L'unique femme pilote-navigatrice encore en vie raconte la Grande Guerre patriotique

Pour le 78e anniversaire du début de la Grande Guerre patriotique, Sputnik raconte l'histoire de Galina Brok-Beltsova, une jeune femme soviétique devenue pilote-navigatrice du meilleur bombardier en piqué de l'URSS. Elle a traversé toutes les horreurs et les dangers de la guerre, avant de rejoindre les rangs du contrespionnage soviétique.
Sputnik

Il y a exactement 78 ans, le 22 juin 1941, l'Union soviétique était agressée par l'Allemagne nazie. Ce jour-là, Adolf Hitler avant lancé l'exécution du plan Barbarossa. En prévision de cette date mémorable, la vétérane de guerre Galina Brok-Beltsova a reçu chez elle, à Chtchelkovo, des correspondants de Sputnik pour partager avec eux ses souvenirs des mois passés sur le front.

Galina Brok-Beltsova est une véritable légende vivante. En 1941, quand la guerre a commencé, elle avait seulement 16 ans. Mais son jeune âge ne l'a pas empêchée de se lancer dans la bataille et de défendre sa Patrie au péril de sa vie. La jeune Galina avait rejoint le groupe de jeunes femmes soviétiques intrépides du régiment aérien féminin créé par la commandante Marina Raskova, et elle est partie au front pour servir en tant que pilote-navigatrice en réalisant plus de 30 vols opérationnels avec pour mission de bombarder l'ennemi. Aujourd'hui, Galina Brok-Beltsova est la seule des femmes vétéranes du 12e régiment aérien de bombardiers en piqué encore en vie.

L'unique femme pilote-navigatrice encore en vie raconte la Grande Guerre patriotique

L'appel du front

«Je ne comptais pas du tout rentrer dans l'aviation! Je rêvais de travailler dans l'exploration géologique. Et tout à coup - c'est la guerre. Il fallait terminer les études secondaires et se décider. Alors que nous, sportives, avec d'excellents résultats scolaires… Au centre de recrutement avec la requête volontaire «Envoyez-nous sur le front!» Les meilleures ont été sélectionnées dans l'aviation. Nous avons passé les examens. La centrifugeuse, la santé… Après tous les examens nous voilà à l’École d'aviation de Moscou qui formait des météorologues et des transmetteurs», raconte Galina Brok-Beltsova.

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Après un cursus accéléré en météorologie militaire, elle a fait partie des neuf jeunes femmes sélectionnées parmi les 400 candidates pour apprendre à voler sur les nouveaux avions de guerre de l'époque pour intégrer par la suite le 125e régiment aérien - l'une des trois unités aériennes féminines qui existaient à cette époque en URSS.

«Et je fais partie de ces neuf jeunes femmes. Nous partons… près de Kouïbychev, à Syzran, nous suivons une formation. A partir de là: à Iochkar-Ola, Mari El, la fin des entraînements sur le tout nouveau matériel - un bombardier en piqué. La formation a duré un an, nous avons appris et volé sur trois types d'avions: d'abord sur le Tupolev TB-3, un bombardier lourd; ensuite sur le SB-2, un bombardier rapide; et pour terminer le programme de reconversion sur un bombardier en piqué Pe-2», explique la vétérane.

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Après avoir passé avec succès toutes les étapes de la formation, Galina Brok-Beltsova a enfin effectué son premier vol opérationnel le 23 juin 1944, avec pour mission de bombarder les positions ennemies et de détruire leur matériel près de Riga.

Un avion victorieux

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Tandis que plusieurs régiments masculins volaient à l'époque sur des appareils de génération plus ancienne, le 125e régiment aérien féminin avait l'honneur de piloter les meilleurs bombardiers de l'Armée rouge: les Pe-2, surnommés Pechka («pion») dans l'armée de l'air soviétique. Ces derniers étaient capables de piquer directement sur la cible choisie, ce qui décuplait la précision des bombardements et réduisait le risque de tomber sous le feu de la DCA ennemie.

«[C'était un bombardier] merveilleux, très convoité, vraiment nécessaire et victorieux. La bataille aérienne contre l'ennemi a été remportée grâce à la création de cet avion au début de la guerre par [Vladimir] Petliakov, qui a été ensuite désigné vainqueur de la Grande Guerre patriotique, de sa partie aérienne», se souvient avec émoi Galina. Dans sa maison, elle conserve encore de nombreuses maquettes de cet appareil qu'elle apprécie tant.

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Mais il y avait une nuance: le nouvel avion n'était pas facile à piloter, notamment sur les aérodromes improvisés du front, complètement recouverts de neige. Dans ces conditions, le contrôle du roulage de l'appareil se transformait en tâche difficile, voire périlleuse.

«Il suffisait que l'avion ne maintienne pas la direction de l'aérodrome et dévie légèrement […] Or c'est arrivait souvent au Pe-2. Deux moteurs, la direction bidérive… Et il se retournait au décollage. Il fallait régler les moteurs de sorte qu'ils fonctionnent à l'unisson, évitant de se retourner, car si on s'écartait de la ligne droite on percutait le tas de neige de face et c'était un retournement de l'avion à 180 degrés - et le pilote se retrouvait sous un avion de 7 tonnes. Des garçons ont été tués… Toutes les filles ont terminé la reconversion avec brio. Neuf sont arrivées. Multipliez par trois: trois personnes dans chaque avion - navigateur, pilote et tireur-transmetteur. Et c'est tout. Après la formation nous sommes parties au front. Aucune perte!», raconte fièrement Galina au sujet de ses camarades du régiment aérien.

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La discipline militaire irréprochable des jeunes femmes du 125e régiment suscitait le respect même en dehors de l'Union soviétique. Un livre est même paru en France sur le régiment aérien féminin de jour, dans lequel Galina Brok-Beltsova et ses amies de combat sont qualifiées de «furies le jour» [Femmes dans un ciel de guerre; Sorcières la nuit, furies le jour - ndlr] en signe d'admiration de leur intrépidité, de leur courage et de leur dévouement pour la cause.

Le devoir commun

Bien que le service militaire soit considéré comme une prérogative masculine, Galina affirme qu'à cette époque, quand l'horreur de la guerre pesait sur la Patrie, la différence entre les sexes était la dernière chose à laquelle songeait la population soviétique. D'après la vétérane, tous les citoyens soviétiques, indépendamment de leur sexe et de leur âge, étaient prêts à répondre à l'appel de la Patrie.

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«À cette époque nous ne réfléchissions pas à la question de savoir pour qui le service était considéré comme militaire, obligatoire et nécessaire. C'est la guerre! Moscou est bombardée! Moscou en barricades. Partout des affiches Rosta: «Comment as-tu aidé le front?», «Qu'as-tu fait pour le front?», «La Mère-Patrie est en danger!» «Défends!». Un enfant, une bombe au-dessus, une mère qui le serre. «Aide!». Partout des affiches qui appellent à l'aide. Se demandait-on «aller ou non», «c'est l'affaire de qui»? Tout le monde a pris la défense du pays. Pas seulement les hommes, les femmes, les filles et les garçons: les enfants et les personnes âgées travaillaient dans les usines avec le slogan «Tout pour le front, tout pour la victoire!», s'exclame Galina.

L'amour pendant la guerre

Pendant ses entraînements à l'aérodrome d'Iochkar-Ola celle qui s'appelait alors encore Galina Brok a rencontré Gueorgui Beltsov, chef d'escadrille qui formait les pilotes sur les tout nouveaux avions. Ce dernier a notamment formé la jeune femme pour piloter le Pe-2, et une solide amitié s'est rapidement installée entre eux.

«Nous avons fait connaissance et on s'est séparé… avec la promesse de s'écrire. […] On s'est écrit pendant toute la guerre. […] Et soudainement je reçois des enveloppes, et dans une enveloppe la photo d'un ourson. Il était à Moscou, a pris la photo, a acheté l'ourson et m'a envoyé la photo sur le front, et dans la lettre il écrit: «Quand nous nous rencontrerons je te donnerai l'original.» Et après la guerre, dans six mois, on s'est rencontré et il m'a offert cet ourson, en faisant une demande en mariage», partage ses souvenirs touchants Galina, tenant dans les mains le cadeau de son mari qu'elle conserve depuis plus de 70 ans.

Contrairement aux attentes de Gueorgui Beltsov, Galina Brok n'avait pas accepté sa proposition, car à 20 ans elle n'était pas encore prête à se marier et voulait consacrer les prochaines années de sa vie aux études. Néanmoins, quelques mois plus tard, le couple s'est tout de même marié. Ils ont eu trois enfants. Le couple a vécu ensemble presque 60 ans jusqu'au décès du général et pilote émérite de l'URSS Gueorgui Beltsov en 2005.

«Beltsov était un as, le meilleur pilote. Il [pouvait dompter] un appareil que peu pouvaient dompter. […] Par la suite Beltsov est devenu pilote émérite de l'URSS… Vétéran de guerre, il est allé très loin. Il n'est plus parmi nous… Mais il a accompli son devoir», déclare Galina Brok-Beltsova. Sur son visage, on lit un mélange de fierté et de tristesse.

Une autre guerre

Le 9 mai 1945, après presque quatre ans de combats acharnés, le peuple soviétique a remporté la victoire sur le nazisme, libérant tous ses territoires de l'ennemi, ainsi qu'une grande partie de l'Europe. La guerre était terminée, mais pas pour Galina Brok-Beltsova. A cette époque, la jeune femme avait déjà le grade de lieutenant supérieur, elle a été invitée au service de la Patrie, mais cette fois dans le renseignement. Désormais elle devait travailler pour le contrespionnage soviétique dans les conditions de la Guerre froide qui venait de commencer.

«Ils [me] disent: Nous avons une proposition pour vous. Je dis: J'écoute. Personne ne m'a encore fait de propositions, que proposez-vous? [Ils répondent]: Un travail dans la sécurité nationale, contre le renseignement américain. Des agents étrangers ont envahi… surtout Moscou», se souvient Galina Brok-Beltsova.

Après la guerre, elle avait seulement 20 ans. Elle comptait revenir à la vie civile pour faire ses études supérieures. Mais cette proposition était très séduisante, car elle lui donnait la possibilité d'entretenir ses parents malades et sa sœur cadette. De plus, en acceptant cette proposition, Galina recevait l'opportunité d'étudier à l’École supérieure du parti auprès du Comité central du PCUS.

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«C'était confidentiel auparavant, mais maintenant tout le monde sait… Ces stylos, cette bague, cette broche, ce bouton: ce sont des appareils. Des appareils secrets intégrés de manière complètement invisible, c'était très facile à utiliser. Et tout cela est enregistré», explique l'ancienne agente du contrespionnage à Sputnik.

Même si aujourd'hui Galina Brok-Beltsova peut parler ouvertement de son travail dans la sécurité nationale, pendant longtemps elle devait cacher son activité, même à son propre mari, ce qui provoquait parfois des scandales familiaux.

«Les Américains sont des amateurs de théâtre, ils ne manquaient aucun ballet. Tous les soirs au Bolchoï. Il fallait donc être sur son trente-un, c'était la garde-robe de l’État. J'y venais avec un collègue du travail… Et des amis de Gueorgui [Beltsov] me voyaient. Quand ils se rencontraient ils lui disaient: Nous avons vu ta Galina en telle compagnie! La troisième rangée devant la scène, le ballet Giselle, impossible de trouver des billets, nous avons eu du mal d'en trouver à la caisse spéciale, alors que ta Galina y rayonne…», partage-t-elle en souriant.

À cette période, elle ne devait pas seulement paraître en compagnie d'hommes-collègues, mais également revenir à la maison très tard, car après la visite au théâtre, comme tout agent, Galina Brok-Beltsova devait rendre compte personnellement à ses supérieurs de ce qu'elle avait vu, notamment fournir des photos. Après un certain temps, le travail secret de Galina a commencé à éveiller chez son mari la jalousie et des soupçons.

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«Tu peux me dire, quel travail, quelle permanence? Je lui réponds: Non, c'est secret-défense. Seulement maintenant je peux le dire: Giselle au Bolchoï. Mais à l'époque: Le travail dans les organes de la sécurité nationale. Nous démasquons ceux qui trahissent la Patrie. C'est tout!», raconte Galina Brok-Beltsova.

Et si son mari comprenait, au moins dans les grandes lignes, ce que faisait son épouse, elle devait parfois mentir à son père en face.

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«Je marche en uniforme de l'école d'artisanat, et mon père arrive en face. Nous nous croisons, il me regarde avec de gros yeux… Et je passe à côté. [Ensuite] il me dit: Galina, je t'ai vue! Tu portais un manteau noir. Je dis: Papa, tu t'es trompé. Il dit: Comment ça? Je dis: Tu sais, 25 types de personnes sont identiques. Tu as rencontré une fille qui me ressemble. Mais je n'ai jamais été élève d'artisanat. Il dit: J'étais consterné, c'était toi. Je dis: Non, ce n'était pas moi. C'était le jeu», se souvient Galina Brok-Beltsova.

Et bien d'autres victoires…

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Après avoir travaillé pendant 10 ans dans le contrespionnage, Galina Brok-Beltsova a enfin décidé de réaliser son rêve dans l'éducation civile et d'obtenir le niveau de candidat ès sciences historiques. Ensuite, elle a travaillé pendant beaucoup d'années dans plusieurs universités et a pris sa retraite à seulement 68 ans.

Bien que Galina Brok-Beltsova soit à la retraite depuis presque trente ans, elle mène une vie très active. Elle continue de se consacrer à l'aviation en tant que vice-présidente de l'Union des femmes des spécialités de vol, Aviatrissa. De plus, l'ancienne navigatrice participe régulièrement aux conférences pour parler de son expérience militaire et des exploits des héros de l'aviation soviétique.

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Et, bien sûr, chaque année Galina Brok-Beltsova assiste au défilé de la Victoire sur la place Rouge en tant qu'invitée d'honneur, à cette fête militaire grandiose aux côtés d'autres vétérans et hauts dirigeants de l’État.

«Toutes ces années plus tard, les défilés, pas seulement le défilé de la Victoire, mais tout défilé lié à la démonstration de force, d'aptitude, d'organisation, de cohésion, de mobilisation… C'est toujours une fête, une fierté, une prise de conscience du fait que tout se déroule selon le plan», estime Galina.

D'après elle, la nouvelle génération de l'armée russe qui défile sur la place la «charge d'une nouvelle énergie importante et nécessaire». Pour Galina Brok-Beltsova, le défilé de la Victoire est loin d'être une simple démonstration d'armements: cela prouve que le pays n'oublie pas sa propre histoire et qu'il est prêt à se défendre contre n'importe quelle menace si nécessaire.

Rédigé par Laís Oliveira

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