 1.200 Juifs exécutés en 1943 par l’armée nazie et leurs collaborateurs ukrainiens. L’ambassadeur canadien était accompagné de quelques hauts gradés de l’armée canadienne.
Organisé et financé par l’organisme canadien Ukrainian Jewish Encounter, l’événement avait pour but affiché de renforcer «la compréhension mutuelle et la solidarité entre Ukrainiens et Juifs». On comptait aussi célébrer l’inauguration future d’un nouveau monument à la mémoire des victimes juives du massacre de Sambir. Des représentants de l’Église orthodoxe ukrainienne, de l’Église grecque catholique d’Ukraine et de la communauté juive ukrainienne étaient présents.
L’événement à caractère multiconfessionnel n’a toutefois pas eu l’effet escompté, l’inauguration du monument en l’honneur des membres de l’OUN ayant soulevé l’indignation de personnalités juives. La présence du grand rabbin d’Ukraine est loin d’avoir suffi à éviter le pire.
Un événement qui soulève l’indignation
Le monument qui a choqué est une grande croix de pierre érigée en lisière du cimetière, dans lequel ont déjà été installées trois autres croix controversées. En 2000, un philanthrope juif canadien avait fait ériger un monument à la mémoire des Juifs victimes de la Shoah, mais des habitants l’ont démoli et installé trois croix en bois de 10 mètres de hauteur en mémoire des membres de l’OUN et de l’UPA. Depuis plusieurs années, des Juifs militent pour leur retrait, attendant le jour où ils pourront enfin se réapproprier complètement le site.
Chief Rabbi Bleich: C'était en fait une cérémonie très spéciale et émouvante. Il convient de noter que, à mon avis, cette journée historique n’était possible que en#Ukraine démocratique. "La démocratie oblige la société à respecter les opinions des autres et à enseigner à la population la tolérance et le respect des différences"
Roman Waschuk: # Remember Memorial Park est une initiative de # Sambir avec l'assistance
@ukrainianjewish du Canada: Mark Fraiman et Kostya Temerthey. Je suis ravi que nos militaires soutiennent cette entreprise multinationale interconfessionnelle. Mémoire partagée du passé, solidarité pour la défense de l'avenir!
L’événement se voulait peut-être une réconciliation, mais a choqué certains membres de la communauté juive internationale, la participation du Canada n’étant pas passée inaperçue. Des personnalités juives n’hésitent pas à parler de véritable «profanation». En effet, des historiens ont révélé que l’OUN et l’UPA avaient étroitement collaboré avec les Allemands durant Seconde Guerre mondiale et procédé de leur propre initiative à plusieurs pogroms:
«C’est une insulte flagrante à la mémoire des victimes juives. C’est comme si on érigeait un monument à la mémoire des assassins sur les tombes de leurs victimes. Je suis profondément troublé par cette profanation. C’est un acte épouvantablement cynique», a déclaré Eduard Dolinsky, président de l’Ukrainian Jewish Committee, lors d’une entrevue accordée à Radio Canada International.
Pour justifier sa présence à cet événement, le grand rabbin Bleich a affirmé qu’il fallait trouver un «compromis» afin que soient retirées les trois autres croix du cimetière. Un point de vue partagé par l’Ukrainian Jewish Encounter, dont le site Internet semble consacré à relativiser la persistance de l’antisémitisme dans le pays de Makhno. Un argumentaire qui n’a pas reçu un écho favorable:
«Le grand rabbin d’Ukraine et d’autres responsables religieux ont participé à l’inauguration d’un monument honorant des membres d’un mouvement ultranationaliste dont les adeptes ont collaboré avec les nazis», n’a pas manqué de souligner le Times of Israël, le 27 août dernier.
Selon des experts interrogés par Radio Canada, l’Ukraine chercherait à présenter les 17 nationalistes assassinés comme des héros afin de faire oublier le passé lourdement antisémite de cette organisation. L’événement aurait donc servi les intérêts de groupes révisionnistes et négationnistes:
«Ils essaient de faire croire que les nationalistes ukrainiens ont vécu les mêmes exactions que les Juifs, alors qu’en réalité l’Organisation des nationalistes ukrainiens a activement pris part au massacre des Juifs», a confié l’historien suédois Per Anders Rudling au média canadien.
John-Paul Himka, historien canadien d’origine ukrainienne, est d’avis que le Canada ne devrait pas prendre part à ce genre d’événements militants:
«Je ne crois pas que le Canada devrait participer à des cérémonies qui honorent ce genre de personnes, car ce sont des criminels de guerre», a-t-il mentionné.
Rappelons que le Canada est l’un des plus proches alliés de l’Ukraine. En mars dernier, Ottawa a prolongé la mission des Forces armées canadiennes sur son territoire, dans le but supposé de renforcer sa place dans l’Union européenne.
Certains observateurs estiment que la politique étrangère du Canada est largement influencée par sa communauté ukrainienne, qui compte un peu moins de 1,5 million de personnes. C’est notamment le cas de l’ambassadeur Roman Washuk, né de réfugiés ukrainiens et de Jocelyn Coulon, ancien conseiller de l’ex-ministre canadien des Affaires étrangères, Stéphane Dion (2016-2017). Dans son best-seller "Un Selfie avec Justin Trudeau", M. Coulon analyse et dénonce les effets de cette réalité sur la relation du Canada avec la Russie.