Depuis l’après-guerre, le dollar règne sur le commerce international. Parallèlement, l’idée de s’affranchir du billet vert fait son chemin, trouvant un nombre croissant d’adeptes. Parmi ces derniers, la Russie, mais aussi l’UE, les deux étant unies par les mêmes enjeux.
Le 13 juin, la Russie a annoncé qu’elle s’était mise d’accord avec Bruxelles pour lancer un groupe de travail conjoint chargé de promouvoir le passage à l’euro et au rouble dans les échanges bilatéraux. Comme l’initiative est déjà en passe de réalisation, l’idée n’est pas entièrement nouvelle, mais la portée du geste est hautement symbolique, s’accordent à dire les experts.
Mêmes enjeux pour Moscou et Bruxelles
Mais pourquoi chercher à écarter le billet vert si ce dernier s’est si profondément ancré dans le commerce? «L’avantage, c’est d’éliminer les risques de change dans les transactions», explique à Sputnik Pavel Samiev, directeur général de l’agence d’analyse BusinessDrom et président du comité des marchés financiers de Opora Rossii, ONG russe à destination des PME.
«Augmenter le poids d’une monnaie dans les transactions bilatérales est aussi un moyen de la rendre plus importante au niveau international, voire de l’utiliser en tant que monnaie de réserve», poursuit-il. Avant d’ajouter: «C’est un objectif fixé à la fois par la Russie et par l’UE […]. Le rouble a encore du chemin à faire, mais les enjeux sont les mêmes: faire en sorte que la part de leurs monnaies dans les échanges internationaux augmente».
Pour l’analyste, les perspectives de cette démarche sont «évidentes». L’UE reste le plus principal partenaire commercial de la Russie, laquelle est à son tour le quatrième plus important pour l’UE, selon Eurostat. «J’estime qu’à court terme, il faudra s’attendre à une hausse du volume des échanges et de l’activité économique entre la Russie et l’UE, malgré les facteurs dissuasifs», note Pavel Samiev. Concernant le passage aux monnaies nationales, il affirme: «Ce n’est qu’une question de délais», remarquant que le lancement complet de ce type de transactions n’était pas encore déterminé.
Le dollar comme outil de pression politique?
Mais comme l’économie et la politique vont de pair, il ne s’agit pas là de questions uniquement financières. La récente montée des tensions commerciales avec les États-Unis et le recours au dollar pour contraindre les entreprises à respecter les sanctions américaines contre l'Iran ont éveillé des inquiétudes sur la prédominance du billet vert non seulement à Moscou, mais aussi à Bruxelles, pourtant allié américain. Le dollar s’est-il ainsi transformé en un outil de pression politique?
«Sur fond de politique de domination et souvent unilatéraliste menée par les États-Unis, le refus du dollar serait plus que raisonnable dans un grand nombre de relations internationales», estime Piotr Dvoriankine, membre du conseil d'experts de la Douma d'État (chambre basse du Parlement russe) chargé du soutien législatif pour le développement des technologies financières, professeur invité de la Haute École d'économie de Moscou et PDG de Smart Mobility Group.
«Les transactions en dollars et les comptes bancaires en dollars représentent l’outil de pression le plus accessible pour Washington, même quand il n’est pas directement engagé dans les relations commerciales», poursuit-il dans une interview pour Sputnik.
Dans ce contexte, la Commission européenne a publié en décembre 2018 des propositions non contraignantes visant à renforcer le rôle de l'euro dans les transactions internationales et son utilisation comme monnaie de réserve pour tenter de contester la domination du dollar.
Quelles conséquences pour le dollar?
«Dans une certaine mesure, ce serait une sorte d’affaiblissement pour le dollar que les autorités américaines voudraient éviter. La question est de savoir à quel point le volume des transactions dans ces monnaies sera important, mais aussi les délais de leur mise en place. Si cela traîne, les effets seront beaucoup plus faibles», indique-t-il.
«La portée du geste est avant tout symbolique, elle pourrait inciter d’autres pays à renoncer au dollar pour privilégier les transactions en monnaies nationales», résume Piotr Dvoriankine.