Le Sénégal dans l’effervescence de la finale de la CAN 2019

C’est depuis Dakar que Macky Sall, le chef d’État du Sénégal, va regarder la finale de la CAN 2019, qui oppose au Caire son pays à l’Algérie, a déclaré la Présidence à Sputnik. Plongée dans une fièvre footballistique depuis plusieurs semaines, la capitale sénégalaise s’est parée des couleurs du drapeau national en rêvant de la Coupe. Reportage.
Sputnik

La Présidence sénégalaise l’a annoncé le 18 juillet à la mi-journée: Macky Sall, le chef de l’État, restera à Dakar pour suivre la finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football qui verra s’affronter vendredi 19 juillet à partir de 19H00 GMT les équipes du Sénégal et d’Algérie.

«Toute l’équipe de la Présidence sera réunie [le vendredi 19 juillet 2019, ndlr] pour soutenir nos vaillants Lions lors de la finale CAN2019 ! En route vers la victoire ! Dem ba jeex! ["Allez jusqu’au bout!", en wolof, une des langues les plus parlées au Sénégal, ndlr]», a-t-elle tweeté.

Certains en ont douté jusqu’au lendemain, estimant qu’en tant que chef de l’État, Macky Sall se devait d’être au stade pour marquer son soutien à l’équipe nationale. «Il a encore le temps de prendre l’avion pour Le Caire», a insisté un présentateur d’une radio locale le matin du 19 juillet. Mais il n’y aura pas de changement de plan de dernière minute, a assuré à Sputnik le service de presse de la Présidence, interrogé à ce sujet.

«Le PR (Président de la République) n’ira pas en Égypte en raison du décès d’Ousmane Tanor Dieng», selon le service de presse, en référence au chef du Parti socialiste sénégalais et allié de Macky Sall qui s’est éteint le 15 juillet à Bordeaux, en France. Macky Sall «va suivre le match d’ici [de Dakar] mais il a dépêché en Égypte une forte délégation officielle, comprenant des membres de la majorité et de l’opposition», a-t-on indiqué de même source, sans plus de détails.

À la mi-journée, le 19 juillet, le fanion frappé des initiales «M.S.» du chef de l’État flottait bien sous le drapeau national au mât dressé dans l’enceinte de la présidence, dans le centre-ville, comme a pu le constater la correspondante de Sputnik à Dakar. Ce fanion est absent quand le Président se déplace hors du pays.

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Si certains regrettent que Macky Sall n’aille pas au Caire en une pareille occasion -le Sénégal n’avait pas atteint une finale de la CAN depuis 2002 au Mali, lorsqu’il a joué et perdu contre le Cameroun-, d’autres, en revanche, le voient d’un très bon œil. C’est le cas d’Amadou, un vendeur de fruits du centre-ville interrogé par Sputnik.

«Qu’il reste ici, mo gën dè ["c’est mieux hein!"]», a lancé le marchand, un petit drapeau du Sénégal planté sur son étal. «Autrement, il risque de nous porter malchance, après ce qui lui est arrivé il y a quelques jours. (...) C’est bien, qu’il reste ici!», a-t-il ajouté, faisant allusion au feu qui s’est déclenché dans le véhicule officiel du Président alors que ce dernier roulait avec son homologue malien, le Président Ibrahim Boubacar Keïta surnommé IBK.

Cet incident est survenu le mercredi 17 juillet, alors que les deux dirigeants revenaient d’une cérémonie officielle en hommage à Ousmane Tanor Dieng, qui a été inhumé dans son village natal de Nguéniène (ouest du Sénégal). La limousine du Président a pris feu, pour une cause encore indéterminée. Les deux dirigeants en sont sortis indemnes mais une vidéo de la scène circule depuis lors en boucle sur les réseaux sociaux du Sénégal.

«Malchance», «poisse», «guigne»: ces mots sont souvent prononcés par des Dakarois qui, superstitieux, craignent les mauvais présages. Pour El Hadj Bèye, arborant un maillot de foot et une écharpe aux couleurs du Sénégal, tout cela sera oublié «quand la Coupe viendra au Sénégal, inch’Allah [si Dieu le veut, ndlr]». Car ce vendeur de téléphones portables et accessoires électroniques divers installé au cœur du Plateau, dans le centre-ville, est convaincu que le Sénégal va battre l’Algérie.

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«On gagnera par 2 buts à 0, les buts seront marqués par Sadio Mané et Ismaïla Sarr inch’Allah», pronostique El Hadj Bèye, interrogé par Sputnik. «Inch’Allah, on aura la Coupe», insiste-t-il. Une jeune dame passant à proximité, entendant ses propos, réagit aussitôt: «Et après, on va manger le "ceeb" de la victoire!», en référence au ceeb bu jën [prononcé «tiep bou dieune»], le riz gras au poisson, un des plats typiques du Sénégal.

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La soif de victoire du Sénégal jusqu’à cette finale de la CAN ne s’est pas démentie à Dakar pendant toute la compétition. Au fil de l’ascension de leur équipe à la compétition en Égypte, les Sénégalais ont exprimé leur joie après chaque victoire des Lions, le nom officiel de la sélection, que beaucoup, surtout dans la presse internationale, surnomment «les Lions de la Téranga», «téranga» signifiant hospitalité en wolof. Des drapeaux du Sénégal ont fleuri partout dans la capitale, même si certains prenaient des libertés avec la disposition réglementaire des couleurs. Officiellement, ce symbole national sénégalais «est composé de trois bandes verticales et égales, de couleur verte, or et rouge. Il porte, en vert, au centre de la bande or, une étoile à cinq branches». Mais certains affichaient des bandes horizontales.

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Depuis quelques jours, on en voit depuis les grandes artères jusqu’aux balcons des maisons, en passant par les multiples «fan zones» des Lions, les antennes des taxis, les tableaux de bord des véhicules particuliers, les rétroviseurs de scooters et même autour des enclos à moutons qui s’installent dans les rues en prévision de la Tabaski, nom donné en Afrique de l’Ouest à la grande fête musulmane de l’Aïd el-Kébir.

Les Dakarois se sont aussi pris d’amour pour les maillots de foot arborant les noms des joueurs de la sélection nationale -celui ayant le plus les faveurs du public semble être Sadio Mané- ainsi que pour les T-shirts aux couleurs du Sénégal. Ces vêtements unisexe ont même remplacé le boubou traditionnel, habituellement porté le vendredi pour la prière à la mosquée.

La presse sénégalaise n’était pas en reste, pour exprimer la soif de victoire des Lions. Les éditions du 19 juillet ont ainsi rivalisé de jeux de mots, de prières ou d’injonctions en Une afin d’inviter leur sélection à ramener la coupe de la victoire à la maison.

«Coupe rek! [La Coupe seulement!]», clame Le Quotidien (privé), auquel fait écho Le Témoin (privé): «Rien que la Coupe!». «Ramenez la Coupe», enjoint EnQuête (privé) aux Lions qui, pour Libération (privé), mènent «La bataille du Nil». «Entrer dans l’Histoire», espère Le Soleil (pro-gouvernemental) tandis que Walf-Quotidien (privé), s’inspirant de la devise du Sénégal «Un Peuple - Un But - Une Foi», plaide pour «Un peuple, un But, une Coupe» tandis que L’Observateur, dans un jeu de mot assez réussi, titre: «Le jour le plus Lion».

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Baye Djiby, chauffeur de taxi, jongle depuis plusieurs heures entre les programmes de radio en quête des dernières nouvelles sur la préparation des joueurs sénégalais à la CAN, attentif aux moindres détails sur leur état d’esprit et leur moral. Il devient fiévreux en entendant l’une des nombreuses chansons, anciennes comme plus récentes, à la gloire de l’équipe nationale.

«Je vais rouler toute la journée (du vendredi 19 juillet), mais je vais garer [le taxi] pour suivre le match. Je ne peux pas faire les deux, ce n’est pas bon pour mon cœur!», a confié à Sputnik Baye Djiby, portant une sobre tunique grise. «Et après la victoire, personne ne va dormir. Parce qu’on va gagner. J’aimerais que ce soit par 3 à 0, mais je vais être raisonnable et dire 2-0 au moins. Et j’espère que Sadio Mané va marquer!», ajoute le chauffeur de taxi, tout excité à cette perspective.

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Le football «a cette force extraordinaire qu’il fédère toutes les forces, en même temps qu’il gomme toutes les aspérités sociales», a souligné le journal EnQuête paru le 19 juillet dans un éditorial. Il a souhaité une victoire pour «doper notre confiance en l’avenir», sans toutefois exclure l’éventualité d’une défaite car, a-t-il noté, «tout reste possible». Mais dans un tel cas de figure, «ne crachons point sur ces valeureux jeunes qui se sont battus, sous la chaleur, en terre hostile, sans la présence massive des supporteurs sénégalais».

Tout en étant euphoriques, beaucoup de Sénégalais reconnaissent qu’une victoire de leur équipe à la CAN ne signifiera pas la fin de leurs problèmes. «Mais au moins, ils vont nous sembler un peu moins lourds à affronter», a jugé pour Sputnik une mère de famille anonyme, patientant dans la file d’attente devant le guichet d’une banque.

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