Le déclic est parti d’un drame de trop. En 2016, une mère de famille perd ses quintuplés à l’hôpital central de Yaoundé peu après leur naissance faute d’une couveuse néonatale. Touchés par ce drame, Serge Armel Njidjou et ses équipes à l’Agence universitaire pour l’innovation (AUI) entreprennent de créer une couveuse made in Cameroon pour réduire le taux des décès à la naissance. Pari aussitôt réussi.
En 2018, la couveuse néonatale connectée made in Cameroun de l'AUI voit le jour. L’invention a bénéficié dès son lancement de plusieurs prix notamment le Prix spécial du Chef de l’Etat pour l’Innovation. En mai dernier, l’Agence française de développement (AFD) digital challenge, qui organise chaque année un concours mondial de start-up, lui a décerné à Paris, le prix du projet innovant pour les femmes en Afrique, lors d’une cérémonie au Pavillon de l’Elysée.
Serge Armel Njidjou, fondateur de l’AUI, hub d'innovations scientifiques, technologiques et entrepreneuriales relate à Sputnik les étapes de l’élaboration de cet appareil qui va permettre de réduire les décès néonatals au Cameroun et dans la région.
«Nous avons commencé par faire un état des lieux pour savoir pourquoi il y avait un problème de couveuses dans les hôpitaux camerounais. On a vu que chaque année, au Cameroun, en moyenne, 22 000 bébés meurent, soit 3 décès pour 1000 naissances vivantes. La prématurité est la première cause de la mortalité néonatale. La cause ici est l’insuffisance de couveuses néonatales dans les hôpitaux du pays. L’on dénombre moins de 100 couveuses néonatales en état de fonctionnement, pour plus de 5000 formations sanitaires environ», explique-t-il au micro de Sputnik.
«Les couveuses néonatales importées ne résistent pas aux fluctuations de l’énergie électrique que notre pays connaît. La moindre baisse de tension ou le moindre délestage brusque peut leur être fatal. En général, elles ont une durée de vie qui souvent ne dépasse pas 18 mois, alors que les fournisseurs n’ont pas prévu de services après-vente. Mais il y a aussi une raison est liée au coût. Les couveuses importées coûtent cher: entre 2,5 et 8 millions de francs CFA (3000 à 12 000 euros), selon qu’elles viennent des pays européens ou asiatiques», analyse Serge Armel pour Sputnik.
«C’est en tenant compte de ces paramètres liés à notre contexte que nous avons conçu notre nouvelle couveuse. Nous avons passé toute une année à faire de la recherche-développement. Aujourd’hui, nous avons une couveuse néonatale interactive AUI 1.0. C’est la première couveuse néonatale entièrement conçue et fabriquée en Afrique subsaharienne. Elle est conforme à la norme internationale CEI-601-2-19. Notre couveuse au Cameroun va coûter autour de 1.9 million F CFA (2 900 euros), avec un paiement flexible. Puis, nous offrons deux ans de garantie constructeur, et un service après-vente de proximité», poursuit-il, très satisfait du résultat.
Serge Armel et ses équipes travaillent depuis lors à l’obtention d’une homologation de l’organisation mondiale de la santé (OMS).
«Il n’y a pas de norme locale pour cet équipement. Notre couveuse est conforme à la norme internationale CEI-601-2-19. Une équipe de spécialistes de l’Ecole Polytechnique en a fait l’évaluation et a d’ailleurs rédigé un article scientifique en cours de parution dans une revue prestigieuse. Le Ministère de la Santé, après le satisfecit de sa direction spécialisée, s’est engagé à nous accompagner pour l’homologation OMS. Elle en fonctionnement dans des hôpitaux à Bafoussam. A ce jour, il n’y a pas d’alerte. Tous les paramètres de contrôle de la couveuse sont en double pour optimiser la sécurité. En tous cas, la peur des incidents ne doit pas étouffer l’émergence de la technologie africaine. Le développement est un processus interne et pas une greffe de produits sophistiqués importés», se réjouit l’inventeur.
Une aventure technologique qui n’a cependant pas toujours été aisée. L’équipe de chercheur a dû faire face à l’éternel problème de financement des recherches au Cameroun et à l’instabilité de la main d’œuvre qualifiée.
«L’innovation demande beaucoup de recherche-développement. Ce sont des financements des membres de l’agence qui ont permis d’avoir ce résultat. Ils sont plutôt modestes. Puis, après, on souffre dans notre société d’un préjugé défavorable. Il n’y a pas beaucoup de gens qui croyaient en nous. Et à la limite, vous avez beaucoup de gens qui nous disaient qu’il était impossible de réaliser cet outil dans notre environnement. Enfin, il y a la question de l’instabilité des ressources humaines. Quand vous commencez sans argent, avec juste de l’audace et l’envie de réussir, à un moment donné, cela ne suffit plus à garder les personnes avec qui vous avez démarré l’aventure», se désole Serge Armel.
«On peut dire globalement que notre innovation (le terme nous parait plus indiqué), est bien accueillie. Nous avons remporté le Prix spécial du Chef de l’Etat pour l’Innovation en février 2018. Après avoir remporté le Prix AFD Digital Challenge, le ministre des PME, de l’Economie sociale et de l’Artisanat, a reçu l’AUI à son cabinet pour un échange fructueux. On a également des contacts très prometteurs avec les ministères en charge de l’Economie et de la Santé publique au Cameroun. Enfin, on reçoit chaque jour de nombreux courriels et appels qui veulent savoir comment acquérir cet outil», conclut-il.
Alors que l’outil est déjà expérimenté dans quelques structures hospitalières au Cameroun, Serge Armel Njidjou travaille maintenant à la mise en place de AUI Techno SARL, l’entreprise qui va permettre la production en série de cette couveuse néonatale interactive afin d’assurer une distribution au Cameroun et sur le continent.