Ce week-end, des milliers de manifestants étaient de retour dans les rues de Hong Kong pour réclamer plus de «liberté et de démocratie». Et ce, malgré les violences des semaines passées et les menaces de plus en plus sérieuses de l’exécutif Hongkongais pro-pékin.
Née en réaction à un projet de loi controversé visant à permettre les extraditions vers la Chine, la mobilisation a pris de l’ampleur depuis le début du mois de juin à mesure que les revendications se multipliaient. Les Hongkongais réclament notamment l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif et non sa nomination par le gouvernement à Pékin, ainsi que l’abandon pur et simple du projet de loi d’extradition. Les manifestants dénoncent également la concentration de pouvoir depuis quelques années entre les mains du Président Xi Jinping. Une accumulation dénoncée au micro de RFI par Joshua Wong, 22 ans:
«Il y a cinq ans nous avions demandé des élections libres et nous faisions face au Président Xi Jinping. Aujourd’hui, nous demandons des élections libres et nous faisons face à l’empereur Xi.»
Ces manifestations non-déclarées et violemment réprimées par les autorités se heurtent néanmoins au refus catégorique des autorités de discuter. Si Carrie Lam, cheffe de l’exécutif à Hong Kong et proche de Pékin, a annoncé la suspension de la loi d’extradition, elle ne veut rien entendre concernant les autres demandes et ne compte organiser aucun grand débat. Ainsi les deux camps sont entrés dans une spirale de violences dont il est difficile de prédire quelle sera l’issue. Pour obtenir des clés de lecture sur les enjeux de ces manifestations, Sputnik a interviewé Pierre Picquart, écrivain et conférencier, spécialiste des relations internationales et de la Chine en particulier.
Sputnik France: Un haut responsable du parti a eu cette phrase choc la semaine dernière: «ceux qui jouent avec le feu périront par le feu» et des images de l’armée chinoise s’entraînant à contenir des manifestants ont été rendues publiques. Rappelons que la dernière fois que l’armée s’est retrouvée face à des manifestants en Chine, c’est sur la place Tian’anmen avec le bilan que l’on connaît. Est-ce du bluff de la part du gouvernement pour intimider ou est-il sérieux dans ses menaces?
Pierre Picquart: Il convient de rappeler que Hong Kong fait partie intégrante de la Chine bien qu’ayant un statut particulier et jouit d’ailleurs d’une certaine prospérité économique. Néanmoins, depuis quelques mois, on a des manifestations, comme celles des Gilets jaunes en France même s’il est difficile de comparer, avec des forces de l’intérieur -et de l’extérieur certainement- qui essayent de déstabiliser par le chaos. Cela passe par les attaques aux biens des personnes et aux biens collectifs: aéroport, Parlement… Face à cette évolution de la situation, bien évidemment que Pékin est l’autorité légale sur Hong Kong, après le Parlement. Aujourd’hui il est difficile de dire si Pékin va réagir pour remettre de l’ordre ou pas. Néanmoins, si le chaos économique était constaté sur Pékin, certainement qu’ils ne resteraient pas les bras croisés.
En 2014, le «mouvement des parapluies» avait fait du bruit à l’international mais n’avait débouché sur aucun changement significatif. Cinq ans plus tard, les Hongkongais redescendent dans la rue face à un projet de loi facilitant les extraditions vers la Chine puis élargissant les demandes en faveur d’une moins grande influence du gouvernement chinois continental. Dans ce bras de fer psychologique, les manifestants ont-ils plus de chances qu’il y a cinq ans de voir leurs souhaits exaucés?
Pierre Picquart: On est ici face à un mouvement paradoxal. Les manifestants clament qu’ils n’ont pas de libertés mais ils manifestent depuis plusieurs mois. On ne comprend plus leurs revendications si ce n’est qu’ils sont antichinois et anticommunistes et donc se heurtent frontalement aux autorités locales et nationales. Ainsi, je ne pense pas que les manifestants auront plus de chances d’être écoutés, surtout s’ils persistent dans la voie de la violence.
Le gouvernement joue la fermeté pour le moment, refusant d’accéder à une quelconque demande des Hongkongais, hormis la suspension du projet de loi d'extradition. Est-ce par peur d’ouvrir une fenêtre qui créerait un appel d’air en Chine continentale pour les Ouighours ou les Tibétains par exemple?
Pierre Picquart: Je ne pense pas que la Chine ait peur de quoi que ce soit. C’est comme si vous me disiez: le gouvernement français a peur des Basques ou des Corses… Il y a une autorité légale dans chaque nation et l’ordre doit toujours être respecté dans chaque nation, quelle qu’elle soit.
Pékin accuse certaines démocraties occidentales, en particulier le Royaume-Uni et les États-Unis, d’ingérence à Hong Kong. Pierre Picquart, Londres et Washington essayent-ils d’influencer la politique intérieure d’Hong Kong et par extension de la Chine? Si oui, par quels moyens?
Pierre Picquart: Je ne sais pas si on peut en avoir la preuve. Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’il se passe quelque chose en Chine ou en Russie, l’Occident souvent parle des droits de l’Homme; lorsqu’il y a des problèmes en France ou aux États-Unis, la Chine ne se permet pas d’interférer dans les affaires françaises, européennes ou américaines. On voit bien ici une disproportion de la diplomatie par rapport au respect de la légitimité des pouvoir en place.