«Le conflit entre la Turquie et Khalifa Haftar est loin d'être terminé»

Le commandant de l'Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar, a appelé à attaquer les navires turcs dans les eaux territoriales libyennes, à fermer l'espace aérien aux avions turcs et à arrêter tous les citoyens turcs sur les territoires sous son contrôle.
Sputnik

La colère du maréchal Haftar est due à la perte d'une ville stratégique aux abords de Tripoli, écrit le quotidien Kommersant. L'ordre du maréchal visant la Turquie a été appliqué dès le lendemain, et six citoyens turcs ont été arrêtés. Même s'ils ont été relâchés après qu'Ankara a menacé d'attaquer les sites de l'ANL, le conflit entre la Turquie et Khalifa Haftar est loin d'être terminé.

Hier, moins d'une journée après leur interpellation sur le territoire contrôlé par l'ANL, les six citoyens turcs arrêtés sur ordre de Khalifa Haftar ont été relâchés. L'agence de presse turque Anadolu précise qu'il s'agissait de marins de la flotte commerciale ayant déjà regagné leur navire.

Leur arrestation, annoncée par Ankara ce dimanche, avait été qualifiée d'«acte de banditisme et de piraterie» par le ministère des Affaires étrangères de la Turquie, qui avait exigé la libération immédiate des détenus et promis que dans le cas contraire «les forces de Haftar deviendraient une cible légitime». Ces événements se sont déroulés quelques jours après la perte, par le maréchal, de la ville de Garian, d'importance stratégique, à 75 km de Tripoli.

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Samedi, presque immédiatement après la perte de Garian, le porte-parole officiel de l'ANL, le général de brigade Ahmed al-Mismari, a accusé Ankara d'ingérence directe dans le conflit libyen «dans le but de soutenir les combattants de Tripoli».

Dix jours plus tôt, le 19 juin, Recep Tayyip Erdogan avait lui-même confirmé pour la première fois la coopération militaire avec le Gouvernement d'entente nationale (GEN) de Fayez el-Sarraj siégeant à Tripoli. Selon lui, Ankara lui fournit des armes «en cas de demande et de paiement des livraisons». Sachant qu'en 2011 déjà, le Conseil de sécurité des Nations unies avait décrété un embargo sur les fournitures d'armes à tous les belligérants du conflit libyen.

Cependant, le président turc estime avoir le droit d'aider le gouvernement d'el-Sarraj reconnu par l'Onu car, selon lui, l’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) approvisionnent les forces de Khalifa Haftar en équipements et en drones.

«Il y a un équilibre à présent», a souligné le Président.

Une semaine plus tard, après la bataille de Garian, les médias ont publié des images d'armements américains, russes et chinois en possession des forces du maréchal Haftar. Selon la chaîne Al Jazeera, des obus américains ont notamment été fournis par les EAU en 2008. Les États-Unis ont déjà déclaré qu'ils étaient en train de vérifier ces informations.

Dans ces circonstances, les experts pensent que Khalifa Haftar n'a pas d'autre issue que de rejeter la faute de sa défaite sur Ankara afin de se justifier devant ses partisans et sponsors.

«Auparavant, la Turquie agissait plus prudemment, mais à présent qu'Erdogan a perdu Istanbul, il doit montrer des victoires en politique étrangère. Parmi celles-ci: l'offensive stoppée des forces gouvernementales contre Idlib en Syrie, et à présent Garian», déclare Kirill Semenov, expert du Conseil russe pour les affaires internationales.

D'autre part, selon lui, les déclarations d'Ankara sont «un prétexte commode pour Khalifa Haftar lui permettant de justifier sa défaite devant ses partisans et sponsors».

«L'hystérie antiturque de Haftar est due à son incapacité de changer le rapport de forces aux abords de Tripoli après la défaite de Garian, où entre 100 et 150 hommes ont été fait prisonniers et des armes ont été prises. C'est une grande humiliation pour Haftar», explique l'expert. Il rappelle également que la Turquie et le Qatar misaient initialement sur Tripoli, alors que les EAU, l’Égypte et l'Arabie saoudite avaient littéralement créé le «projet Haftar» en opposition aux intérêts d'Ankara et de Doha.

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Iouri Barmin, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord de la compagnie Moscow Policy Group, pense qu'après la perte de Garian le maréchal Haftar a décidé de donner au conflit un aspect géopolitique.

«Les EAU et l’Égypte réévaluent considérablement cette opération militaire et les relations avec Haftar. Ils sont prêts à miser sur la trêve mais il est évident que Tripoli ne l'acceptera pas aux conditions de Haftar. Il se battra jusqu'au bout, c'est pourquoi le maréchal a besoin d'une baguette magique, il ne veut pas perdre le soutien de ses alliés», explique l'expert.

Dans le même temps, il note que les EAU se retrouvent dans une situation compliquée:

«Jusque-là tout le monde fermait les yeux sur les fournitures d'armes en Libye. Les EAU aident les premiers, la Turquie les seconds, il y a un équilibre. Mais s'il était officiellement prouvé que les Émirats revendaient les armes américaines livrées, Washington ne pourrait pas l'ignorer.»

Les experts interrogés sont convaincus qu'après la victoire de Garian, les forces d'el-Sarraj n'accepteront pas le dialogue avec Khalifa Haftar. Le maréchal menace de poursuivre l'offensive contre Tripoli, mais les médiateurs en charge du processus de paix sont persuadés que la dernière bataille a changé la disposition des forces en Libye.

«Nous assistons au retour des discussions sur le processus de paix - un sujet qui était tabou il y a encore quelques semaines», a déclaré le représentant spécial du secrétaire général de l'Onu pour la Libye Ghassan Salamé lors de son entretien avec le chef de la diplomatie italienne Enzo Moavero Milanesi, le lendemain de l'annonce de la prise de contrôle de Garian par Tripoli.

D'après Ghassan Salamé, avant cela la situation en Libye était dans l'impasse. De son côté, le ministre italien a noté que la bataille de Garian avait poussé les deux camps belligérants à réfléchir. Il n'exclut pas que le dossier libyen sera abordé pendant la visite de Vladimir Poutine à Rome cette semaine.

«La position de Moscou par rapport à la Libye reste inchangée: le conflit ne peut être réglé que par le dialogue. Rejeter la responsabilité de l'échec de tel ou tel camp sur les acteurs extérieurs est une méthode contreproductive de dialogue», a déclaré Lev Dengov, chef du groupe de contact russe pour la Libye.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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