Un prix plancher du cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, fausse bonne idée?

Le 12 juin 2019, la Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux principaux producteurs de cacao, ont annoncé l’instauration d’un prix plancher de 2.600 dollars la tonne, à compter de la campagne 2020-2021, pour assurer une meilleure rémunération aux planteurs. Une décision historique largement saluée, mais qui suscite également de vraies interrogations.
Sputnik

Lors d’une rencontre qui s’est tenue les 11 et 12 juin derniers à Accra, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont annoncé l’adoption d’un prix plancher de 2.600 dollars la tonne de cacao, à partir de la campagne 2020-2021. Un prix en deçà duquel les deux pays ne vendront plus leur cacao sur le marché international.

Le mécanisme de mise en œuvre de ce prix plancher approuvé sur le principe par les chocolatiers, industriels du cacao et négociants, sera discuté le 3 juillet 2019 à Abidjan, lors d’une rencontre du comité technique d’experts constitué à cet effet.

Les deux États ont décidé, en attendant les conclusions des travaux du comité technique d’experts, de suspendre jusqu’à nouvel ordre les ventes de la récolte 2020/2021. L’annonce de l’arrêt des ventes a fait grimper dans la foulée les cours du cacao à 2.545 dollars la tonne, leur plus haut niveau en près d’un an.

«Cette entente entre la Côte d’Ivoire et le Ghana est excellente. Un prix plancher assuré aux planteurs, sous lequel il n’est pas possible de descendre, mais qui peut aller à la hausse, est ce qu’il faut. C’est un peu se déconnecter de la bourse afin d’en être moins esclave», s’est réjoui Monseigneur Johann Ignaz, PDG de la Maison Chocolat Guérin-Boutron, joint par Sputnik.

La Maison Chocolat Guérin-Boutron, un chocolatier de luxe français fondé à Paris en 1775 et passé sous giron belge depuis 2017, œuvre à améliorer les conditions de vie des planteurs ivoiriens en les aidant notamment à acquérir une certification bio. Elle ouvrira par ailleurs en 2020 en Côte d’Ivoire une académie du cacao et du chocolat ivoirien. Ce centre unique en son genre va proposer une formation diplômante de chocolatier-confiseur. 

Avec respectivement 1,9 million de tonnes et 900.000 tonnes de cacao produites sur la campagne 2017-2018, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont les deux plus grands producteurs au monde. Leur part sur le marché international des fèves de cacao est estimée à environ 65%.

Les deux géants de «l’or brun», voisins et rivaux, qui ont longtemps pratiqué des politiques et prix qui favorisent la contrebande de part et d’autre de la frontière, œuvrent depuis quelques années à faire front commun sur le marché mondial, en harmonisant notamment leur système de vente.

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On estime que sur les 100 milliards de dollars que représente le marché mondial du cacao, seuls six milliards reviennent aux planteurs. Au Ghana et en Côte d’Ivoire, les planteurs sont très peu nombreux à tirer profit du fruit de leur labeur. Ils vivent pour la plupart dans la pauvreté, voire l’extrême pauvreté pour certains.

En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial avec 40% de l’offre de fèves, le secteur du cacao contribue à plus de 10% du PIB et représente près de la moitié des recettes à l’exportation. La cacaoculture emploie dans le pays un million de planteurs et fait vivre un tiers de la population nationale, estimée à 23 millions en 2014. Les autorités ivoiriennes envisagent d’accorder aux planteurs 70% du prix plancher de 2.600 dollars la tonne. Le prix du kilo de cacao garanti au producteur dans le pays étant actuellement de 750 francs CFA (1,14 euro), il devrait alors passer à 1.055 francs (1,60 euro).

Dans le pays, l’annonce du prix plancher est largement saluée:

«Cette nouvelle n’arrive pas tôt, mais elle est la bienvenue. Il était temps que les pays producteurs fixent leurs prix aux acheteurs. Cela ne pourra que profiter aux planteurs», déclare Alain Apiah, de l’Union des coopératives agricoles de San-Pedro [deuxième ville portuaire de Côte d’Ivoire et premier port mondial exportateur de cacao, ndlr].

Bien que saluée, la mesure suscite également des interrogations. Certains Ivoiriens expriment des doutes quant à son applicabilité, ainsi qu’à l’effectivité de son but avancé, qui est d’améliorer le revenu des planteurs.

«Cette entente démontre que les gouvernants se préoccupent du sort des planteurs et réfléchissent aux moyens de leur faire profiter de leurs efforts, mais les pays producteurs devraient plutôt penser à subventionner les planteurs lorsque le prix sur le marché baisse. Il est plus souhaitable d’assister les planteurs que de s’engager dans un bras de fer qui pourrait être préjudiciable», estime Stéphane Ganhi, économiste de développement spécialisé sur les questions de l’inclusion financière, joint par Sputnik.

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Également interrogé par Sputnik, Akora Kouassi, ingénieur en agroéconomie et gestion est, pour sa part, d’avis que les gouvernements ivoirien et ghanéens, devraient, «au lieu de négocier le prix d’achat du cacao, plutôt définir des politiques de transformation locales par des entreprises nationales.»

«C’est une bonne chose de s’unir en tant que producteurs pour avoir plus de pouvoir de négociation sur le prix d’achat. Mais, j’ai bien peur que les retombées ne profitent qu’au pouvoir central, politiquement et financièrement. D’ailleurs, les planteurs n’ont pas été associés aux négociations.

Tant que les planteurs ne seront pas considérés comme des entrepreneurs indépendants et que l’État décidera à leur place, il sera difficile pour eux de bénéficier des fruits de leur labeur. Le système qui prévaut depuis l’époque coloniale vise à laisser les paysans produire avec leurs propres moyens: le pouvoir central vient prendre la production, par la suite, pour aller la vendre et leur reverser après des miettes. Ce système doit cesser», déclare Akora Kouassi.

Selon certains experts, la mise en place du mécanisme de mise en place du prix plancher devrait durer plusieurs mois.

Après leur entente sur un prix plancher, la Côte d’Ivoire et le Ghana envisagent de se rencontrer pour examiner cette fois d’autres problématiques du monde du cacao, comme la traçabilité ou encore l’épineuse question du travail des enfants dans les plantations.

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