Pourquoi participer au concours Stenine est-il important pour vous?
Participer à un concours photo permet d'utiliser une autre voie pour montrer son travail. Au-delà du simple fait d'être lauréat, cela permet aussi de toucher un jury, des personnalités que l’on n’aurait pas l'occasion ni la possibilité de contacter. Participer à un prix portant le nom d'un photoreporter tué sur le terrain permet de contribuer à ne pas oublier les risques encourus par les confrères. Et de faire perdurer la mémoire de celles et ceux tué.e.s en reportage. Andreï Stenine, comme mes amis français Lucas Dolega ou Rémi Ochlik (au nom desquels ont aussi été créés des prix de photojournalisme) méritent qu'on ne les oublie pas.
Cette année représente le 5e anniversaire de la mort d’Andreï Stenine. Le travail de photographe dans certains pays est extrêmement dangereux, pensez-vous que c’est une particularité du métier ou trouvez-vous cela anormal?
Oui le risque fait partie inhérente de notre métier. C'est un fait. Cela n'empêche pas de tout faire pour l'éviter. Ce qui n'est pas normal, c’est que notre métier soit de plus en plus pris pour cible par les militaires, rebellions, manifestants... La preuve que l'on continue de déranger.
Avez-vous vécu des moments dangereux lorsque vous preniez des clichés? Dans quels pays et dans quelles circonstances?
Oui, j'en ai vécu sur différents terrains de reportages, guerres, révoltes. Le simple fait de sortir son appareil photo fait de nous des cibles. Que l'on soit à Paris ou à Moscou, pas seulement dans le cadre d’une couverture de conflits. Durant un reportage au Sud Soudan, un homme qui semblait fou m'a braqué; j'ai été arrêté en Égypte par les militaires et j'ai été à l'hôpital après avoir reçu une pierre en plein visage durant la révolution. À Bangkok, durant l'écrasement de la contestation des Chemises Rouge, les balles nous visaient, et un photographe italien, Fabio Polenghi, a été tué par un sniper à quelques mètres de moi; en Libye j'ai clairement échappé de peu à la mort lors de bombardements. Cela n'a rien de glorieux, ce sont les risques du métier comme on dit. Mes pensées vont toujours à ceux qui n'ont pas eu cette chance.
À quel moment une photographie devient-elle politique, pouvant influencer davantage qu’un acte ou une déclaration purement politique?
Toute photo qui a du sens est politique. Rien n'est neutre. Notre culture, notre éducation, notre vision de la vie, le choix du cadrage, de la lumière, de montrer ceci plutôt que cela est politique. Notre métier se doit d'être honnête, mais n'est jamais «neutre», ni objectif. Une photographie doit émouvoir, troubler, déranger, poser question... Sinon elle ne sert à rien si ce n'est à décorer.
La photo influence clairement, mais ne change jamais l'Histoire. Elle témoigne plus de l'histoire qu'elle ne la crée. Actuellement, à l'heure des réseaux sociaux, elle sert d'autant plus à faire du buzz, à faire parler, à ouvrir les débats. C'est un premier pas, c'est ensuite à la politique de faire sa propre évolution. C'est ici que se joue l'influence. Quand on pense à la photo du petit réfugié Elan: elle a permis de scandaliser l'opinion publique et même politique, sans pour autant trouver une solution politique au problème de la guerre ou de l'accueil des réfugiés. Même si parfois on peut douter de l'utilité de notre métier, sans le photojournalisme, le monde ne serait qu'aveuglé par la propagande des images sans fond qui nous envahissent au quotidien. Le journaliste est là pour donner du sens au monde incompréhensible qui l'entoure et auquel le grand public n'a pas forcément accès.