De grosses cylindrées défilent, en cette matinée, en rejoignant le Palais de Carthage. Leurs plaques d’immatriculation, ou les porte-drapeaux dont elles sont équipées, renseignent sur l’identité particulière de leurs occupants. Des membres du gouvernement tunisien, des chefs de missions diplomatiques, de hauts fonctionnaires internationaux et même des chefs d’État. À l’intersection de la Route Nationale 10 (RN 10) avec l’avenue Habib Bourguiba, une file de quelques centaines de personnes observent passivement la noria protocolaire, quelques minutes avant le démarrage des obsèques nationales du Président Béji Caïd-Essebsi. Un cortège retiendra brièvement leur attention. Il est hué pendant quelques secondes, alors qu’il dévale précipitamment la pente avant de gagner les portails du Palais. «C’est le Maroc !», justifient, excitées, des voix dans le public.
Depuis le décès du Président tunisien, les Tunisiens étaient particulièrement attentifs, et sensibles, aux manifestations de soutien et expressions de sympathie provenant d’autres pays. En toute bienveillance, Algérie, la «Grande sœur», comme se plait à l’appeler parfois à Tunis, a décrété trois jours de deuil national et dépêché sur place son président (provisoire) Abdelkader Ben Salah pour la représenter à ces obsèques nationales. Les voisins de l’Ouest ne furent pas moins courtois, avec trois jours de deuil national annoncés, et la présence de leur Premier ministre, Fayez El Sarraj.
Quoiqu’ayant opté pour une représentativité de moindre envergure, l’Égypte et la Mauritanie ont néanmoins décrété un deuil national de trois jours. Si bien qu’après recensement maghrébin, et même nord-africain, il apparaissait aux Tunisiens que seul Rabat «ne cochait aucune case»: non seulement le Royaume chérifien n’a pas décrété de deuil national après la disparition, le 25 juillet, du Président Caïd-Essebsi, mais en plus, son souverain, Mohamed VI, n’a pas été présent aux obsèques officielles. Il se fera représenter, non pas par son Prince héritier, mais par Moulay Rachid. Le frère cadet du Roi qui «n’est que» l’héritier présomptif du Trône du Maroc, et occupe le troisième rang dans l’ordre dynastique alaouite.
Pour beaucoup de Tunisiens, la situation devenait d’autant plus incompréhensible que même Cuba, qui n’est pourtant pas connue pour entretenir des liens fusionnels avec la Tunisie, a décidé de rejoindre le club des endeuillés, élargi entre-temps à la Jordanie, au Liban et à la Palestine. Des médias cubains ont, en effet, annoncé que suite à la mort du Président tunisien, le Conseil d’État de la République de Cuba a décrété trois jours de deuil, du 27 au 29 juillet, avec mise en berne des drapeaux dans les édifices publics et militaires.
« Le gouvernement cubain décrète un deuil officiel suite à la mort du Président de Tunisie, Béji Caïd-Essebsi », annonce le journal Diario de Cuba
Bienveillants, certains internautes ont émis l’hypothèse que le Maroc, en tant que Monarchie, ne décrétait probablement point de deuil. Ce à quoi il leur a été répondu par un contre-exemple datant de janvier 2015. Un deuil national de 3 jours, décrété au Maroc à la suite du décès du Roi saoudien.
En réalité, c’est «un cas de force majeur» qui aurait empêché les Marocains de décréter des journées de deuil, comme ils savent le faire en d’autres circonstances. La disparition du Président tunisien coïncidait, en fait, avec la Fête du Trône, qui célèbre, chaque année, l’intronisation du Roi du Maroc. Véritable ciment de la Monarchie marocaine, la Fête du Trône donne lieu, chaque 30 juillet, à un discours solennel du Roi Mohamed VI. C’est le moment habituellement choisi pour annoncer les grandes décisions, ou impulser de nouvelles orientations dans la politique générale du Royaume. Les célébrations officielles et populaires, quant à elles, ne se limitent pas à cette seule journée, mais s’étendent sur plusieurs jours, avant et après le 30 juillet. Si bien que c’est la concomitance de la disparition du Président tunisien avec cette fête de première importance qui a empêché le Maroc de décréter le deuil, a appris Sputnik d’une source diplomatique marocaine.