CETA: «farines animales, antibiotiques, OGM… vont se retrouver dans nos assiettes»

La ratification du traité de libre-échange entre l’UE et le Canada par l’Assemblée nationale suscite de vives oppositions en France. Sputnik a interrogé à ce sujet Danièle Favari, juriste de l’environnement et du droit européen de l’environnement. Risques écologiques, économiques et sanitaires, elle passe en revue tous les non-dits du CETA.
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Parlementaires de tout bord, et même au sein de la majorité, ONG et agriculteurs, tous sont vent debout contre la ratification très probable du CETA, ce mercredi 17 juillet à l’Assemblée nationale. Treize États l’ont déjà ratifié. Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est partiellement entré en vigueur depuis 2017, ce dont le gouvernement se réjouit par la voix de Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, qui évoque une hausse des exportations françaises vers le Canada de «6,6% entre 2017 et 2018». Sputnik a souhaité s’entretenir avec Danièle Favari, juriste de l’environnement et du droit européen de l’environnement, qui avertit des risques potentiels pour la santé des Européens ainsi que pour la souveraineté des États face aux multinationales que le CETA fait courir.

Sputnik France: Le CETA, traité de libre-échange entre le Canda et l’Union européenne, devrait être ratifié par l’Assemblée nationale ce 17 juillet. Quels sont les enjeux de ce traité?

Danièle Favari: «Le CETA (Comprehensive economic Trade agreement) a été signé en 2016 entre l’Union européenne et le Canada. C’est un accord de libre-échange qui a été conclu sur le principe de la compétence partagée, c’est-à-dire qu’il a déjà été ratifié par douze pays. Ce sera la dernière ratification par les États membres sur ce principe. Il sera ratifié demain 17 juillet, à l’Assemblée nationale, sans vote solennel, ce qui fait que l’on ne saura pas qui a voté pour, qui a voté contre. C’est la dernière ratification par les États membres, parce que depuis la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne en mai 2017, la question des tribunaux arbitraux a été soustraite par la Commission européenne des futurs accords de libre-échange, de façon à ce qu’elle n’ait plus qu'une compétence exclusive pour négocier ces traités et les faire ratifier par le seul Parlement européen. C’est important de dire que c’est un traité, puisque dans la hiérarchie des normes, cela se situe au-dessus du droit dérivé européen et des lois nationales. Ce qui n’est pas une mince affaire.»

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Sputnik France: Pourquoi ce texte est-il dénoncé par les oppositions, agriculteurs et ONG?

Danièle Favari: «Effectivement, les ONG ont tout à fait raison de s’y opposer. D’une part, ce traité va faire tomber les barrières tarifaires de l’Union douanière. L’Union douanière, c’est le Marché commun, principe fondateur sur lequel a été créée l’Union européenne. Donc, on va supprimer les droits de douane pratiquement à 99,9%. Ceux-ci sont constitutifs de 7% des ressources propres de l’Union européenne, ça va générer 134 milliards de pertes sur le prochain budget de l’UE, qui est de 963 milliards [pour la période 2014-2020, [ndlr]. Cela va faire réaliser aux exportateurs de l’Union européenne vers le Canada une économie de 590 millions d’euros par an. Mais, en plus, les barrières tarifaires que sont les droits de douane, les barrières non-tarifaires que sont les normes environnementales, sanitaires et phytosanitaires, censément être protectrices de notre santé et de notre environnement, vont être revues à la baisse.»

Sputnik France: Quelles sont les problématiques du CETA sur l’environnement?

Danièle Favari: «C’est le bilan carbone, parce qu’il va y avoir un accroissement du transport transatlantique, cela va de soi, une multiplication des fermes-usines, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. D’ailleurs, sept parlementaires canadiens ont appelé leurs confrères français à ne pas ratifier cet accord. Et il y a un renforcement de l’effet de serre, de la dégradation des eaux et des sols. Cet accord est climaticide. La commission Schubert, qui a été mandatée par le gouvernement, le dit expressément, puisqu’il va y avoir 23% de hausse des échanges commerciaux et qu’il n’y a pas mention du principe de précaution et du développement durable, et de l’environnement, qui sont des chapitres non-contraignants.

Il y a aussi une préoccupation sur les sables bitumineux exploités en Alberta. Engie a un contrat de longue date avec le Canada, pour cette importation. Ils vont générer une augmentation par jour de 300.000 à 890.000 barils de par l’extension par Justin Trudeau du pipeline Transmoutain.»

Sputnik France: Le CETA remet-il en cause la souveraineté des États par la mise en place des arbitrages?

Danièle Favari: «C’est évident. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne s’est soustraite à la compétence partagée. Bien entendu, il va y avoir un accroissement du droit des multinationales, parce qu’il s’agit d’un traité, qui se situe dans la hiérarchie des normes au-dessus des directives européennes, recommandations contraignantes ou non, au-dessus du droit des États. Ce traité permet la protection des investisseurs privés, qui pourront attaquer les décisions publiques qu’ils jugeront comme leur étant défavorables dans des procès qui vont être extrêmement onéreux, par le mécanisme d’arbitrage, qui est intégré dans ce dernier traité avec le Canada.»

Sputnik France: Le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne s’est félicité de la réussite économique de ce traité en évoquant la progression des exportations françaises vers le Canada de 6,6% entre 2017 et 2018. Qu’en pensez-vous?

Danièle Favari: «C’est extrêmement difficile de connaître précisément l’accroissement des échanges commerciaux, alors que déjà le Canada est le dixième partenaire de l’Union européenne et que l’Union européenne est le deuxième partenaire du Canada au niveau des échanges commerciaux. Donc, c’est quelque chose d’assez satisfaisant. On nous dit qu’il y a un accroissement des échanges de 7%, entre septembre 2017 et juillet 2018 qui profite notamment à la chimie, à la pharmacie, aux bijoux, aux meubles et au secteur automobile de l’Allemagne. Ce qui est équivalent à la situation de 2015 avant l’accord: les échanges commerciaux fluctuent. C’est pour l’agriculture particulièrement favorable aux vins et aux spiritueux, aux fromages, notamment au roquefort –José Bové va être satisfait– au brie et au camembert.

Mais quoiqu’il en soit, ce que dit le rapport Schubert, qui a été –je le répète– mandaté par le gouvernement lui-même, c’est que les taux des contrôles à l’importation des animaux vivants et des produits d’origine animale seront réduits. Soixante-douze ONG sont contre parce qu’il y a bien sûr au niveau de l’agriculture l’utilisation de farines animales qui permettent aux bœufs qui ne sont pas carnivores de manger leurs propres congénères. Il y a des activateurs de croissance pour les porcs qui sont la raptomanine, des antibiotiques, des OGM. Bien entendu, ce sont toutes ces externalités négatives du modèle productif canadien qui vont se retrouver dans nos assiettes, parce qu’il y a un accroissement des importations de viande bovine et de viande porcine du Canada vers l’Union européenne.»

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