Communément appelé CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est entré provisoirement en vigueur en 2017. Treize pays de l’UE en font partie, en plus du Canada, évidemment, avec toutes ses provinces. En France, de nombreux organismes et personnalités dénoncent l’accord, qui ferait courir de grands risques à l’agriculture et aux écosystèmes. L’opposition parlementaire s’est également émue qu’un traité aussi important ne fît pas l’objet d’un vote solennel et public. C’est apparemment ce qui a motivé le report de la ratification –initialement prévue ce 17 juillet– au mardi 23.
Le traité fait moins de bruit au Canada, mais ne passe pas pour autant inaperçu. Le 16 juillet dernier, plusieurs députés canadiens ont écrit une lettre à leurs homologues français pour leur demander de ne pas ratifier l’accord. Grand défenseur du libre-échange, Justin Trudeau a plusieurs fois défendu le traité lors de ses déplacements en Europe. Au Canada, s’opposer à l’accord, c’est aussi s’opposer à la politique économique du Premier ministre.
«[…] Ce type d’accord commercial n’est pas une bonne solution pour répondre aux problèmes les plus préoccupants aujourd’hui: les inégalités sociales, les atteintes aux droits de la personne et les changements climatiques. Nous croyons qu’en votant contre cet accord, vous avez la possibilité de faire une différence qui aidera non seulement les citoyens français qui s’opposent à cet accord, mais aussi ceux du Canada», concluaient les députés canadiens dans leur lettre, parue sur FranceInfo.
Le premier signataire de cette lettre est le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD), Jagmeet Singh, suivi de trois de ses députés: Alexandre Boulerice, Tracey Ramsey et Brigitte Sansoucy. Parmi les soutiens à ce texte, on retrouve aussi le chef du Parti vert du Canada, Élisabeth May, aux côtés de son député Paul Manly. S’y trouve enfin la députée Catherine Dorion, qui ne siège pas à Ottawa, mais à Québec, pour Québec solidaire, un parti de gauche.
Un appel du Canada pour ne pas signer le traité
Adversaire de Brigitte Sansoucy dans la circonscription de Saint-Hyacinthe-Bagot à l’élection fédérale, Simon-Pierre Savard-Tremblay voit pourtant d’un bon œil le contenu de cette lettre. Figure montante du mouvement souverainiste québécois, il est l’un des principaux critiques du libre-échange au Québec, ayant complété un doctorat en socio-économie. Auteur de deux livres sur le libre-échange, il livre son analyse à Sputnik.
«Le Québec est fréquemment trahi par l’oligarchie canadienne et la mise en place de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne en est un autre exemple. Les élites politiques adhèrent religieusement au libre-échange contemporain. Encore une fois, ces élites se sont mises au service d’un accord dont l’objectif est la destitution du politique au profit des puissances de l’argent», s’est indigné le candidat bloquiste en entrevue.
Pour Savard-Tremblay, la mondialisation économique est maintenant passée à une vitesse supérieure. Le CETA illustrerait à merveille la perte de pouvoir des États au profit des entreprises multinationales. Pour l’intellectuel souverainiste, la mondialisation ne profite pas aux populations des pays signataires, mais à une poignée d’entreprises:
«Il ne s’agit plus seulement d’abaisser les barrières tarifaires, mais de supprimer les barrières non tarifaires, lesquelles sont d’intérêt public, mais qui sont vues comme des “obstacles” au commerce. Les nouveaux accords vont complètement changer la donne, en soumettant les États aux règles imposées par les lobbys financiers et industriels. Le but de ces traités est de mettre en place un système de contraintes pour gérer le commerce à la place des pays signataires, c’est-à-dire à la place des nations», estime le spécialiste.
Concrètement, Savard-Tremblay estime que le traité désavantagera les producteurs de fromage québécois. De fait, le traité permet dorénavant à 17.000 tonnes de fromage européen d’être importées chaque année au Canada.
«Le traité aura de lourdes conséquences pour les producteurs de fromage québécois, qui assurent 50% de la production totale de fromage au Canada. Les quotas, la gestion de l’offre et les droits de douane permettent aux petits producteurs de composer avec la concurrence déloyale. Le traité risque d’abaisser les quotas et les droits de douane en favorisant l’entrée massive des fromages européens, ce qui pourrait déclencher une véritable guerre des prix. […] L’État canadien promet d’offrir des compensations aux producteurs pénalisés, mais ce serait mieux s’il n’avait pas à le faire», précise-t-il.
Militant écologiste bien connu dans la Belle Province, Roméo Bouchard partage l’analyse de Savard-Tremblay. M. Bouchard a cofondé l'Union paysanne en 2001, un important syndicat agricole au Québec.
«Le libre-échange et toutes nouvelles ententes qui incluent les produits agricoles diminue le taux d'autosuffisance alimentaire du Québec et accentue le développement de production intensives et intégrées destinées à l'exportation, particulièrement les productions céréalières, les plus dommageables en termes environnemental. Les exportations profitent au PIB mais ne profitent en réalité qu'à une poignée d'intégrateurs-transformateurs-exportateurs», a répondu à Sputnik Roméo Bouchard.
M. Bouchard en appelle même à exclure l’agriculture des accords comme le CETA:
«Il faudrait sortir l'agriculture des ententes de libre-échange: défendre l'exception agricole, car c'est un produit de subsistance pour les peuples. On fait le contraire pour le bénéfice des multinationales et des grands intégrateurs», a ajouté l’écologiste.
Cet accord de libre-échange rebondira-t-il dans la prochaine campagne fédérale canadienne? Dans ce contexte, c’est loin d’être impossible.