«Les signataires du présent texte demandent à ce que le Gouvernement de la République française, à l’instar d’autres États qui viennent de le faire, revienne solennellement sur sa décision de reconnaissance de l’indépendance de la “République du Kosovo”.»
Alexis Troude, directeur du département d’études balkaniques de l’Académie internationale de Géopolitique et l’étudiant en histoire Paul Antoine sont partis en croisade. Ils sont les auteurs d’une pétition qui demande à la France de revenir sur sa décision de reconnaître la «République du Kosovo». Cette dernière, qui s’est unilatéralement déclarée indépendante le 17 février 2008 avait, dès le lendemain, bénéficié de l’appui de la France. «Le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, a annoncé dans une lettre en date du 18 février 2008, adressée au Président du Kosovo Fatmir Sejdiu, la reconnaissance par la France du Kosovo comme un État souverain et indépendant», peut-on lire sur le site de la chancellerie française.
Une décision que regrettent les auteurs de la pétition, qui considèrent que le Kosovo est un «État failli», où les minorités «serbe, monténégrine, turque, rom, hébraïque, égyptienne, gorani, croate et même albanaise» sont maltraitées par les autorités de Pristina. Selon eux, «plus de 150 églises et monastères orthodoxes ont été détruits, une perte patrimoniale non seulement pour la culture serbe, mais pour toute la chrétienté».
«Face à l’urgence de la situation sécuritaire dans le sud-est de l’Europe, les signataires suivants demandent la création d’un groupe parlementaire pour discuter du statut du Kosovo, suivi de l’ouverture d’un débat à l’Assemblée nationale. Selon les règles et traditions qui régissent notre démocratie, les signataires demandent à ce que chaque groupe parlementaire s’exprime sur la reconnaissance française du Kosovo et s’engage dans des discussions avec des experts reconnus, des membres de la société civile ainsi que le Comité pour la Paix au Kosovo présentant cette pétition», demandent les auteurs.
Pour Paul Antoine, la politique menée par Emmanuel Macron et plusieurs reponsables européens fait le jeu du nationalisme albanais. C'est pourtant sous l'égide du Président français et de la chancelière allemande Angela Merkel que le prochain sommet serbo-kosovar sera organisé début juillet à Paris. Il a pour but de relancer des négociations au point mort.
Alexis Troude et Paul Antoine sont soutenus dans leur démarche par des personnalités telles que l’avocat Gilles William Goldnadel, l’écrivain Patrick Besson ou encore le géopolitologue Alexandre del Valle. Pour le moment, la pétition intitulée «Négocier un nouveau statut pour le Kosovo» a réuni un peu plus de 3.200 signatures, loin de l’objectif des 100.000 avant l’arrivée des délégations serbes et kosovares à Paris.
L’initiative est en effet loin de faire l’unanimité. Elle a notamment été critiquée par Loïc Tregoures, enseignant et spécialiste des Balkans.
Les auteurs de la pétition comptent sur l’appui de personnalités et de la communauté serbe, forte d’environ 120.000 personnes en France. Mais ils cherchent surtout à convaincre au-delà des cercles initiés. Sputnik France s’est longuement entretenu avec Paul Antoine afin qu’il nous livre son analyse de la situation et ses motivations. Entretien.
Sputnik France: Pouvez-vous nous parler un peu de vous? Quelles ont été vos motivations à vous engager dans ce projet?
Paul Antoine: «J’ai 25 ans et je suis étudiant-doctorant en histoire à la faculté de Belgrade. Je travaille sur l’antisémitisme et la discrimination des minorités au sein du royaume de Yougoslavie. Je tiens à préciser que je ne suis absolument pas Serbe. Je me suis rendu dans ce pays pour la première fois en septembre dernier, après avoir vécu en Russie. Si j’ai fait cela, c’est par conviction. Cela fait longtemps que je soutiens la Serbie et j’ai été très choqué par le démembrement extrêmement violent de la Yougoslavie, qui s’est fait sur le dos des Serbes, la dernière étape ayant été le Kosovo. Nous pouvons discuter de la Croatie ou de la Bosnie, mais l’indépendance unilatérale du Kosovo est un véritable scandale. L’idée de faire cette pétition m’est venue en voyant que des initiatives du même type étaient lancées dans plusieurs pays tels que la République tchèque ou l’Italie. J’ai vu que plusieurs États étaient revenus sur leur décision de reconnaître le Kosovo et c’est là que j’ai compris que rien n’était acté et que l’on pouvait agir. J’étais en contact avec Alexis Troude depuis plusieurs mois et il a trouvé l’initiative de faire une pétition excellente. Grâce à ses contacts, il m’a aidé à lancer le Collectif pour la paix au Kosovo qui est l’origine de la pétition.»
Sputnik France: Vous critiquez fortement le traitement médiatique sur le Kosovo…
Paul Antoine: «Les médias français, lorsqu’ils parlent du Kosovo, ont une vision raciale, religieuse et ethnique des choses, pour ne pas dire nationaliste. Je m’explique. On vous présente une carte du Kosovo avec des petits points représentant les enclaves serbes ou des autres minorités. En gros, on vous explique que les Serbes n’habitent qu’au nord de la rivière Ibar, qu’ils sont environ 120.000 et que les autres sont d’autres minorités. Mais de quelle nationalité? J’ai récemment rencontré à Strasbourg le représentant de la communauté rom du Kosovo, qui est un musulman soufi. C’est un Serbe qui a un passeport serbe et sa famille est serbe depuis des générations. Ce genre de détail qui est loin d’en être un n’apparaît pas sur les cartes montrées par les médias. Ils ne seraient pas Serbes parce qu’ils ne sont pas blancs? Pas orthodoxes? Donc si l’on suit cette logique, en France, seuls les blancs catholiques seraient Français? C’est une blague. C’est la même chose pour une grande partie des Gorans ou des Monténégrins, qui ont des passeports serbes. J’en ai ras-le-bol de cette vision ethnique et religieuse des médias mainstream sur le Kosovo.»
Sputnik France: Quelles sont les conditions de vie des minorités au Kosovo aujourd’hui?
Paul Antoine: «Je me suis rendu au Kosovo plusieurs fois en 2018. J’ai vu la réalité, ce dont aucun média ne parle. J’ai été fouillé par des soldats autrichiens de la Force pour le Kosovo (KFOR), mise en place par l’Otan, avant de rentrer dans un monastère. Cela vous donne une idée de l’atmosphère qui y règne. À proximité du monastère de Dečani, qui est l’un des plus beaux, vous avez des plots antichars. C’est le seul moyen d’empêcher leur destruction. Pour être honnête, avant de me rendre au Kosovo, je pensais que les Serbes en rajoutaient sur la situation dans le cadre de leur combat pour lutter contre l’indépendance de la région. Mais ce n’est pas le cas. Les conditions de vie des minorités sont terribles. Le représentant rom que j’ai rencontré est menacé et ne peut plus se rendre au Kosovo. Ils sont persécutés par les Albanais. La ville de Kosovska-Mitrovica est divisée entre partie serbe et albanaise. Dans la partie serbe, le cimetière albanais est toujours debout et à peu près entretenu, aucune tombe n’est endommagée. Il suffit de faire deux kilomètres pour aller dans la zone albanaise et voir un cimetière serbe totalement détruit, avec l’église ravagée. Au sud de la rivière Ibar, les conditions de vie des minorités sont désastreuses. Des monastères sont régulièrement attaqués et des maisons taguées du sigle de l’UCK, l’Armée de libération du Kosovo. Les vols d’animaux sont réguliers. Les attaques anti-serbes sont quasi quotidiennes. Les Gorans, qui sont des Slaves musulmans résident au sud du Kosovo, vivent également dans des conditions très difficiles. Ils habitent dans des enclaves coupées de tout, d’autant plus qu’ils sont proches de la frontière albanaise.»
Sputnik France: Vous accusez Pristina qui, selon vous, refuse de s’impliquer dans le processus de normalisation avec Belgrade. La Serbie n’a donc aucune part de responsabilité dans ce conflit?
Paul Antoine: «Si, évidemment. Surtout la Yougoslavie. Si le Kosovo est aujourd’hui albanais, c’est que Tito les a laissé rentrer massivement. L’ancien gouvernement serbe est également fautif. Il a très mal négocié à Bruxelles, bien que l’Union européenne avait promis des choses. On a dit aux Serbes: “Donnez-nous les criminels de guerre que l’on a échoué à appréhender, notamment Mladic et Karadzic, et nous pourrons parler de vous faire rentrer dans l’Europe avec le Kosovo”. Les Serbes ont donné les criminels de guerre et ils ne sont toujours pas dans l’Europe. Au Kosovo, certains dirigeants sont des criminels de guerre. Les Serbes ont fait l’erreur d’avoir été naïfs avec Bruxelles. Concernant la guerre au Kosovo, selon moi, les Serbes ont mal réagi même s’il est toujours facile de juger 20 ans après. Après, il faut resituer dans le contexte des bombardements de l’Otan, la plus grande organisation militaire de la planète, d’une Russie alliée de la Serbie qui, à l’époque, n’était pas aussi puissante qu’aujourd’hui et d’une France, ancien allié de la Serbie, qui la bombarde.»
Sputnik France: Vous n’avez pas peur d’être accusé de faire le jeu du nationalisme serbe?
Paul Antoine: «Non. Le nationalisme dans la région est le nationalisme albanais. On nous parle de “Grande Serbie”, qui est une lubie totalement débile, qui a été mise en avant par Milosevic pour rester au pouvoir. À l’inverse, la “Grande Albanie” est en train de prendre forme au Monténégro, au Kosovo, dans le sud de la Serbie et en Macédoine où, à mon avis, la guerre civile couve. J’ai été récemment invité par la Consule de Serbie à Strasbourg pour la journée des consulats. Quel drapeau ornait le stand du Kosovo, à votre avis? Le drapeau albanais. Cela veut tout dire. Je me suis approché du stand, il n’y avait pas la moindre photo d’un monastère. Donc cet État soi-disant indépendant vante sa culture en faisant totalement abstraction de l’héritage serbe? Le nationalisme dans la région est le nationalisme albanais, que la France soutient de par sa politique. C’est ce qui motive notre pétition. Monsieur Macron nous a dit: “Le nationalisme c’est la guerre.” Alors pourquoi la France le soutient-il dans les Balkans?»
Sputnik France: Comment analysez-vous le soutien de Moscou à la Serbie?
Paul Antoine: «Je parle avec des Albanais qui le mettent souvent en avant. Même chose pour les médias. En vérité, c’est plus complexe. Oui, la Russie est un pays orthodoxe, mais plusieurs pays orthodoxes reconnaissent le Kosovo. Si la Russie soutient la Serbie, c’est par pragmatisme. J’ai habité dans les deux pays et j’ai beaucoup écrit sur les relations serbo-russes. Ce que j’ai pu trouver de par mes recherches m’indique que la Russie n’a pas grand intérêt à soutenir la Serbie, si ce n’est à cause du droit international. Le Kosovo est la boîte de Pandore à ce niveau-là. Cette indépendance est la porte ouverte à des dérives graves. D’ailleurs, de nombreux pays musulmans ne reconnaissent pas le Kosovo. C’est bien la preuve que tout cela va au-delà d’une histoire de religion.»
Sputnik France: Vous basez notamment votre argumentaire sur le fait qu’un grand nombre de nations telles que l’Espagne, la Grèce, la Russie, l’Inde ou la Chine ont refusé de reconnaître l’indépendance du Kosovo. À votre avis, qu’est-ce qui a motivé la décision de Paris il y a 11 ans?
Paul Antoine: «Sarkozy a toujours été ultra pro-américain. Il a remis la France dans le commandement intégré de l’Otan, il a envoyé des troupes en Afghanistan et a fait la guerre en Libye. L’indépendance du Kosovo avantageait les États-Unis dans la région. C’était l’étape ultime du plan qui avait commencé avec les bombardements de 1999. La France a suivi la politique américaine et allemande. Je pense que Jacques Chirac n’aurait pas reconnu le Kosovo.»
Sputnik France: Plusieurs personnalités vous soutiennent. Avez-vous tenté d’en contacter d’autres? Quelles ont été leurs réponses?
Paul Antoine: «Nous attendons le soutien de plusieurs hommes politiques qui nous ont dit “après le 26”. Nous avons déjà l’accord de certains députés européens du Rassemblement national. Nous avons également contacté des proches de Jean-Luc Mélenchon, qui a toujours eu une position modérée sur le Kosovo. Nous attendons leur réponse. Nous aimerions aussi avoir le soutien de Jean-Pierre Chevènement, qui a toujours été contre l’indépendance du Kosovo. Il faut bien comprendre que nous faisons cela avec les moyens du bord. Malheureusement, ce sujet parvient difficilement à mobilier alors qu’il est important. Mais je pense qu’après les élections européennes nous aurons beaucoup plus de soutien. Le mois de juin sera décisif.»