«À la base, je n’ai rien à voir avec la terre. Je ne suis pas du tout du domaine agricole, mais je l’ai découvert avec beaucoup de bonheur. Les Seedballs m’ont séduites d’emblée. Je me suis dit que puisque c’est tellement simple à mettre en place, il n’est pas possible de passer à côté. Surtout quand on voit tous les problèmes de déforestation que les gouvernants ne parviennent pas à assurer convenablement, car reboiser coûte cher», détaille au micro de Sputnik Sarah Traboulsi.
Après une vingtaine d’années passées à diriger une régie publicitaire qu’elle a créée, tout en menant parallèlement des activités commerciales, Sarah Traboulsi, mère de quatre enfants, ne «s’éclatait plus», comme elle le dit elle-même.
En octobre 2018, elle tombe sur un reportage de la BBC sur Seedballs Kenya au cours duquel le journaliste prononce une phrase qui l’interpelle: «En Afrique, on a trouvé la solution au reboisement!». Sa vocation est ainsi née.
Au cours de ses recherches, elle découvre que les Seedballs sont une méthode qui existe depuis l’Égypte antique, retravaillée par le microbiologiste japonais Masanobu Fukuoka (1913-2008). La «méthode Fukuoka» (du nom de son auteur) mondialement connue est «simple, pratique et naturelle», explique-t-elle. Elle consiste à disséminer sur une parcelle de terre une boulette d’argile séchée contenant une graine. Au contact de l’eau, l’argile se dissout et la graine germe.
«Seedballs Kenya a repris la méthode ancestrale, l’a un peu perfectionnée et, depuis 2016, l’applique sur le terrain. Ils m’ont expliqué qu’au départ, c’était surtout les ONG et les entreprises privées qui les approchaient. L’État ne l’a fait que longtemps après», déclare Sarah Traboulsi au micro de Sputnik.
Avec la campagne nationale baptisée «Regreen Kenya», à laquelle l’État kenyan et tous les acteurs de la société civile participent, reboiser le pays, qui ne possède actuellement qu’à peine plus de 2% de couvert forestier, est devenue une priorité.
Une situation qui s’explique par l’agriculture extensive (la Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao et de noix de cajou) et l’exploitation abusive du bois exporté ou transformé en charbon.
Après avoir pris contact avec la société kenyane, «ils m’ont expliqué qu’on ne peut pas transposer des terres d’un pays à un autre en raison des lois phytosanitaires en vigueur. Du coup, je suis obligée de fabriquer des Seedballs chez moi avec des essences locales pour respecter l’écosystème en Côte d’Ivoire. Et eux m’ont apporté une assistance technique», explique Sarah Traboulsi.
Grâce à la formation prodiguée par Seedballs Kenya, elle est en mesure d’effectuer ses propres tests à partir d’essences locales. Après quelques échecs, une première graine réussit à germer.
Le teck mesure aujourd’hui près de 30 cm. Un arbre qui pousse naturellement en zone rurale. Les populations le plantent parfois autour des villages car il est réputé pour agir comme un pare-feu et surtout, il renaît de ses cendres.
Il y a diverses façons toutes aussi simples les unes que les autres pour répandre les Seedballs dans la nature, à tel point que même un enfant peut le faire. Au Kenya, les enfants sont initiés aux Seedballs dès leur premier âge, car celles-ci se confectionnent entièrement à la main.
«Il y a transfert de connaissance à ces enfants qui incarnent l’avenir. Ils apprennent à fabriquer les graines et partent ensuite les disséminer eux-mêmes dans la nature», se réjouit Sarah Traboulsi.
Son entreprise est actuellement en train de développer avec Côte d’Ivoire Drone, leader de l’industrie du drone dans le pays, une solution pour répandre les graines dans des zones où l’homme n’a pas facilement accès. Au Kenya par exemple, les hélicoptères sont souvent utilisés pour la dissémination.
Les Seedballs à la sauce kenyane sont des boulettes de poussière de charbon de bois mélangée à des liants nutritifs (et absolument rien de chimique), à l’intérieur desquelles se trouvent une graine. Ce revêtement qui entoure la graine vise à la protéger de prédateurs ou de températures extrêmes, jusqu’au contact escompté avec de l’eau.
«La graine a tout ce qu’il lui faut pour rester en sécurité jusqu’à recevoir de l’eau. Au contact de l’eau, elle germe. Et en germant, elle fendille son enveloppe comme un poussin qui sort d’une coquille. À mesure que la plante émerge, les racines se fixent», explique Sarah Traboulsi.
L’objectif avec les Seedballs, c’est de «recréer les forêts primaires», confie Sarah Traboulsi. Une boulette de Seedballs Côte d’Ivoire coûte entre 60 et 70 francs CFA (un centime d’euro), parmi les six espèces que produit l’entreprise. Ainsi, le prix d’un sac de 25 kg de graines varie de 250.000 à 350.000 francs CFA (entre 381 et 533 euros). Le sac de 25 kg de graines de teck — l’espèce phare — qui peut reboiser un hectare est par exemple à 250.000 francs CFA.
«Pour un planting d’arbres classiques, l’hectare coûte entre 800.000 et un million de francs CFA (1.219 et 1.524 euros). Ce sont ces frais élevés qui ne permettent pas à l’État de mener des campagnes de reboisement à grande échelle», explique l’entrepreneure ivoirienne.
Pour un planting classique, il faut toute une chaîne préalable: défricher, faire des pépinières, creuser, planter… Là où les Seedballs n’ont besoin que d’être répandues et d’eau.
En Afrique, outre le Kenya et désormais la Côte d’Ivoire, les Seedballs sont présents en Tanzanie, Zambie et Madagascar. Ailleurs dans le monde, les fameuses boulettes existent aussi en Angleterre, en Thaïlande ou encore en Inde.
«J’ai été contacté par le Burkina Faso et le Mali, qui souhaitent développer le concept chez eux. On n’a donc pas inventé l’eau chaude. On a juste trouvé une méthode qui existe, qui est fabuleuse, qui marche et que nous essayons de transposer dans nos pays», poursuit Sarah Traboulsi.au micro de Sputnik.
Également contactée par le ministre ivoirien des Eaux et Forêts, Alain-Richard Donwahi, Seedballs Côte est actuellement «en train de voir comment travailler avec l’État». Selon sa directrice générale, des tests seront effectués dès la fin août sur un site pilote de trois hectares dans la forêt classée de Kassa, à N’Zianouan, une localité à 125 km au nord-ouest d’Abidjan, en collaboration avec le ministère et la Société de développement des forêts (SODEFOR).
«Pour l’heure, on se dirige surtout vers les entreprises privées car plus accessibles», ajoute-t-elle.
Sarah Traboulsi pilote depuis août et jusqu’à fin octobre 2019 une collecte de fonds initiée par de jeunes étudiants ivoiriens en France. L’objectif est de recueillir 1.000 euros (656.000 francs CFA), cinq euros (3.280 FCFA) équivalant à 11 arbres plantés. Avec ce pactole, elle compte bien contribuer au reverdissement de la Côte d’Ivoire qui en a bien besoin.