Pétrole et guerre de mots: quand l’écologie ébranle l’unité canadienne

Jamais l’environnement n’a autant été au cœur du débat au Canada. Si des écologistes s’en réjouissent, ce sujet divise profondément le pays. Alors que les conservateurs accusent les libéraux de nuire à l’économie en bloquant les projets d’oléoducs, Trudeau tente de tirer profit de la polarisation. L’analyse de Sputnik.
Sputnik

Environnement et unité nationale, deux sujets liés au Canada? Absolument. Avec l’essor fulgurant du mouvement écologiste, l’environnement est devenu un thème central du débat public. Mais qui dit respect de l’environnement dit aussi transition énergétique, un second thème sur lequel sont loin de s’entendre les acteurs provinciaux et fédéraux. Après le débat houleux sur la place du Québec dans la fédération, voici venir celui sur l’écologie.

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La dynamique fédérale du Canada accentue la division. Récemment, cinq Premiers ministres provinciaux ont demandé à Justin Trudeau de modifier le projet de loi visant à moderniser les processus de révision des grands projets énergétiques. Tous des conservateurs, les dirigeants de l’Alberta, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick ont sommé Trudeau d’accepter les quelque 200 amendements que proposait le Sénat au projet de loi C-69. Dès le lendemain, Trudeau a rejeté la demande de modification. Les amendements visaient à alléger les processus d’évaluation.

«Si ces amendements ne sont pas respectés, le projet de loi devrait être rejeté puisqu’il représentera des obstacles insurmontables à des projets d’infrastructure majeurs au pays et va miner la création d’emplois et la confiance des investisseurs», avaient averti les Premiers ministres conservateurs de ces cinq provinces.

Le Premier ministre Trudeau a perçu la demande de ses homologues comme une menace, voire comme du chantage. Avant de la balayer d’un revers de la main, Trudeau leur a répondu directement à la Chambre des communes, faisant preuve d’un rare aplomb. Selon lui, ses homologues provinciaux «jouent avec l’unité canadienne». Des mots très chargés dans une fédération fragilisée par les deux référendums sur l’indépendance du Québec (1980 et 1995). Au Canada, on ne plaisante pas avec l’unité nationale.

«Le fait que des Premiers ministres conservateurs soient en train de faire des menaces à l’unité nationale si on ne leur donne pas ce qu’ils veulent est complètement irresponsable», a lancé énergiquement Trudeau le 11 juin.

Au Canada, l’environnement n’oppose donc pas seulement la droite et la gauche, mais aussi des provinces et l’actuel gouvernement fédéral, ce dernier étant accusé de nuire à l’économie. En avril dernier, l’élection de Jason Kenney en Alberta avait déjà envoyé un signal négatif au gouvernement fédéral. Élu par les Albertains pour relancer l’industrie pétrolière des sables bitumineux, Kenney a fait de Trudeau son adversaire principal. Au cœur du litige: la construction de pipelines, jugée essentielle au développement économique de l’Ouest canadien. Jason Kenney est déterminé à défendre jusqu’au bout la construction de nouveaux oléoducs.

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Les projets d’oléoducs au cœur du litige

Le hic, c’est que l’extraction des sables bitumineux est considérée comme l’un des procédés les plus polluants au monde. Malgré la nationalisation de l’oléoduc Trans Mountain, Justin Trudeau hésite à favoriser cette industrie controversée. La ministre fédérale de l'Environnement, Catherine McKenna, estime d’ailleurs que la majorité des amendements proposés ont été dictés par des lobbyistes de l’industrie pétrolière. Quoi qu’il en soit, M. Kenney n’est pas prêt de lâcher le morceau.

«Aucun nouveau pipeline n’a été approuvé ces quatre dernières années et le gouvernement fédéral pousse une nouvelle mesure, avec le projet de loi C-69, qui rendra pratiquement impossible la construction d’un nouveau pipeline», a déclaré Jason Kenney de passage à Montréal.

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Le pétrole de l’Ouest ne nourrit pas seulement des tensions entre des provinces et le gouvernement fédéral. Il en crée aussi entre les provinces elles-mêmes. Le Premier ministre du Québec, François Legault, refuse toujours qu’un nouvel oléoduc passe sur le territoire québécois. M. Legault estime qu'il n'y a aucune «acceptabilité sociale» pour ce projet, malgré ses potentielles retombées économiques. Une grande source de frustration en Alberta, surtout que le Québec bénéficie de généreux transferts de cette riche province en vertu du système de péréquation.

Le dossier des oléoducs est si sensible et important que le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, compte sensibiliser les Québécois à la cause albertaine. Allié naturel de Jason Kenney, M. Scheer mise sur l’indépendance énergétique.

«Je souhaite aussi que les Québécois comprennent et respectent que les Canadiens des autres provinces souhaitent pour leur part que le Canada puisse profiter de l’exportation de notre richesse pétrolière et gazière», avait déclaré à la presse le chef du Parti conservateur.

Source de tensions entre le fédéral et les provinces, les provinces elles-mêmes, ainsi qu’entre libéraux et conservateurs, l’écologie n’a pas fini d’alimenter les passions. Dans ce contexte, les libéraux de Trudeau espèrent probablement profiter de la polarisation pour apparaître comme le seul grand parti écologiste capable de battre les conservateurs fédéraux, alliés de leurs homologues provinciaux. Cette stratégie leur permettrait de récupérer une partie de leur électorat ayant migré au Parti vert et au Nouveau Parti démocratique. En revanche, si Justin Trudeau parvenait à remporter l’élection d’octobre prochain, les provinces conservatrices se sentiraient encore plus abandonnées.

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