Gilets jaunes? Immigration? Terrorisme? Pourquoi la délinquance explose-t-elle à Paris?

La mairie de Paris a annoncé une explosion des chiffres de la délinquance, dont elle rend en partie l’État responsable. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, a dénoncé «une vaine polémique». Qu’en est-il sur le terrain? Sputnik France a donné la parole à Axel Ronde, responsable de la section Île-de-France du syndicat de police VIGI.
Sputnik

«Bien évidemment que nous avons constaté cette explosion de la délinquance.»

Axel Ronde, secrétaire général du syndicat de police VIGI pour l’Île-de-France, n’est pas surpris par les chiffres dégainés le 20 juin par la mairie de Paris. Ces derniers montrent une forte hausse de la délinquance dans la capitale. Pêle-mêle: «+68% des vols à la tire depuis le début de l’année dans le métro parisien, +71% des agressions sexuelles en novembre 2018 dans le métro parisien, +13,5% des atteintes volontaires, + 8,5% des recels, +8% des violences faites aux femmes, +18% des violences intrafamiliales, +16% des cambriolages entre 2017 et 2018 dans 19 des 20 arrondissements parisiens, les atteintes aux biens passent de 5,8% en 2018 à 15% en 2019, +37,6% de vols à la tire et +7,4% des vols par effraction, +12,8% des affaires de trafics de stupéfiants entre 2017 et 2018». De quoi donner le tournis.

​Interrogé le 25 juin lors des questions au gouvernement au Sénat, le secrétaire d’État à l’Intérieur, Laurent Nuñez, a reconnu «une hausse importante» de la délinquance à Paris. «Sur les cinq premiers mois de l’année [...], nous en sommes à une augmentation de près de 17% sur les atteintes aux biens et de près de 11% pour ce qui est des atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes», a expliqué le secrétaire d’État.

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Quelques jours auparavant, lors d’un colloque organisé à l’Hôtel de Ville, Anne Hidalgo passait à l’offensive. «Paris a été confronté à beaucoup d’évènements, de conflits. Je pense aux Gilets jaunes, qui ont évidemment mobilisé les forces de l’ordre pour le maintien d’ordre», expliquait-elle. Avant d’ajouter: «On comprend qu’un évènement comme celui-là ait retiré des effectifs de nos quartiers.» Pour finir par pointer «la dégradation dans un certain nombre de quartiers», comme «la Goutte d’or, Château Rouge, porte de la Chapelle».

D’après la maire de Paris, «il faut remettre des effectifs de police dans [nos] quartiers». Elle s’est notamment plainte que «certains samedis, les commissariats parisiens aient été vidés de 50% de leurs effectifs pour participer au maintien de l’ordre». Tacle à peine déguisé à l’État. «Vaine polémique», lui a rétorqué Christophe Castaner. «Nous entrons dans une période électorale, elle a choisi de privilégier la dimension politique. Moi je choisis de privilégier la sécurité des Français», a notamment déclaré le ministre de l’Intérieur, avant d’ironiser: «J’ai le souvenir qu’il y a quelques semaines, son premier adjoint nous reprochait de ne pas mobiliser assez de forces face aux Gilets jaunes.» Il a notamment assuré que l’on ne pouvait pas «démultiplier les forces de l’ordre pendant un temps court» et que «ceux qui sont mobilisés le samedi pour la sécurité des Français et des Parisiens le sont de fait moins les autres jours de la semaine».

Terrorisme et immigration changent la donne

Une fois n’est pas coutume, un représentant de VIGI se trouve en partie en accord avec Christophe Castaner. Alex Ronde pense que la crise des Gilets jaunes a joué un rôle majeur dans la récente augmentation de la délinquance à Paris:

«Cette hausse s’explique notamment par la forte mobilisation des services de police sur les manifestations des Gilets jaunes. Je rappelle quand même qu’il y a eu un nombre colossal de gardes à vue à traiter. Cela a mobilisé énormément d’effectifs de police. Forcément, nos troupes ne sont pas extensibles et cela a déstabilisé le travail des enquêtes pour les cambriolages, trafics et autres agressions. Il a fallu gérer, semaine après semaine, des groupuscules qui semaient le chaos dans la capitale en marge des manifestations des Gilets jaunes.»

Reste que les problèmes de délinquance dans la capitale ne datent pas de novembre 2018 et de la première manifestation des Gilets jaunes. Un récent rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) s’est intéressé aux crimes et délits commis sur le territoire du Grand Paris et enregistrés par la police nationale pour les années 2016 et 2017. Les chiffres sont frappants. Les violences physiques non crapuleuses ont augmenté de 5,3% quand les crapuleuses ont baissé de 6,6%. La délinquance évoluerait-elle vers plus de violence gratuite?

«Malheureusement, oui. Il y a énormément d’agressions gratuites, mais également de règlements de compte entre bandes rivales», répond Axel Ronde.

​Autre point noir au tableau sécuritaire parisien: la hausse des agressions sexuelles. En plus du chiffre de +71% d’agressions de ce type dans le métro parisien en novembre 2018, la Préfecture de Police de Paris a compté 1.159 agressions sexuelles signalées en 2018 dans les transports en commun d’Île-de-France. Une hausse de 30% par rapport à l’année précédente. L’effet #metoo? En partie seulement, selon Axel Ronde:

«Les mouvements qui ont été mis en place pour dénoncer ces harcèlements et ces attaques contre les femmes ont clairement permis de libérer la parole. Nous avons reçu plus de victimes, dans les commissariats, qui ont déposé plainte. Les policiers ont reçu des directives visant à mieux détecter les victimes de ces agressions et à mieux les accompagner. Des numéros spéciaux ont été dédiés afin de déposer des pré-plaintes. Le sentiment de honte et de culpabilité est moins présent.»

Il rappelle cependant que si les victimes ont moins peur de déposer plainte, le nombre de ces agressions évolue à un niveau dramatique:

«Il faut bien se rendre compte que ces chiffres sont juste plus proches d’une réalité grave qui est celle des femmes dans les transports en commun franciliens depuis des années.»

Et ces données semblent bien en-deçà de la réalité quand l’on sait que, selon le dernier rapport annuel de l’ONDRP, les victimes de violences sexuelles hors ménage ne portent plainte que dans 12% des cas.

La police ne peut-elle plus faire son travail correctement dans la capitale? «Il y a une désorganisation de la police nationale depuis de nombreuses années. La baisse drastique des effectifs en Île-de-France, le regroupement d’effectifs entre commissariats pour mener à bien des patrouilles, tout cela n’est pas nouveau», déplore Axel Ronde. Il souligne que la menace terroriste a également changé la donne: «Il a fallu allouer des effectifs dans certains endroits jugés sensibles et donc les enlever d’autres secteurs. Quand vous n’avez plus de visibilité de la police dans certains quartiers, un sentiment d’impunité se crée.»

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Et les zones qui semblent le plus frappées sont celles du Nord-est parisien, comme l’a exprimé Anne Hidalgo. La Goutte d’or, Château Rouge, porte de la Chapelle ou encore Stalingrad sont des quartiers gangrénés par les trafics et les violences en tout genre. «J’habite au 112, boulevard de La Chapelle. Depuis 42 ans dans le même immeuble et, depuis six mois, nous trouvons sous nos paillassons des pilules de médicaments. Des jeunes viennent les récupérer. Je commence à avoir peur», racontait récemment une habitante lors d’une réunion à la mairie du XVIIIe arrondissement dont nos confrères du Parisien se sont fait l’écho. «Pourquoi ma fille adolescente est obligée de mettre un gilet même en été pour ne pas se faire insulter par les vendeurs à la sauvette», a lancé une autre riveraine. Des propos qui ont conduit Colombe Brossel, ajointe à la Sécurité d’Anne Hidalgo, à écrire une lettre adressée au ministère de l’Intérieur qui rend compte de ces témoignages d’habitants du nord-est de Paris, excédés par l’insécurité galopante.

Des problèmes de délinquance auxquels se mêlent les problèmes liés à l’immigration, une situation qui vient elle-même nourrir la délinquance dans un cercle vicieux. La crise migratoire qui a frappé l’Europe ces dernières années a provoqué un afflux de migrants dans la capitale. Démantèlement de camps après démantèlement de camps, des milliers d’entre eux sont toujours à Paris.

​«On constate notamment, chiffres à l’appui, qu’il y a eu un effet important des vagues migratoires et de la présence des mineurs non accompagnés. Cela a aggravé les phénomènes de délinquance», a expliqué au journal Le Monde Valérie Martineau, patronne de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP).

«Nous avons un gros problème concernant les “mineurs isolés”, souvent en provenance du Maghreb, qui commettent de nombreux méfaits tels des cambriolages ou des agressions. Et depuis le mois de juin, nos collègues ont encore plus de difficultés à gérer la situation. La procédure pénale a de nouveau été alourdie. Il faut désormais, en plus d’un avocat, la présence d’un représentant légal ou d’un tuteur lors des auditions. Mais il est fastidieux d’obtenir des services sociaux départementaux qu’ils nous envoient quelqu’un. L’avocat en profite pour nous dire que l’audition n’est pas conforme sans la présence de ce tuteur ou du représentant légal et ces “mineurs isolés” sont remis en liberté. Encore une fois, cela créer un sentiment d’impunité», s’alarme Axel Ronde.

S’il est lucide sur les maux que causent ces «mineurs isolés» frappent la capitale, le policier tient à signaler la dimension sociale du problème:

«Ils sont manipulés par des réseaux d’adultes. Cette population vit dans des conditions extrêmement précaires, dans des bidonvilles, des tentes. Elles sont livrées à elles-mêmes et abandonnées des pouvoirs publics. Elles tentent tant bien que mal de survivre. La mairie de Paris et l’État vont devoir prendre en charge ces flux migratoires qui se déversent sur la capitale et qui, forcément, entraînent dégradations, cambriolages et agressions. La réponse doit être sécuritaire, pénale, mais également sociale.»

Des «états généraux de la police nationale»?

Délinquance «traditionnelle», immigration, terrorisme et Gilets jaunes. Un cocktail explosif. Mais comment améliorer la situation? Anne Hidalgo a annoncé l’hiver dernier un projet de création d’une police municipale, dotée de 3.400 agents notamment chargés d’assurer la lutte contre les incivilités. Une décision qui selon Axel Ronde n’est peut-être pas étrangère aux récentes attaques de la maire de Paris, en difficulté dans les sondages dans la course à sa propre succession.

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«Est-ce qu’Anne Hidalgo donne ces chiffres pour des raisons politiques et prépare son électorat à la mise en place d’une police municipale dans Paris?», s’interroge le membre de VIGI. La maire de Paris a elle-même reconnu que «la police municipale, ça ne règle pas tout» et a affirmé qu’«elle ne peut pas être efficace si la partie relative à la lutte contre la délinquance, le trafic de drogues, les violences est moins assurée par la police nationale».

Pour Axel Ronde, «la question de la réponse pénale est primordiale». Il déplore cependant une «justice elle-même sinistrée» et appelle à ce que toute la chaîne sécuritaire soit revue:

«Il faut des États généraux de la police nationale. Il faut refaire le renseignement français qui a beaucoup souffert de la disparition des renseignements généraux, comme l’a montré la crise des Gilets jaunes. Il faudra également revoir nos techniques d’intervention. Actuellement, une étude est réalisée en ce sens au ministère de l’Intérieur. Il en va de la sécurité des Français. Les réformes lancées il y a des années n’ont pas été au bout du fait des alternances politiques. Ce gouvernement peut avoir une vision globale et changer les schémas d’intervention. Actuellement, nous ne savons pas trop où nous allons.»

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