Le Festival de l’Art russe est revenu à Deauville pour sa deuxième édition. Trois jours– du 22 au 24 août dernier– ont été consacrés par les organisateurs à «explorer et réinventer ensemble les liens artistiques forts, tissés depuis des siècles entre la France et la Russie». Cette Saison russe a débuté par l’exposition-scénographie du jeune peintre Nikolaï Kochelev.
Laissons l’artiste décrire son travail:
«Le titre que j’ai choisi– Moon Pool ou Un lac de Lune– fait référence au phénomène qui se produit quand un rayon de lune passe dans une fente rocheuse et éclaire un lac de montagne. On voit une jeune fille qui s’est perdue près d’un lac et qui ne peut plus retrouver son chemin. Elle erre entre des arbres étranges, qui prennent la forme d’êtres vivants. La fille les appelle à l’aide, mais plus elle les interroge, plus elle se transforme en l’un de ces arbres, qui sont en fait des âmes égarées. Elle finit par se changer elle aussi en l’un de ces êtres étranges.»
Nikolaï Kochelev habite et travaille à New York. Après y avoir fait un Master, il a décidé de chercher un thème pour s’y «plonger entièrement» puisque «l’enseignement américain a changé son angle de vue».
«On voit différemment des évènements culturels dans leur perspective historique, raconte Nikolaï Kochelev à Sputnik. On n’analyse pas si ça te plaît ou pas, mais on essaye d’analyser pourquoi tel ou tel phénomène a provoqué à l’époque une réaction si vive.»
Et l’intérêt pour la peinture, semé dans l’âme de l’artiste dès le plus jeune âge, a porté ses fruits. «Mes parents me laissaient dans une salle de la Galerie Tretiakov de Moscou, près les œuvres de Doboujinski et Borissov-Moussatov», raconte Kochelev.
«Je sens que cette période de l’art russe est celle dont je suis le plus proche. Là, il est profond, lyrique, poétique, avec beaucoup de signes dissimulés. Chaque peintre de cette période “cryptait” ses œuvres, on peut mettre des années à les comprendre.»
Nikolaï Kochelev l’avoue facilement: les peintres des années 1900 sont ses interlocuteurs historiques dans l’art. Ce besoin de se raccorder à son passé, puisé dans le concept de «post-mémoire» de Marianne Hirsch au cours de ses années d’études sur l’œuvre des peintres symbolistes, a conduit le peintre à «échanger avec eux lors du processus de travail». Et la distance entre le New York d’aujourd’hui et la Russie du début du XXe siècle a été un catalyseur pour Nikolaï: «J’ai fermé les yeux et je me suis demandé ce qui était vraiment important pour moi, confie le peintre. Aux États-Unis, il y a un certain nombre de directions que la société t’impose presque, puisque ce sont les “thèmes à succès”– les inégalités, la violation des droits, etc.»
«Mais moi, je parle de la Beauté à l’état pur. Si c’est fait honnêtement et que tu es prêt à périr pour ta cause, ce n’est pas moins important que l’égalité des sexes, qui devient un thème de débat et qui fait vendre», s’enflamme Nikolaï Kochelev.
En Occident, on connaît bien les symbolistes russes, puisque depuis les premières apparitions des toiles du groupe de la Rose bleue au début du XXe siècle jusqu’à nos jours, de nombreuses expositions et ventes ont été organisées à travers toute l’Europe.
«Je montre à Deauville une œuvre new-yorkaise parmi les 300 qui constituent mon projet artistique, raconte Nikolaï Kochelev. Cette toile est devenue ici l’objet d’une scénographie, sans livret ni musique. Ça me rend libre, dans une transfiguration de mon idée de départ, et cela crée un projet pluridisciplinaire.»
Mais «sans livret» ne signifie pas «sans ballet» et l’idée du Ballet imaginaire germe dans l’esprit de l’artiste. Tous ses objets d’art –y compris ses sculptures, ses tissages et ses céramiques– constitueront un jour «une œuvre complète à part, qui va vivre sa propre vie». Nikolaï Kochelev, qui «aime des idées du groupe Le Monde de l’Art», suit aussi leur tradition «d’échange avec l’antiquité», mais reste, contrairement à eux, solitaire.
«Je vois apparaître au fur et à mesure des gens qui s’y intéressent aussi, ajoute Nikolaï Kochelev. Je ne suis pas en connexion avec eux, bien qu’ils fassent des choses similaires. Je tente parallèlement de réfléchir à l’essence de mon art, qui pourrait devenir le point de cristallisation de cette recherche artistique.»
Les 300 objets du projet Moon Pool seront présentés en 2020 pour la première fois en Russie, puisqu’on «y introduira les œuvres originales des peintres symbolistes pour instaurer la post-mémoire et même créer quelques éléments de mystification». L’artiste espère également montrer son projet en France.
En attendant, Philippe Augier, maire de Deauville, «trouve formidable» que le Festival de l’Art russe revienne dans sa commune pour la deuxième fois:
«C’est une fierté pour le territoire d’accueillir les danseurs du Bolchoï, ainsi que la chanteuse Daria Davidova et le peintre-sculpteur Nikolaï Kochelev, se réjouit le maire de Deauville au micro de Sputnik. Au début, on ne nous croyait pas, mais cette année, c’est la deuxième fois que les productrices Veronika Bogatyreva et Natalya Krasnova font venir des artistes russes, et on espère que cela continuera!»