Personne, en Tunisie, n’est en mesure d’expliquer dans quelles circonstances «l’effet Abdelkrim Zbidi» s’est véritablement déclenché. À un mois et demi de l’élection présidentielle, les arcanes du pouvoir, les plateaux de télévision, comme les repaires des lobbyistes les mieux informés, bruissaient du nom de cet outsider propulsé — presque malgré lui — candidat potentiel à la Présidence de la République.
Si de l’élément déclencheur on ne connaît pas grand-chose, on en sait un peu plus, en revanche, sur ce qui a pu servir de catalyseur à la candidature du ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi. Il s’agit de la mort du Président Béji Caïd-Essebsi (BCE). La communion spectaculaire des Tunisiens à l’occasion de ces funérailles nationales — on faisait courir à Tunis que son organisation réussie était due exclusivement à l’armée — éleva le Président au rang de Zaïm, en même temps que ses lieutenants les plus fidèles gagnaient leurs éperons…
De ceux-ci, Abdelkrim Zbidi faisait incontestablement partie. N’était-il pas parmi le noyau dur dont Béji Caïd Essebsi s’entoura dès son premier gouvernement, pendant «la petite transition» de février-octobre 2011? Son nom n’avait-il pas été évoqué plus d’une fois comme candidat potentiel à la présidence du gouvernement, chaque fois que le locataire de la Kasbah se trouvait politiquement usé? N’était-il pas le dernier responsable politique à avoir été reçu par BCE, et récipiendaire, à ce titre, de son testament politique, selon des indiscrétions de palais recueillies par Sputnik? N’était-ce pas l’Hôpital militaire de Tunis, relevant de sa juridiction, qui avait veillé sur le Président, jusqu’à ce qu’il rende son dernier souffle? N’était-ce pas lui, enfin, qui a été informé, le premier, de la mort du Président, qui a veillé au transport de la dépouille jusqu’au Palais de Carthage, d’où partiront, le lendemain, des funérailles nationales? Tout un symbole.
Pour Zied Krichen, un éventuel adoubement par Ennahda ne serait pas rédhibitoire pour Zbidi, pas plus qu’un retrait de la course à la présidentielle de l’actuel chef de gouvernement, Youssef Chahed, ne serait nécessaire. «À condition, toujours, que l’engouement populaire se concrétise, après l’annonce par Zbidi de sa candidature», insiste-t-il.
Entre temps, les rumeurs faisant état d’un candidat du Sahel à la solde de quelques lobbys d’affairistes, ou d’hommes politiques, écument sur les réseaux sociaux. Des positions relayées, souvent, par des plateformes numériques se cachant, à peine, derrière quelque étiquette politique. Certains ont même cru voir dans la candidature de ce Sahélien une revanche de cette région historique sur les Tunisois, aux commandes bicéphales de l’exécutif de 2016 à 2019. De 1957 à 2011, tous les chefs d’État et Premiers ministres qu’avait connus le pays étaient effectivement des Sahéliens, à l’exception de Bahi Ladgham (1969-1970).
Paradoxalement, et à en croire une source digne de foi du Palais, qui s’est exprimée à Sputnik, la candidature d’Abdelkrim Zbidi avait été voulue par Béji Caïd-Essebsi lui-même. Le ministre de la Défense avait été la dernière personne à avoir été reçue publiquement par le Président, pendant les trois semaines séparant ses deux dernières hospitalisations. Si bien que l’actuel ministre de la Défense bénéficie, également, entre autres soutiens de l’appui d’anciens proches du Président.
«Cette candidature correspondait au vœu de feu le Président Essebsi. “BCE” voyait en Zbidi une personnalité sage, qui n’est pas clivante, à même de préserver les acquis de la Tunisie, et de recueillir l’assentiment général à l’intérieur du pays. C’est également un choix qui pourrait être rassurant pour nos partenaires internationaux», assure à Sputnik une source du Palais de Carthage.