La «troisième guerre de l'opium»: qui sont les victimes des drogues chinoises?

Des milliers d'Américains meurent à cause des opioïdes, mais les autorités semblent dans l'incapacité de bloquer l'entrée de ce poison dans le pays.
Sputnik

Si, par le passé, la police américaine stoppait les trafiquants mexicains directement à la frontière, désormais le problème vient de l'océan: les opioïdes arrivent dans les boîtes aux lettres des Américains depuis la Chine, sous la forme de commandes en ligne ordinaires.

Plus qu'assez pour décimer un État entier

Une inspection de routine de citoyens suspects de Baltimore en janvier 2017 a débouché sur la découverte d'une cellule criminelle qui était en mesure d'éradiquer la population de tout un État. James Johnson, 50 ans, et son complice, qui venaient d'arriver en ville par bus depuis New York, ont été fouillé par les policiers, qui ont découvert sur eux 2,5 kg de drogue, probablement de l'héroïne.

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La perquisition à domicile de Johnson a permis de découvrir encore 17 kg d'héroïne et 8,5 kg de fentanyl. Le trafiquant a écopé de 24 ans de prison, et son partenaire nigérian de quatre ans.

Au total, comme l'a reconnu Johnson, il comptait vendre entre 12 et 36 kg de fentanyl, un analgésique opioïde. La dose mortelle de ce citrate est de 2 mg. Par conséquent, 12 kg auraient pu tuer 6 millions de personnes - soit approximativement la population du Maryland.

Le problème du fentanyl et d'autres opioïdes est particulièrement médiatisé ces dernières années aux États-Unis. Depuis plus de 15 ans, ce pays traverse une véritable crise opioïde, et la mortalité due aux drogues de cette famille ne diminue pas malgré les mesures prises par les autorités. D'après certains experts, l'envergure de l'épidémie opioïde dépasse celle de toutes les autres qui ont frappé les générations antérieures d'Américains, Sida y compris.

A l'origine de cette crise: les ordonnances pour les médicaments analgésiques (opioïdes semi-synthétiques) que les médecins ont commencé à souscrire trop souvent à une époque. En 2017, les opioïdes synthétiques représentaient 60% des doses létales, notamment le fentanyl. Soit presque 10 fois plus par rapport à 2013.

Il est possible de trouver au marché noir du fentanyl pharmaceutique et ses dérivés, ainsi que des opioïdes illégaux. Cette substance fait partie des produits narcotiques, psychotropes et de leurs précurseurs sous contrôle. Le nombre d'ordonnances médicales délivrées n'a pas augmenté ces dernières années. La mortalité est due essentiellement au fentanyl fabriqué illégalement.

Au milieu des années 2000, cette drogue était devenue très populaire dans les rues américaines de l'Occident central, emportant plusieurs milliers de vies humaines. En 2006, les services spéciaux du Mexique et des USA avaient trouvé conjointement et détruit une usine clandestine de fentanyl dans la ville mexicaine de Toluca. A l'époque, le thème douloureux de l'entrée de drogues depuis l'étranger fut clos pendant une certaine période. En 2013, des douaniers américains avaient saisi près d'un kilo de fentanyl. Mais ce chiffre a été multiplié par 675 seulement quatre ans plus tard.

Depuis l'époque de l'usine de drogues de Toluca, beaucoup de choses ont changé. A présent, la Chine est le principal fournisseur de drogues en Amérique du Nord.

Le leadership de la Chine

Le fentanyl arrive aux États-Unis de diverses manières. Une certaine quantité est interceptée à la frontière: en 2017, à la frontière Sud, les douaniers ont procédé à 65 saisies pour un total de 388 kg. Alors que cette année ont été recensées 345 tentatives d'envoyer cette substance par courrier ou colis express - soit cinq fois plus souvent que la contrebande par la frontière. Mais pour une quantité moindre: 152 kg de fentanyl confisqués.

En juin 2018, les services douaniers de Philadelphie ont découvert 50 kg de drogue dans un conteneur de minerai de fer en provenance de Chine. La substance était très pure. Il s'agissait de l'un des plus gros «colis» chinois.

Les policiers ont conclu que les citoyens américains recevaient 80% des stupéfiants par boîte postale. Et le plus souvent en provenance de Chine, numéro un des exportations de composants et de produits chimiques pharmaceutiques actifs utilisés pour fabriquer des substances réglementées.

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D'après les experts, les fournisseurs ont recours à des moyens techniques légaux pour contourner les interdictions et les règles. Selon les rapports, les exportateurs et les transporteurs chinois «confondent» souvent le marquage du fret, apportent des modifications mineures à la composition des produits chimiques afin d'échapper aux interdictions ou exportent simplement leurs précurseurs.

En Chine même, le contrôle de la production des substances psychoactives est pire qu'aux États-Unis, et Pékin tente de remédier à la situation. En 2015, les autorités chinoises ont placé 116 substances supplémentaires sous contrôle, et en 2017 plusieurs autres types d'opioïdes synthétiques, mais ce n'était pas suffisant.

La lutte contre le moulin opioïde

D'après Bryce Pardo, chercheur de RAND en charge de la politique américaine des stupéfiants, les autorités chinoises manquent simplement de ressources pour un contrôle efficace des exportateurs d'opioïdes. Il n'est pas si facile de réguler le secteur pharmaceutique privé. En 40 ans de réformes, les producteurs chinois se sont réorientés sur les exportations. Le marché du commerce en ligne et des livraisons bon marché fait partie des plus développés, les producteurs locaux s'intègrent facilement aux chaînes de livraison internationales. Notamment dans le secteur pharmaceutique. Depuis les années 1980, l'industrie grandit constamment et compte aujourd'hui près de 5.000 compagnies fabriquant près de 2 millions de tonnes de produits par an.

De plus, selon le département d’État américain, la Chine compte près de 400.000 producteurs et distributeurs de produits chimiques, et certains travaillent sans l'approbation des autorités. Ils fabriquent des tonnes de substances chimiques par an à des fins industrielles et commerciales. Les experts américains pensent que les lacunes dans la législation et la discordance bureaucratique empêchent la Chine d'instaurer un contrôle digne de ce nom.

De hauts fonctionnaires chinois ont figuré dans plusieurs scandales de drogue. Il y a quelques années, le monde entier a appris l'existence du village de Boshe au sud de la Chine, où des stupéfiants étaient fabriqués sous la couverture des autorités locales. Les médias l'avaient même surnommée «village Breaking Bad» en référence à la série américaine éponyme.

L'opération spéciale avait été préparée pendant six ans: jusque là, les laboratoires de drogue disparaissaient à chaque fois à la veille de la visite des policiers, avec l'aide «des yeux et des oreilles» des narcobarons du Parti communiste et de la police locale. Le dernier assaut fut une réussite cas il était coordonné directement par Pékin. Des hélicoptères et des bateaux ont participé aux perquisitions, qui ont duré 14 heures. L'opération a permis de retrouver 3 tonnes de méthamphétamine et 400 tonnes d'ingrédients pour sa fabrication.

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Qui d'autre doit craindre les drogues chinoises?

D'autres pays sont également touchés par le trafic de stupéfiants en provenance de Chine. Et ce sont les pays frontaliers qui doivent être les plus prudents.

Pour la Russie, cela représente plus de 4.000 km de frontière commune. Comme l'ont précisé à Sputnik les forces de l'ordre de l'une des régions d'Extrême-Orient, le risque des drogues représente aujourd'hui un gros danger non seulement en Chine, mais aussi partout en Asie. Et c'est un grand problème.

Les drogues sont également envoyées via la frontière par colis. Ainsi, en 2015, les douanes de Vladivostok ont trouvé un total de 20 kg de drogue synthétique dans 19 colis de prétendus magasins en ligne. Elle était cachée dans des appareils ménagers et des lampes de bureau.

Le président de l'Association nationale antidrogue, Nikita Louchnikov, a déclaré à Sputnik:

«80% des [drogues] synthétiques arrivant en Russie  sont fabriqués en Chine. C'est fait de manière si sophistiquée qu'au fond personne ne sait comment le combattre.»

Les autorités chinoises ne gardent pas le silence ni ne ferment les yeux sur la situation. Tous les types de fentanyl sont interdits dans le pays depuis le 1er mai. Pékin est certain que le perfectionnement de la législation réduira les exportations de drogues. Et les pays qui souffrent du trafic de stupéfiants chinois comptent beaucoup là-dessus.

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