Afrique, les nouveaux filons de la mer

Méconnue, l’économie bleue présente d’énormes possibilités de développement pour l’Afrique. Invitée de Sputnik France, la Tunisienne Leila Ben Hassen, organisatrice du premier forum «entièrement africain» et «entièrement dédié à l’exploitation marine», dont la deuxième édition a lieu à Tunis les 25 et 26 juin, en explicite les principaux enjeux.
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«Quand on sait que l’Afrique compte 38 États côtiers et insulaires et que l’industrie maritime africaine représente environ 1.000 milliards de dollars par an, avec 90% des exportations et importations africaines se faisant par le biais de la mer, on réalise l’importance de l’économie bleue pour le continent. En outre, l’économie bleue est intimement liée à la sécurité alimentaire, par l’apport vital de poisson pour plus de 200 millions d’Africains.»

Ouvert sur la mer Méditerranée et bordé par deux océans, le continent africain réalise déjà l’essentiel de ses importations et exportations par voie maritime. Ses actifs des écosystèmes de l’économie de la mer sont évalués à 24 milliards de dollars, pour des revenus estimés à 1.000 milliards de dollars par an.

Autant dire que les 54 Etats africains pourraient tirer un très gros avantage de leur économie bleue. Une manne encore en devenir, qui englobe toutes les activités liées à l’exploitation des ressources issues du domaine maritime: pêche, commerce, transport, en plus des industries extractives (pétrole et gaz offshore) et du tourisme.

Pour enclencher un cercle vertueux de croissance, qui soit à la fois inclusive et durable, deux conditions préalables doivent être remplies, estime Leila Ben Hassen, fondatrice et PDG de Blue Jay Communication. Il s’agit de mieux intégrer le secteur privé africain ainsi que les populations dites «fragiles», telles les femmes et les jeunes dans toutes les activités liées à la mer.

Afrique, les nouveaux filons de la mer

Invitée de Sputnik France, le 8 juin, journée mondiale des Océans, l’organisatrice du Forum sur l’économie bleue en Afrique (ABEF–African Blue Economy Forum) a présenté la deuxième édition de son Forum «entièrement africain» et «entièrement consacré à l’économie bleue», qui aura lieu à Tunis les 25 et 26 juin prochains.

«Cette année, pour la seconde édition, l’événement réunira de hauts responsables gouvernementaux, chefs d’entreprise et représentants de la société civile, ainsi que des investisseurs internationaux et experts du secteur océanique venus du monde entier, pour deux jours d’échanges, visant à mettre en avant les opportunités qu’offre l’économie bleue pour l’Afrique», a déclaré Leila Ben Hassen au micro de Sputnik France.

Ce forum sur l’économie bleue en Afrique (ABEF en anglais) est une initiative privée dont elle est l’inspiratrice. Il est né du constat que «l’économie bleue est une réalité incontournable pour l’Afrique», même si c’est l’économie verte dont jusqu’à présent on parle le plus souvent pour développer l’Afrique, insiste-t-elle.

Suite au succès de la première édition, qui a eu lieu en juin 2018 à Londres, où elle réside, la patronne de Blue Jay communication a donc décidé d’en faire un événement annuel:

ABEF, c’est une «une plateforme unique, où les différents acteurs engagés en faveur des océans viennent partager leurs idées sur la réalisation de “l’objectif de développement durable [des Nations unies, ndlr] numéro 14” et présenter de nouvelles opportunités d’investissement dans les industries océaniques», affirme-t-elle.

Plusieurs pays africains ont déjà confirmé leur participation, notamment le Gabon, le Ghana, le Maroc, les Seychelles et le Somaliland, en plus de la Tunisie où se déroule la rencontre.

Heureuse de pouvoir ainsi contribuer aux objectifs de développement durable (ODD) de l’Onu, grâce à une meilleure exploitation des ressources de la mer, Leila Ben Hassen n’en est pas moins consciente des défis auxquels est confronté le continent africain, à commencer par la pollution de ses côtes par les déchets plastiques, qui coûte «13 milliards de dollars par an» en raison des dommages causés aux écosystèmes marins, regrette-t-elle.

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Le pays-hôte de l’ABEF 2019 est d’ailleurs en première ligne des enjeux et menaces de l’économie bleue: avec ses 1.400 kms de côte, la Tunisie est un pays dont l’histoire est intimement liée à celle de la Méditerranée et du commerce maritime, en plus d’être à la croisée de l’Europe et de l’Afrique.

Ce petit pays du Maghreb a récemment rejoint le Marché Commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), témoignant ainsi de sa volonté de consolider ses relations avec le continent africain, notamment par le biais d’un renforcement des investissements et des partenariats.

«L’économie bleue a beaucoup de potentiel en Tunisie, mais reste encore très peu exploitée. Par ailleurs, il faut savoir que la Méditerranée est la mer la plus surexploitée au monde. Il est à prévoir que l’état de la biodiversité se dégrade davantage avec le changement climatique, si des mesures ne sont pas mises en place rapidement», affirme Leila Ben Hassen, elle-même originaire de Kerkennah, l’île des pêcheurs aux mains des passeurs de migrants, comme le soulignait un récent reportage diffusé par TV5.  

Malgré (ou à cause) d’un tourisme florissant, la Tunisie déverse également dans la Méditerranée autant de déchets plastiques que la France (11.000 tonnes), mais arrive loin derrière l’Égypte (250.000 tonnes) et la Turquie (111.000 tonnes), qui sont les plus gros pollueurs.  

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Pour Leila Ben Hassen, en plus de la nécessaire implication du secteur privé tunisien, seul à même de «développer une industrie du recyclage digne de ce nom» pour nettoyer les plages paradisiaques de Tunisie vendues par les tours operators à des millions de touristes, il faut aussi une plus grande implication des États africains et une meilleure coordination au niveau régional et continental:

«Seules l’île Maurice et les Seychelles, véritables champions de l’économie bleue en Afrique, l’ont intégrée dans leurs plans de développement. Cette absence de conscience de la plupart des États africains s’explique par de nombreux facteurs, parmi lesquels un manque de concertation et de coopération à l’échelle nationale et régionale en matière d’économie bleue", commente Leila Ben Hassen.

Pour elle, le besoin de financement innovant pour commencer à développer l’économie bleue en Afrique à une plus grande échelle et le manque de données et de recherches pertinentes qui permettraient de mettre au point des politiques, en particulier en ce qui concerne le changement climatique sont aussi des passages obligés. Sans parler de la nécessité de mieux éduquer les jeunes sur l'économie bleue.

«Le continent africain doit travailler de concert à un niveau régional et national pour mettre en œuvre des plans stratégiques afin que les populations puissent réellement bénéficier du potentiel qu’offre l’économie bleue», ajoute-t-elle au micro de Sputnik

Une coopération d’autant plus nécessaire que l’insécurité grandissante dans nombre d’États africains côtiers qui doivent aujourd’hui faire face à des pirates, comme dans l’Océan indien ou bien sont la proie de violences terroristes, comme dans le golfe du Bénin ou celui de Guinée, appelle une réponse concertée à l’échelle régionale et continentale.

«La piraterie maritime ou la pêche illégale sont de véritables fléaux qui entretiennent un climat d’insécurité permanente et freinent considérablement les opportunités que pourrait offrir l’économie bleue aux États africains qui en sont les victimes», estime Leila Ben Hassen.

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Reste encore aux États africains à trouver un équilibre entre favoriser leur secteur privé local et les mastodontes de l’économie mondiale que sont les grandes compagnies pétrolières et gazières, qui exploitent déjà les ressources de la mer au large des côtes africaines.

Parmi les autres secteurs de l’économie bleue les plus porteurs pour les privés africains, à savoir la pêche, l’aquaculture, les transports, le commerce, les énergies renouvelables, le tourisme, etc., tous sont soumis à une très forte concurrence internationale. Comment, dans ces conditions, l’Afrique peut-elle au mieux tirer son épingle du jeu?

«L’Afrique a intérêt à coopérer et à apprendre de ce qui a marché ailleurs. Par exemple, l’essor sans précédent de l’aquaculture au Bangladesh, qui a permis d’instaurer un développement vertueux dans ce pays, peut guider certains États africains qui se sont lancés dans la même voie.

Il ne sert à rien, à mon avis, de tout vouloir réinventer et dans certains domaines, comme celui des industries extractives, il faut de la technologie et du savoir-faire que nous devons acquérir. Si le sens de votre question est de savoir si le secteur privé local ne risque pas de se faire manger par les gros poissons, oui, il y a un risque, mais dans ce cas il n’y aura plus rien à manger pour personne. L’océan est vaste et il y a de la place pour tout le monde…»

Très désireuse, dès le départ, de mettre les femmes et les jeunes au centre du processus de développement de l’économie bleue en Afrique, Leila ben Hassen ne regrette pas son choix:

«Je suis comblée pour cette deuxième édition, affirme-t-elle. Alors que j’avais eu toutes les peines du monde à convaincre des femmes leaders, notamment, dans les métiers maritimes, à venir prendre la parole pour témoigner, il semblerait qu’elles aient compris l’importance d’affirmer le rôle que les femmes africaines –et au-delà du continent– peuvent jouer dans un domaine, l’économie bleue, qui peut être une source importante de créations d’emplois.

Bien sûr, les difficultés rencontrées par les femmes et les jeunes qui veulent créer des Start-ups pour obtenir des financements sont encore plus grandes en matière d’économie bleue, qui est un domaine peu connu, mais je ne désespère pas que la finance panafricaine et internationale s’y mettent très vite, compte tenu des extraordinaires potentialités».

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Pour Leila Ben Hassen, en plus de la capacité d’innovation dont les Africains sont capables, une chose demeure certaine: l’économie bleue, bien qu’encore émergente, contribuera à régler les principaux problèmes actuels de l’Afrique, à savoir la sécurité alimentaire, le chômage et la lutte contre les changements climatiques. De cela, elle en est sûre et reste donc déterminée à poursuivre son œuvre de pionnière.

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