L'apparition de la marine chinoise dans le Golfe, une perspective réelle?

Pour la première fois de l'histoire, Pékin a annoncé son éventuelle participation à une coalition navale. Et ce n'est pas tout: il est question d'actions conjointes avec les États-Unis dans le golfe Persique.
Sputnik

Certains politiciens n'y voient que des jeux diplomatiques mais si la Chine envoyait vraiment ses navires dans la région du golfe Persique, cela lui permettrait de changer significativement son statut naval dans le monde dans un avenir proche, écrit le quotidien Vzgliad.

Ni Jian, ambassadeur de Chine aux Émirats arabes unis, a déclaré que la marine chinoise pourrait se joindre à la coalition navale des États-Unis dans le Golfe afin de garantir la sécurité maritime.

«Nous allons réfléchir à l'accompagnement de nos navires commerciaux par la flotte militaire. Nous étudions la proposition américaine au sujet des mécanismes d'accompagnement dans le Golfe», a-t-il déclaré.

Le Royaume-Uni a déjà accepté de rejoindre la coalition américaine, alors que la France et l'Allemagne se sont abstenues. Les États-Unis ont appelé à créer cette mission dans le Golfe après l'interpellation, par la marine iranienne, du pétrolier Stena Impero battant pavillon britannique.

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Il a été annoncé hier que Pékin continuait d'acheter activement du pétrole iranien malgré l'interdiction de Washington: en juillet, la Chine a importé entre 4,4 et 11 millions de barils de pétrole iranien selon le service de suivi des mouvements des cargos pétroliers.

Comme l'a noté le Financial Times, le pétrole n'est pas du tout transporté par des intermédiaires mais par des navires appartenant officiellement à la compagnie publique chinoise CNPC. Toutefois, le volume des livraisons a tout de même fortement chuté par rapport à l'an dernier, quand l'interdiction américaine n'était pas encore en vigueur.

La participation chinoise bien en vue?

Konstantin Kossatchev, président de la commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), n'exclut pas que des navires de guerre chinois puissent être projetés dans le Golfe.

«C'est possible en théorie. La Chine est un pays souverain comme les autres. Elle a ses intérêts et les possibilités de réaliser son potentiel naval dans différentes régions. Mais je serais très étonné qu'elle rejoigne la coalition américaine. Cette idée est très douteuse. A ce que je sache, même parmi les alliés américains il existe des divergences à ce sujet, alors supposer que les Chinois accepteront cette sorte de collaboration avec les USA, un rival politique, voire un adversaire? Ce n'est pas du tout plausible», a-t-il déclaré au journal Vzgliad.

L'union des efforts avec les États-Unis dans le Golfe signifierait un grand tournant dans la politique chinoise, estime l'analyste militaire Alexandre Golts.

«C'est très probablement une ruse diplomatique. Les Chinois diront certainement qu'ils ont analysé les propositions américaines et qu'elles ne leur convenaient pas. Cela fait longtemps que nous n'entendons plus parler du partenariat américano-chinois dans le secteur militaire. D'un autre côté, pour s'affirmer dans le Golfe les Chinois doivent disposer de leurs propres bases navales. Ils prévoient déjà une présence militaire en Afrique, mais la Chine ne possède pas de bases dans le Golfe. Alors que l'utilisation de bases américaines, par exemple, ne signifierait pas un déploiement sérieux», a-t-il expliqué. 

Pendant ce temps, les politiciens américains, au contraire, durcissent leur rhétorique hostile vis-à-vis de la Chine. Ainsi, le nouveau secrétaire à la Défense américain Mark Esper, lors de son entretien à Tokyo avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe, s'est permis un ton presque insultant.

«L'activité militaire de la Chine et sa politique économique spoliatrice et calculatrice représentent une menace pour les normes du droit international que nous cherchons à défendre», a déclaré le chef du Pentagone.

«Le comportement des Américains vis-à-vis de l'Iran porte atteinte aux intérêts économiques de la Chine. Car elle possède des échanges conséquents avec l'Iran, de sérieux investissements dans ce pays», a indiqué l'expert du Centre d'analyste stratégique et technologique Vassili Kachine, de l'Institut de l'Extrême-Orient affilié à l'Académie des sciences de Russie. De plus, la sécurité énergétique de la Chine est remise en question parce que le pays reçoit une grande partie du pétrole qu'elle consomme de cette région, rappelle l'expert.

«La Chine fait partie des principaux partenaires économiques du Moyen-Orient, une grande source d'investissements pour la région. Elle y a investi plus d'argent que quiconque», conclut Vassili Kachine.

Présence militaire de la Chine dans la région

Alexandre Khramtchikhine, directeur adjoint de l'Instit d'analyse politique et militaire, rappelle que la flotte chinoise se trouve depuis longtemps dans cette région.

«Les Chinois y sont présents depuis longtemps. Du moins, ils sont en permanence dans l'Ouest de l'océan Indien. Ils possèdent une base officielle à Djibouti. Le principal prétexte pour son existence est la lutte contre les pirates, qui sont en réalité plus ou moins neutralisés depuis longtemps», a déclaré l'expert au journal Vzgliad.

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«En ce qui concerne le Golfe, le conflit n'y cesse jamais, il est toujours en phase militaire ouverte ou de pré-guerre», a-t-il noté.

Sachant que, selon lui, malgré l'attisement du conflit la Chine n'entrera pas en guerre avec les USA. Par ailleurs, la déclaration de l'ambassadeur chinois aux Émirats arabes unis doit être perçue comme une tentative de Pékin de réduire l'imprévisibilité dans ses relations avec les USA dans le contexte de la guerre commerciale actuelle.

De son côté, Alexeï Maslov, directeur du Centre d'études stratégiques de la Chine auprès de l'université russe de l'amitié des peuples, admet tout à fait l'apparition de navires de guerre chinois prochainement au large de l'Iran, des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite. Selon lui, la Chine «a l'intention de s'essayer au rôle de membre d'une coalition militaire pour faire parler d'elle comme d'une puissance militaire mondiale».

De plus, avait précisé plus tôt Alexeï Maslov, techniquement les navires militaires chinois peuvent déjà se trouver pendant une longue période loin de leurs côtes et n'ont pas besoin  de bases navales étrangères. Mais l'expert n'avait pas exclu que les États-Unis puissent à terme regretter le fait que les Chinois se mettent vraiment à patrouiller dans le Golfe.

Il a été annoncé vendredi que Tokyo avait également l'intention d'envoyer ses navires de guerre dans cette région. Toutefois, on ignore s'il rejoindra formellement la coalition américaine. Selon les sources du journal Nikkei, les Forces d'autodéfense sont prêtes à lancer un accompagnement autonome de navires de fret japonais dans le golfe d'Oman et le détroit de Bab-el-Mandeb.

Il n'est pas non plus exclu que cette région soit patrouillée par l'aviation déployée à la base japonaise de Djibouti. Sachant que les militaires japonais seront autorisés, si besoin, à ouvrir le feu à volonté.

En ce qui concerne l'Iran, sa position officielle se résume au fait que tous les navires de guerre des pays tiers dans le Golfe représentent un danger. Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a qualifié vendredi l'apparition de toute force extérieure dans le Golfe de «source de menace» pour Téhéran.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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